par Christian Dufour, Journal de Montréal, samedi 15 février 2014
Je m’étais presque habitué à ces chroniques virulentes dans les quotidiens populaires du Canada anglais, où Éric Duhaime se permet d’écrire des choses que peu d’anglophones se permettraient sur le Québec. Il y flatte les lecteurs allergiques à cette province corrompue, dominée par les séparatistes et les socialistes, en plus d’être entretenue par la péréquation en provenance du reste du pays. […] Cela dit, c’est une chose que de critiquer notre dépendance débilitante à l’égard de la péréquation. C’en est une autre de le faire au Canada anglais, avec la crédibilité toute particulière d’un francophone québécois, au moment où de plus en plus de gens là-bas voudraient changer les règles du système à nos dépens.
J’ai commencé à tiquer vraiment quand, dans son zèle à défendre Rob Ford contre la méchante presse torontoise, Duhaime n’a pas craint de rabaisser le péquiste André Boisclair au même niveau que le maire conservateur. […] On n’avait rien vu! Il y a trois semaines, le chroniqueur touchait le fond en en appelant carrément à l’intervention des forces de police du reste du pays dans les affaires d’un Québec incapable de régler ses problèmes dans le domaine de la construction. Étant bien entendu que pas un seul des 125 députés québécois n’est capable, selon lui, de défendre les intérêts des travailleurs d’ici.
[…] Sans compter que, pratiquement au même moment, il exprimait en français à la radio ses regrets que les héros des Québécois noirs se révèlent presque tous être des «zéros». Y compris Barack Obama, supposément «le pire président de l’histoire des États-Unis». […] Cela, alors que l’écrivain québécois d’origine haïtienne, Dany Laferrière, vient d’entrer à l’Académie française, l’institution culturelle la plus prestigieuse du monde francophone!
Le point commun à ces divagations est évidemment la défense inconditionnelle d’une droite radicale à l’américaine, dont sont exclus les conservateurs modérés, de même que toute préoccupation spécifiquement québécoise. Plus Éric Duhaime est marginalisé dans une société québécoise réfractaire à son messianisme déconnecté, plus forte est la tentation de critiquer cette société avec virulence dans les médias canadiens-anglais.
On cherche en vain un équivalent canadien-anglais qui rabaisserait ainsi sa société dans les médias québécois.
NDLR. Depuis quelques années, on assiste à la résurgence d’une forme de comportement du Québécois colonisé décrite par André D’Allemagne dans son essai Le Colonialisme au Québec. Il s’agit de l’assimilation volontaire ou la haine de soi, qui procède d’une « acceptation fatidique » de la suprématie du colonisateur.