Brillante reconnaissance posthume pour Marcel Barbeau

Éric Clément | La Presse

(QUÉBEC) Marcel Barbeau avait longtemps rêvé d’une grande rétrospective muséale. Le voeu du peintre québécois mort en 2016 a finalement été exaucé à Québec par le Musée national des beaux-arts du Québec, qui rend un hommage admirable au plus libertaire des signataires de Refus global avec une exposition  raffinée présentée jusqu’au 6 janvier.

L’ex-directrice du Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ), Line Ouellet, l’avait annoncé le jour des obsèques de Marcel Barbeau. Le souhait du peintre d’obtenir une rétrospective muséale serait exaucé à Québec. Il l’avait appris quelques semaines avant sa mort.

Le musée national a tenu promesse, et de belle façon, grâce au travail de la commissaire Eve-Lyne Beaudry, assistée par la compagne du peintre et historienne de l’art Ninon Gauthier.

Marcel Barbeau: En mouvement est une brillante reconnaissance posthume faite à cet artiste aventurier souvent dénigré et mal compris et dont la singularité est soulignée en grand. A fortiori dans ce splendide pavillon Lassonde, le meilleur écrin qui soit pour les bijoux de Marcel Barbeau.

On y retrouve le foisonnement de cet explorateur libertaire du non-figuratif et de l’automatisme plastique, cet artiste du mouvement qui a touché à la peinture, au dessin, à la sculpture, au collage et à la performance. Barbeau, homme libre qui a sans cesse chéri son goût de l’art et ouvert de nouvelles portes.

Une centaine d’oeuvres forme le parcours qui retrace les différentes périodes de Marcel Barbeau. Dans une scénographie soignée, les grands espaces du nouveau pavillon se prêtent à merveille aux formats de l’artiste.

Chant d’amour, 1990 (produite en 2018), Marcel Barbeau, acier peint. Collection Dr Félix-André Têtu.
PHOTO PASCAL RATTHÉ, FOURNIE PAR LE SOLEIL

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Chant d’amour, 1990 (produite en 2018), Marcel Barbeau, acier peint. Collection Dr Félix-André Têtu.

PHOTO PASCAL RATTHÉ, FOURNIE PAR LE SOLEIL

Dans la première salle, Nadja 1 (1946) et la série des Fonds marins (1953) – marquée par une abstraction «paysagesque» – sont déjà révélateurs de sa signature gestuelle. Puis, son expression inspirée de ses lectures surréalistes évolue à la suite de sa découverte du monde microscopique avec le tachisme en 1954-1956. Quel bonheur de contempler Prairie naissante et Natashkouan, deux oeuvres complexes d’une prodigieuse beauté…

Dans la salle suivante, Barbeau est déjà parti ailleurs! Avec ses créations «sonores» minimalistes au feutre, de 1958 et 1959, qui découlent de sa découverte de la musique contemporaine. Puis ses gouaches noires où l’automatisme cède la place à une démarche mûrie et organisée (avec ses grands Junon et Bec de brise).

Place à la cinétique

Son passage à Paris, de 1962 à 1964, le réconcilie avec les couleurs vives. Il abandonne l’huile pour l’acrylique. De sa phase cinétique, la commissaire a retenu une douzaine d’oeuvres, toutes fascinantes avec ce jeu de lignes colorées qui furent assimilées à des cordes de guitare. Logiquement, sa phase new-yorkaise (de 1964 à 1968) a suivi avec ses oeuvres d’art optique, comme sa célèbre Rétine virevoltante et sa Rétine-achale-moé pas qui donne le tournis après quelques secondes! Quel travail!

Après le mouvement ondulatoire, les toiles prennent du volume. Ce sont les tableaux-objets qui deviendront des sculptures dans les années 70, «transposant dans l’espace concret les lignes de ses dessins gestuels», écrit Eve-Lyne Beaudry dans le catalogue fouillé qui accompagne l’expo.

Viennent en même temps les danses picturales en public et en musique. De cette période, on admire les toiles Kitchenombi et Rousserole-effervate ainsi que des photos de ses performances spectaculaires, notamment à la Place des Arts en 1978.

Au coeur de l’exposition, dans la salle des Anaconstructions de Marcel Barbeau, un espace a été créé pour permettre aux visiteurs, petits et grands, de laisser aller leur créativité et de réaliser leurs propres « anaconstructions ».
Photo Idra Labrie, fournie par le MNBAQ

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Au coeur de l’exposition, dans la salle des Anaconstructions de Marcel Barbeau, un espace a été créé pour permettre aux visiteurs, petits et grands, de laisser aller leur créativité et de réaliser leurs propres « anaconstructions ».

PHOTO IDRA LABRIE, FOURNIE PAR LE MNBAQ

On peut d’ailleurs visiter cette exposition avec l’univers musical de Barbeau dans les oreilles grâce à un parcours sonore réalisé par le compositeur contemporain Yannick Plamondon.

Traitement expéditif

À la fin des années 70, le lauréat du prix Paul-Émile-Borduas était retourné à ses giclures, au tachisme et aux couleurs de son cher Charlevoix. L’exposition saute toutefois le début des années 80 (avec notamment ses oeuvres lyriques de 1982) pour s’attacher aux formes géométriques de ses Anaconstructions des années 90 et 2000 qui ont marqué les esprits.

Marcel Barbeau aura rejeté les étiquettes et les modes, se remettant toujours en question, épousant le hasard et l’intuition. Vers la fin de sa vie, il a hybridé ses divers chemins pour des résultats d’un esthétisme fabuleux, comme son oeuvre Pour un air de guitare. Mais bien d’autres aussi. On peut d’ailleurs regretter le peu d’espace réservé à cette dernière période, colorée, jeune d’esprit et remplie d’optimisme.

Ceci dit, l’exposition demeure nourrissante et «cohérente», selon la réalisatrice Manon Barbeau, fille du peintre. «C’est un coup de pinceau géant, je suis subjuguée, a-t-elle dit à La Presse, mercredi. Elle permet de retrouver l’audace artistique de papa.»

Pour Ninon Gauthier, qui a vécu près d’un demi-siècle avec Marcel Barbeau, cette rétrospective met en relief la dimension internationale de l’artiste. «J’espère qu’elle sera suivie par d’autres sur la scène internationale, dit-elle. De plus en plus d’expositions en Europe incluent ses oeuvres. Il serait temps que les Américains en fassent autant. En tout cas, cette exposition est une belle reconnaissance. Enfin!»

La visite peut avantageusement être complétée par un passage à la galerie Michel Gaumont, près de la gare du Palais. Le galeriste a en effet consacré son expo d’automne aux Automatistes afin de marquer les 70 bougies de Refus global.

Avec 35 oeuvres de Jean Paul Riopelle, Marcelle Ferron, Fernand Leduc, Marcel Barbeau, Françoise Sullivan, Pierre Gauvreau et même des encres de Claude Gauvreau. Des créations qui illustrent l’évolution de leur style et la grande diversité d’expression de ces artistes qui ont marqué les arts plastiques de leur empreinte.

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Marcel Barbeau: En mouvement, au Musée national des beaux-arts du Québec (parc des Champs-de-Bataille, Québec), jusqu’au 6 janvier.

 

 

 

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