Cour suprême: le bilinguisme n’est pas essentiel, croit le commissaire aux langues

Mélanie Marquis | La Presse

 

Le commissaire désigné aux langues officielles, Raymond Théberge, ne semble pas convaincu de la nécessité, pour les juges de la Cour suprême du Canada (CSC), d’être bilingues.

Celui que Justin Trudeau a choisi pour occuper le poste de chien de garde des deux langues officielles du Canada a affirmé mardi, devant le comité permanent des langues officielles, que le bilinguisme des magistrats du plus haut tribunal au pays était souhaitable, mais «complexe».

«En principe, moi, j’y crois; en pratique, jusqu’à quel point est-ce qu’on va représenter la diversité canadienne à la Cour suprême? C’est la Cour suprême de tous les Canadiens, donc au niveau pratique, on doit commencer à songer qu’est-ce que ça veut dire», a-t-il argué.

Lorsque la députée qui le questionnait, la néo-démocrate Anne Minh-Thu Quach, l’a invité à préciser sa pensée, il a évoqué le caractère «multiculturel» du Canada et fait référence au récent débat sur la difficulté de dénicher un juge autochtone qui maîtrise les deux langues.

L’élue l’a interrompu pour lui demander de dire clairement si, à son avis, les juges devaient être bilingues ou pas. «Officiellement bilingues, absolument. Ça ne veut pas dire que l’un (le multiculturalisme) à l’encontre de l’autre (le bilinguisme)», a répliqué Raymond Théberge.

À l’issue de son témoignage, qui a dû être ajourné en raison d’un pépin technique, le Franco-Manitobain a refusé de répondre aux questions des journalistes, même si ces derniers ont fait valoir que ses propos semaient la confusion.

Après tout, l’ancien commissaire Graham Fraser, qui a tiré sa révérence en décembre dernier, a toujours été bien clair sur cette question: il a toujours soutenu que le bilinguisme des juges de la Cour suprême du Canada était essentiel.

En sortant de la salle de comité, la députée Quach a dit avoir trouvé Raymond Théberge «ambivalent» et «mou» sur cette question. Elle a signalé que son parti reviendrait à la charge lorsque le témoin viendra terminer ce qu’il avait commencé – possiblement jeudi.

Son collègue conservateur Alupa Clarke, qui présidait la réunion, a trouvé curieux les propos du commissaire désigné. Mais selon lui, cela ne devrait pas nuire à ses chances de voir sa nomination avalisée en comité, puis en Chambre et au Sénat.

«Quand même, on ne fera pas une deuxième crise non plus», a-t-il lâché en évoquant la nomination avortée de Madeleine Meilleur.

«À ce jour, on ne voit rien de partisan. Donc c’est pas vrai que je vais faire une crise juste pour faire une crise politique, pour faire des médias. C’est complètement ridicule», a enchaîné le député Clarke.

Au bureau de la ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, on n’a pas voulu réagir directement aux propos de Raymond Théberge.

«Il est indépendant, et je pense qu’il va répondre aux questions qui s’adressent à lui. Ce ne sera pas nous qui va commenter là-dessus. Nous, notre position est très claire», a insisté en entrevue téléphonique Simon Ross, son attaché de presse.

Il a fait valoir que le gouvernement libéral juge «absolument essentiel que les juges de la Cour suprême soient bilingues», et qu’il l’avait prouvé en y nommant deux magistrats qui maîtrisent tant la langue de Molière que celle de Shakespeare.

La plus récente en lice, la juge de l’Alberta Sheilah Martin, participait justement quelques heures auparavant à une séance de questions et de réponses. La native de Montréal a affirmé que le bilinguisme lui apparaissait nécessaire pour le poste.

«Les plaideurs francophones, les avocats qui rédigent les mémoires en français, moi, je dois (leur) accorder le respect de le lire et de comprendre – et bien comprendre – les subtilités en français», a-t-elle plaidé auprès des parlementaires qui l’interrogeaient.

Le gouvernement de Justin Trudeau, qui a été échaudé par la nomination ratée de la candidate initiale pour le poste de commissaire aux langues officielles, Madeleine Meilleur, espère régler le dossier de Raymond Théberge avant le départ pour le congé des Fêtes.

L’affaire progressait rapidement avant l’interruption forcée de la rencontre du comité, mardi après-midi. Nommé jeudi dernier par le premier ministre, le recteur de l’Université de Moncton est débarqué au Sénat dès la reprise des travaux, lundi soir.

Le Franco-Manitobain a reçu devant le comité plénier de la chambre haute un accueil quelque peu mitigé, certains sénateurs remettant en question sa capacité d’assumer pleinement son rôle de chien de garde.

Le sénateur libéral indépendant Serge Joyal a suggéré qu’il n’avait pas tout le mordant que doit avoir cet agent du Parlement.

Son interlocuteur a répliqué en arguant que le style de médiateur qu’on semble vouloir lui reprocher était possiblement plus «utile pour faire avancer les dossiers» que d’aller «seulement deux ou trois fois aux barricades» et qu’«ensuite, on ne nous écoute plus».

Le poste de commissaire aux langues officielles, dont le mandat est d’une durée de sept ans, vient avec un salaire de 314 100 $. Il est présentement occupé sur une base intérimaire par Ghislaine Saikaley.

SOURCE