Sugar Sammy, la suite

MAXIME LAPORTE | LA SOCIÉTÉ SAINT-JEAN-BAPTISTE DE MONTRÉAL | 26/11/2014

J’étais de passage ce 25 novembre à l’émission de Denis Lévesque à LCN où j’ai pu expliquer davantage ma position sur la récente controverse entourant Sugar Sammy (***voir note sur le fameux courriel de bêtise).

Plus tôt en journée, j’avais dénoncé dans le Journal de Montréal les affiches publicitaires provocatrices de l’humoriste en ce qui a trait à la langue française au Québec. Ces affiches, à l’origine unilingues anglaises pour défier et ridiculiser la Charte de la langue française, sont notamment visibles dans le métro de Montréal.

Je l’admets, je n’y suis pas allé de main morte. Depuis un bon bout de temps, j’ai lu et entendu beaucoup de commentaires de Québécois heurtés à juste titre par son type d’humour qui exploite jusqu’à la limite nos susceptibilités nationales. Et c’est d’abord à ces gens que j’ai pensé quand le Journal m’a appelé pour une entrevue, des citoyens ordinaires qui se sont effectivement sentis comme si on leur crachait au visage.

Puisque la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal mène depuis un an une campagne contre la francophobie (francophobie.org), j’ai voulu à ce moment élaborer plus largement avec la journaliste sur cette question, en faisant un lien avec les propos de Sugar Sammy. À bien des égards, ces propos alimentent cette francophobie et certaines attitudes qui s’attaquent à la dignité des Québécois comme peuple, et qui se nourrissent notamment à la source d’une hantise, un rejet du Québec français.

La francophobie, comme l’islamophobie, comme la xénophobie, comme les préjugés envers les Premières nations, etc., sont des comportements qui visent le rabaissement ou la diabolisation d’un groupe, comportements qui sont bel et bien considérés comme du néoracisme par des experts comme la sociologue Maryse Potvin ou le linguiste Teun Van Dijk qui ont beaucoup étudié la question. Le néoracisme est une forme plus subtile de discrimination ou de discours de dénigrement où, au-delà de la couleur de la peau, on s’en prend, notamment par le truchement des médias, à l’identité, à la culture ou aux pratiques sociales et politiques en général de tout un groupe.

Chose certaine, je n’ai jamais voulu dire que « Sugar Sammy » était lui-même « néoraciste ». J’ai évoqué la notion de « néoracisme » en disant qu’on pouvait assimiler la francophobie à une forme de néoracisme, que les blagues empoisonnées de l’humoriste se trouvent à encourager lorsqu’il ridiculise systématiquement les moyens que nous nous sommes donnés collectivement pour assurer l’avenir même de notre nation et de notre langue qui selon lui serait « surprotégée ».

Ce qui ressort de son discours, c’est une délégitimation de l’indépendantisme québécois et du principe du français, langue commune, doublée d’une dépréciation de la culture québécoise elle-même, laquelle devrait se fondre dans le tout canadien et dans un bilinguisme à la Trudeau. Comme personnalité publique, Sugar Sammy, un artiste dont personne ne peut nier le talent, jouit d’une importante visibilité médiatique. Une telle visibilité doit forcément s’accompagner d’une responsabilité tout aussi importante, surtout lorsqu’on sait que l’humour constitue un médium puissant pour influencer les masses.

Or, il faut rappeler certains propos curieux tenus précédemment par Sugar Sammy et qui mettent en perspective, il me semble, la nature de son « humour ». En 2013 à l’émission Brassard en direct, où l’animateur l’invitait à s’adresser à ses amis indiens, il a dit : « Venez à (au) Québec mettre toutes les femmes blanches enceintes. » Énoncé maladroit, d’autant que l’Inde traversait au même moment une crise liée aux phénomènes de viols collectifs. Un malaise similaire, drôle pour certains, moins drôle pour d’autres, se fait ressentir quand on l’entend affirmer : « Il y a deux sortes de Québécois. Il y a les Québécois éduqués, cultivés, bien élevés. Et il y a ceux qui ont voté oui. » Cette attitude est délibérée, puisque « l’humour n’est pas vraiment drôle s’il n’offense personne »… Au diable Sol, André Sauvé, Pierre Légaré…

J’ai discuté avec le gérant de Sugar Sammy au téléphone plus tôt aujourd’hui. Ce fut un bel échange, très cordial, mais force est de constater que nous resterons en désaccord sur plusieurs points.

