Journaliste, animatrice et autrice, Claudia Larochelle n’a pas peur d’afficher son amour et de poser des gestes quotidiens pour protéger et rendre hommage à cette langue qu’elle dit sexy et pleine de saveur.
par Marie-Anne Alepin | LE PATRIOTE
Claudia, quelle a été votre première réaction lorsque vous avez pris connaissance du résultat catastrophique du français à Montréal révélé par le Bureau d’enquête?
Je n’étais pas étonnée, mais en même temps, je l’étais. Je vois aussi le déclin dans Rosemont où je vis. Ce recul du français était là bien avant l’enquête. Mais en voyant sur papier le résultat de l’enquête dans le Journal de Montréal, ça a exacerbé mon envie de faire quelque chose de manière concrète, d’autant plus que maintenant, et de plus en plus, je gagne ma vie avec l’écriture. Non seulement avec mes livres, mais beaucoup aussi avec le français en tant que communicatrice et en tant que journaliste. Il y a plein de gens autour de moi qui travaillent exclusivement en français et qui ne sont pas conscients que si ce recul se poursuit, ils ne pourront plus travailler dans leur langue. J’ai envie que mes enfants et peut-être mes petits-enfants puissent travailler en français et que les livres de mes pairs et des miens soient lus pendant des décennies parce qu’ils seront en français.
Est-ce une question de génération et est-ce que vos enfants voient ce clivage ?
Mes enfants ont 4 et 7 ans, donc ils ne sont pas dans ces questions. Là, la seule chose qu’on est en train de faire leur père et moi c’est d’allumer la flamme de l’amour pour les mots, le français et la littérature. Oui, je pense qu’il y a une question générationnelle, mais sans faire de généralité. Il y a toujours des exceptions, comme le Mouvement des jeunes souverainistes qui a fait une manifestation en décembre. Quand j’ai vu ce communiqué-là rentrer dans ma boîte de messages, c’était comme une tonne de briques qui tombait. Ah enfin des jeunes qui ont ça à coeur. Je suis très rassurée, car ces jeunes ont un bon discours. Je vais les suivre de près.
« Il faut cultiver la mémoire,
le souvenir
et le respect de nos ancêtres. »
Et que peut-on faire auprès des jeunes pour les conscientiser ?
Il faut cultiver la mémoire, le souvenir et le respect de nos ancêtres. On se doit de respecter ses premières militantes et premiers militants qui se sont battus. Il faudrait faire un volet à ce sujet dans les écoles pour cultiver cette flamme et la garder allumée. Je comprends qu’en ce moment, c’est l’environnement qui est au coeur des combats, mais pour moi l’un ne va pas sans l’autre. Ça nous revient à tous de transmettre cette flamme-là et comme je dis, ce n’est pas parce qu’on est féministe, environnementaliste, qu’on ne peut pas être pro-langue française puis vouloir conserver nos atouts.
Quelles actions concrètes pouvons-nous faire ?
Il y a une mobilisation certaine qui doit être faite et le gouvernement se doit de penser à des stratégies afin qu’il y ait des actions concrètes dans les écoles et dans les entreprises. Il y a des gestes à poser pour qu’il y ait une sensibilisation puis une conscientisation. Ça passe aussi beaucoup par les artistes parce qu’ils sont rassembleurs et c’est là qu’il ne faut jamais penser qu’ils n’ont pas un rôle fondamental et important dans notre société. Ce sont les artistes qui allument les flammes dans le coeur des gens et qui animent les premiers émois pour mener un combat. David Goudreault en est un véritable exemple avec son nouvel album Nouvelle matière et sa chanson J’en appelle à la poésie. C’est un véritable hymne à la langue française, à la poésie et à nos valeurs nationales. C’est à faire écouter dans les écoles. Donc, les artistes ont un rôle important. Et je trouve que justement, en pandémie, on leur donne beaucoup trop de claques dans la face.
