C’est comme ça dans les colonies…

Josée Legault | Journal de Montréal

 

Adidas est une compagnie vachement chanceuse.

La controverse l’entourant depuis que le jeune gérant de sa boutique à Montréal ait dit vouloir prononcer quelques mots en français pour «accommoder» les francophones ne l’a même pas décoiffé d’un poil.

Au contraire. Dans les faits, comme un troupeau de moutons bien domptés, les files de consommateurs chroniques ne cessent de s’allonger devant sa boutique montréalaise pour se procurer leur dernière paire d’espadrilles ultra-chères.

Peuple à genoux, attends tes running shoes

Du bout de ses lacets richissimes, il aura même fallu trois jours à Adidas pour s’excuser de la bourde de son jeune gérant, mais une fois seulement que la controverse ait rebondi jusqu’à l’Assemblée nationale.

Oui, oui, ce même parlement où depuis plus de vingt ans, les gouvernements se balancent complètement eux-mêmes du sort de la langue française au Québec.

Faut croire que c’est comme ça dans les colonies…

Après la re-provincialisation accélérée du Québec depuis le référendum de 1995, voilà en effet que de vieux réflexes de colonisés refont surface. Et ce, jusqu’à l’Assemblée nationale.

Ah, cette pauvre question linguistique. Défendue becs et ongles par le gouvernement Lévesque dans son premier mandat, dès 1996, le nouveau premier ministre Lucien Bouchard s’empressait de la balayer sous le tapis avec le reste du programme du Parti québécois, dont sa propre option souverainiste.

Depuis, la question linguistique croupit au 36e sous-sol des partis politiques devenus indifférents au véritable socle de l’âme et de l’identité québécoise.

Tellement que le gouvernement actuel se préoccupe nettement plus de la minorité anglophone, pourtant la communauté linguistique déjà la plus gâtée du pays en termes de droits et d’institutions.

Au lieu de chouchouter les anglophones à des fins électoralistes tout en admonestant ce jeune gérant d’Adidas, le premier ministre Philippe Couillard ferait beaucoup mieux de s’occuper du recul de la langue officielle du Québec.

Ah, cette pauvre question linguistique. Devenue ringarde aux yeux de plusieurs, y compris les élus eux-mêmes, dans un tel contexte, comment osent-ils même blâmer ce pauvre gérant d’une boutique d’Adidas?

Après tout, en reléguant brutalement le français au rang de «langue seconde», il s’est tout simplement comporté en bon colonisé de la même manière que le font nos propres gouvernements depuis deux décennies.

En plus d’avoir gravement affaibli le processus même d’intégration et de francisation des nouveaux arrivants, une fois que ces mêmes gouvernements auront également terminé leur travail honteux de sape de l’enseignement de l’histoire même récente du Québec, non seulement les plus jeunes, comme c’est d’ailleurs déjà le cas, ne sauront pas ce que contient la Loi 101, ils ne seront même plus au courant de son existence et encore moins de sa raison d’être.

Je le sais parce qu’à chaque fois que je donne une conférence sur l’historique de la question linguistique, dont la Loi 101 elle-même, je me retrouve inexorablement devant des jeunes qui n’en savent déjà plus rien, ou presque.

Mais vous savez quoi ? Une fois la conférence terminée, les questions pleuvent parce que, tout à coup, ils veulent en savoir encore plus.

Et vous savez quoi ? Une fois qu’ils en savent plus, ils viennent me dire à quel point on ne leur en a JAMAIS parlé à l’école, ou si peu.

Et vous savez quoi ? Une fois qu’ils en savent plus, ils me disent comprendre ENFIN pourquoi il est nécessaire de recourir à des mesures COERCITIVES pour défendre la langue française face à l’immense pouvoir d’attraction de l’anglais auprès des nouveaux arrivants et maintenant, de plus en plus, auprès des jeunes francophones eux-mêmes.

Comme quoi, une fois dûment INFORMÉS et SENSIBILISÉS aux FAITS – et non pas à des IMPRESSIONS -, ces jeunes sont parfaitement capables de comprendre l’importance d’agir pour mieux protéger la langue française au Québec.

Et vous savez quoi ? Ils me demandent pourquoi nos gouvernements refusent d’agir pour contrer le recul évident du français dans la grande région métropolitaine et l’Outaouais.

Et vous savez quoi ? Je leur réponds la vérité : parce qu’ils ont intériorisé eux-mêmes le discours anti-loi 101 voulant que tout renforcement de celle-ci serait perçu comme un geste trop «radical».

Ce qui, inévitablement, nous ramène au titre de ce billet : «C’est comme ça dans les colonies»…

 

 

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