Alerte! Québécois dangereux!

Blogue de Mathieu Bock-Côté publié dans le Journal de Montréal le 8 septembre 2012

«Disons les choses comme elles sont: on déteste les souverainistes au Canada. On les soupçonne du pire. Contre eux, tout est permis. Surtout les pires injures. Même la pire: on les traite de nazis. Mais quand on nazifie les souverainistes, on ne cherche pas la chicane, n’est-ce pas? Non. Et quand on mobilise l’arsenal rhétorique de l’antifascisme pour combattre Pauline Marois? Toujours pas. Quand on accuse les péquistes d’anglophobie et de xénophobie, non plus? Il faut tendre l’autre joue? Mais lorsqu’on a tendu les deux? Les Québécois sont patients. Le Quebec bashing révèle une forme de «québécophobie» historiquement structurante de la culture politique majoritaire au Canada anglais. À travers le souverainisme, ce qu’on attaque, c’est la légitimité même du nationalisme. Ou plus exactement, la définition du Québec comme nation aspirant à une existence singulière. Ce qu’on ne tolère pas, ce pour quoi on a une aversion, c’est la prétention nationale des Québécois.»

[…] Mais il y a aussi pire que cette hargne dont on avait presque perdu l’habitude. Il y a la tutelle bienveillante associée à l’ordre constitutionnel de 1982. Au fil des années, elle s’est consolidée, en engendrant une idéologie officielle faite de chartisme et de multiculturalisme avec laquelle toute manifestation sérieuse du nationalisme québécoise entrera en contradiction. Cette idéologie est dominante dans les médias canadiens-anglais.
Cette idéologie canadienne s’est manifestée hier avec une déclaration de Graham Fraser, le commissaire fédéral aux langues officielles – un homme public de grande qualité, par ailleurs. S’inquiétant de la «nouvelle loi 101» annoncée par Pauline Marois et de son extension au niveau collégial, il l’invite à ne pas l’appliquer et rappelle que la loi 101 a été régulé historiquement par la Cour suprême au nom de la Charte. Cette déclaration est très révélatrice.
[…] Faut-il désormais se tourner vers la Cour suprême d’Ottawa pour prier, en multipliant les courbettes sacrées en récitant un catéchisme constitutionnel? Le Canada joue au pays ouvert où la question nationale québécoise devient d’un coup folklorique.
Derrière cela, on trouve une autre thèse qui s’est constituée au croisement du vieux mépris anglo-saxon pour les Québécois francophones et du trudeauïsme: les Québécois, laissés à eux-mêmes, feront des folies. Piétiner les droits. À la manière d’une bande de Serbes d’Amérique. Délivrez les Québécois de l’ordre canadien, ils passeront à la dictature souverainiste et pratiqueront le nettoyage ethnique. C’est ainsi qu’on interprète souvent tout ce qui relève de la loi 101.

Autrement dit : imaginez jusqu’où les Québécois iraient sans les limites imposées par le Canada chartiste!
C’était la conviction de Trudeau: la démocratie n’appartiendrait pas au code culturel des Québécois. Et pour leur plus grand bien, leur appartenance au Canada les retiendrait contre la mauvaise part d’eux-mêmes. Elle les éduquerait à la démocratie. Le Canada nous civiliserait aux droits des minorités et refoulerait notre psychologie liberticide. Les Britanniques s’en seraient chargés. Les mandarins fédéraux auraient pris le relais. La défense de l’identité québécoise ne serait légitime que sous la surveillance du pouvoir fédéral qui l’encadrerait au-delà de notre volonté.
Il faut dire que cette thèse fait l’affaire d’un Canada anglais qui aime bien entretenir le mythe d’une minorité québécoise geignarde entretenant un système social couteux à coups de transferts fédéraux. Cette thèse le rassure aussi dans sa prétention à nous protéger contre nous-mêmes. En exerçant sa souveraineté sur les Québécois, il œuvre pour le progrès démocratique. La souveraineté canadienne s’applique au Québec pour des raisons humanitaires. Faut-il dire merci?