Par ses fameuses affiches publicitaires, Sugar Sammy non seulement dénigre, mais bafoue une fois de plus la Charte de la langue française, pierre angulaire de notre cohésion linguistique, même si cette pierre a été lourdement affaibli au fil du temps. Pour moi, défendre le français ici, individuellement comme par des moyens législatifs comme cela se fait dans un grand nombre de pays, c’est avant tout défendre la diversité culturelle dans un monde de plus en plus interconnecté, mais qui ne devrait pas tendre à l’homogénéité sous l’impérialisme culturel américain. Chaque être humain est spécial, chaque peuple aussi. Cette richesse de notre civilisation, il faut la préserver et, plus encore, travailler à ce qu’elle s’épanouisse.

Du discours aux accents francophobes de Sugar Sammy, on dira que ce ne sont que des blagues… Et c’est heureux que les Québécois aient le sens de l’humour, – moi aussi. Mais quand on insulte à répétition une communauté entière au même titre qu’un individu, pour ensuite se draper du voile vertueux de l’Humour avec un grand H, ceux qui font l’objet de ces blagues finissent forcément par rire jaune.

Rire avec le monde, comme le faisait si lucidement et intelligemment Yvon Deschamps, par exemple, c’est une chose. Mais rire du monde, du monde qui t’admire, qui t’a accueilli et accepté dans ta différence et qui, jusqu’à un certain niveau, est amplement capable d’autodérision, rire du monde tout le temps, systématiquement, pour ma part ce n’est pas mon genre d’humour, et je ne suis pas le seul…

L’humour de Deschamps auquel réfère souvent Sugar Sammy, était un humour progressiste et subversif au sens pur du terme, c’est-à-dire qu’il défendait les plus vulnérables, les gens ordinaires, contre le système: les pauvres, les travailleurs, les femmes et… bien sûr, la minorité francophone que nous formons dans le Canada. Yvon Deschamps a toujours été un grand défenseur du français. Mais l’humour de Sugar Sammy n’a rien de tout cela, considérant que la langue anglaise est la langue dominante et n’est évidemment pas menacée en Amérique du Nord où elle est parlée par plus de 300 millions de locuteurs. Son humour prône au contraire le renforcement d’un système qui fragilise à petit feu le français au Québec et qui a presque déjà fini d’angliciser tout le Canada français.

En fait, l’humour de Sugar Sammy, cet ancien jeune libéral, apparaît comme un humour militant, comme l’a fait remarquer Mathieu Bock-Côté, bien plus que l’œuvre d’un humoriste « anthropologue » qui soulèverait des questions de société, comme le prétend l’artiste. À tout le moins, s’il entend vraiment soulever des questions de société par son humour méprisant, Sugar Sammy a déjà toutes les réponses: il faut ridiculiser le combat linguistique québécois et faire comprendre à tous que les principes défendus par René Lévesque, Camille Laurin et tant d’autres, ça ne vaut rien…

Sugar Sammy affirme se moquer de tout le monde de manière égale, mais c’est simplement faux: il prend spécifiquement pour cible le Québec et cela, sous un angle politique et non simplement anecdotique ou caricatural. Et c’est comme cela, par la controverse, qu’il entend se faire connaître. Force est de constater qu’il a bien réussi.

 ***Malgré nos vérifications, le courriel ordurier reçu hier et dont j’ai parlé à LCN se révèle finalement un habile canular. Les gérants, américains ou québécois, de Sammy n’y sont pour rien.