Un mot sur la loi 101…
Je souhaite des mesures plus musclées, des corrections, des amendes par exemple pour les commerces qui ne respectent pas cette loi-là. Pas seulement des avertissements à n’en plus finir. J’ai l’impression qu’il y a des commerçants qui s’en sacrent. Moi, je veux voir les preuves. Combien de fois j’ai dénoncé sur Twitter directement en taguant les dirigeants. J’ai l’impression qu’on lance des affaires dans l’univers, mais qu’on n’en voit pas les résultats concrets. Je suis très curieuse de voir les mesures qui seront mises de l’avant pour Montréal.
Et il faudrait valoriser la francisation de nos supers nouveaux québécois et les encourager à embarquer dans notre bateau, dans notre langue et dans notre culture…
Mais oui parce que le bateau, on l’a manqué il y a quelques années avec les nouveaux arrivants. Je suis d’origine italienne lointaine et je peux constater qu’il y a un clivage entre les italiens qui sont allés à l’école en anglais et les autres en français. Ils ont grandi dans la culture en anglais et beaucoup à Montréal parce que ce sont les portes de l’école en anglais qu’on leur ouvrait. Il est vraiment important que les nouveaux arrivants soient pris en charge en francisation et d’une manière très naturelle, accessible, mais formelle, obligatoire. Dès leur arrivée, il faut démontrer que le français, c’est notre langue et que c’est celle-ci qu’ils devront utiliser et tout ça sans oublier évidemment d’honorer leurs valeurs et racines. Libre à eux de parler d’autres langues, mais ici, c’est le français. Elle est importante parce qu’elle est à la base de plusieurs mouvements, de plusieurs combats qui ont été menés depuis longtemps au Québec.
Parlons un peu de la beauté de la langue française…
La langue française, c’est une langue qui emprunte aux racines latines, qui emprunte aux racines de pleins de cultures. C’est une langue sexy, avec un éventail de beauté, de paillettes, de saveurs. C’est une langue porteuse et elle se déploie de toutes sortes de manières, que ce soit en poésie, dans la fiction, dans les communications… Nous sommes des fiers porteurs de cette langue-là aussi par-delà nos frontières. Et le français dans le monde a une position très importante et je ne pense pas qu’il y aura un déclin majeur. Là où j’ai peur du déclin, c’est chez moi, au Québec et surtout à Montréal.
« …pourquoi on se met à parler tous en anglais dans
une réunion où il y a juste un anglophone ? Il y a une
forme d’abaissement qui se perpétue depuis plusieurs
années. »
Est-ce que dans l’étape de l’urgence où nous sommes rendus, il faudrait vraiment que les concitoyens s’impliquent davantage au niveau politique ?
Bien sûr. Puisque ça passe beaucoup par les programmes, il est important de bien choisir nos élus lorsque nous allons voter. Il faut faire pression auprès d’eux. Aussi, les gens peuvent poser des petits gestes comme par exemple à adhérer à la Société Saint- Jean Baptiste de Montréal et de s’informer et de s’intéresser à ce qu’elle fait. Ou adhérer à d’autres organisations comme le Mouvement pour le Québec français. Mais nous avons également un rôle au quotidien. Par exemple, pourquoi on se met à parler tous en anglais dans une réunion où il y a juste un anglophone ? Il y a une forme d’abaissement qui se perpétue depuis plusieurs années. C’est comme si on n’est pas capable de sortir de nos tripes le gène de la soumission.
Est-ce tabou selon vous de militer pour défendre le français ?
Un peu et il faut absolument le casser. Lorsque j’étais au secondaire, c’étaient les années post-référendaires et c’était tellement animé. On portait nos chandails avec la fleur de lys et on était vraiment motivé à bien appliquer la langue française. Je pense qu’on a perdu cette motivation avec le temps et que ceux qui sont encore très impliqués aujourd’hui, sont les mêmes qui dans ces années étaient les premiers à monter aux barricades. Je suis une fille de souverainistes. Donc, pour moi, c’était tout à fait naturel de reprendre le flambeau. Mes parents sont encore très allumés et sensibles parce qu’ils ont vu leurs parents souffrir. Je ne sais pas si les jeunes d’aujourd’hui sont conscients de comment étaient traités leurs arrière-grands-parents et de la manière dont ils étaient rabaissés à l’usine ou dans toutes les institutions. Ces connaissances passent par l’éducation. On connaît beaucoup l’histoire du combat féministe, celui de nos grands-mères, de nos arrière-grands-mères qui étaient complètement ostracisées et mises de côtés. Mais est-ce qu’on sait aussi qu’il y avait ce même mépris-là à l’endroit des canadiens français? Pour utiliser le mot de l’époque.
Camille Laurin, père de la loi 101 explique qu’ultimement la plus grande mesure à appliquer serait de faire du Québec un pays. Parlez-moi de vos convictions.
Je me rappelle d’avoir pleuré toutes les larmes de mon corps à la dernière défaite référendaire. Les années ont passées et la flamme nationaliste et souverainiste en moi s’est peu à peu affaiblie. Je sais que je ne suis pas la seule dans cette posture-là. Et de plus en plus, je suis devenue une orpheline politique. Je n’adhérais plus au Parti Québécois et je me cherchais une identité politique. J’ai erré longtemps. Je suis même allée annuler des votes. Je ne me reconnaissais plus dans la politique comme Québécoise. Et depuis quelques mois, ça revient et je reconnais en moi ce qui m’avait allumé dans les années 90. Je pense que tout n’est pas fini et je ne suis pas la seule à ressentir cette ferveur initiale se raviver.
Est-ce que vous pensez que le recul du français est lié avec un certain déclin du mouvement nationaliste et souverainiste ?
Oui, je pense que c’est lié un peu, mais pas que. Il y a des éléments extérieurs qui sont apparus au fil des années auxquelles nous avons accordé de l’importance. L’environnement a pris beaucoup de place, et tant mieux, la mondialisation, les réseaux sociaux, etc. L’espace consacré à l’amour du français est passé au second plan. Il est temps de créer des ponts entre le français, la mondialisation, la cause environnementale, la cause féministe et de mêler les ficelles de toutes ces batailles.
Vous misez sur quoi pour la protection du français ?
Je mise beaucoup sur la francisation – transmission. Il y a une passation des passions à faire. Il y a les plus âgés qui ont à transmettre aussi cet amour aux plus jeunes. Il faut transmettre aussi la peur du déclin en parlant avec le coeur. C’est fondamental de créer des ponts entre les générations parce qu’on a perdu la mémoire et le respect de ceux qui étaient là avant nous. Et on doit laisser plus de place à nos aînés et leur donner davantage le micro. On est dans le culte de la jeunesse. Dans les médias, nous entendons les mêmes discours, car la parole n’est pas assez donnée aux plus âgés. On ne les entend pas, on ne les voit plus, ils sont absents. Pourtant, ils ont des mots pertinents pour allumer la flamme de certains combats dans le coeur des plus jeunes. La transmission, c’est fondamental.
Claudia, un dernier mot…
J’aimerais passer un message concernant les bibliothèques dans les écoles publiques de Montréal qui tombent en ruine. Ce sont les poumons d’une école qui permet de donner de l’air, de respirer et de donner un refuge à des jeunes. En ce moment, certains enseignants paient de leur poche des milliers de dollars chaque année pour améliorer sa classe pour faire un coin lecture. Le combat pour la langue française ne va pas sans le combat pour l’alphabétisation. Un peuple qui lit, un peuple qui écrit, un peuple qui a à coeur sa littérature et sa langue est un peuple meilleur.
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Nous pouvons entendre Claudia Larochelle à Plus on des fous plus on lit tous les mercredis 13 h sur Ici Première, son recueil Les Bonnes Filles plantent des fleurs au printemps est attendu au printemps en réédition augmentée chez Leméac et son livre pour enfant La Doudou aime les bisous (illustration Maira Chiodi) est sorti le 10 février chez La Bagnole.