Courtepointes laurentiennes

par Gilles Rhéaume | Journal Le Patriote

Depuis maintenant un demi-siècle, je fais de mon mieux pour qu’advienne rapidement l’indépendance de notre patrie bien aimée, le Québec. C’est en 1965, en effet, que je devins indépendantiste et je n’ai jamais cessé depuis lors d’essayer de convaincre les autres de l’urgence et de la nécessité de l’indépendance. Cinquante ans plus tard, les mêmes sentiments animent mon engagement chaque jour davantage. Quinze mille jours se sont écoulés depuis ces lointaines années verdunoises. C’était le temps de l’Expo comme le dit si bien la chanson. Cette chronique, Un demi-siècle de souvenirs patriotiques, rappellera certains événements et certaines figures de proue du mouvement québécois

En 1965, la locomotive du mouvement québécois naissant, c’est un jeune parti politique, le RIN, le Rassemblement pour l’indépendance nationale et son jeune chef aux cheveux et sourcils blancs comme neige, Pierre Bourgault, qui crève l’écran noir et blanc de la télévision québécoise, qui passera à la couleur l’année suivante. Pour un adolescent, l’action de ces « séparatistes » du XXe siècle s’apparentait à celle des Patriotes de 1837 et de Papineau, que nous apprenions à l’école dans le cours d’histoire. Faire du Québec un pays ! Un pays comme ces 62 États qui participeront à l’Exposition universelle de Montréal en 1967 dont la venue annoncée excitait l’imagination de tout un peuple, notamment chez les plus jeunes.

En plus de cette fièvre de l’Expo qui traversait la société en tous sens, c’était aussi l’époque des chansonniers et des boîtes à chansons qui portaient aussi le pays en devenir. Félix, Vigneault, Lévesque, Léveillée, Gauthier, sans oublier la sublime Pauline Julien, qui venait en 1964 de refuser de chanter devant la reine Élizabeth II.

Pauline Julien
Pauline Julien

Je crois qu’un des premiers gestes de protestation contre le régime en place, que j’ai délibérément posé, fut de refuser de me lever en classe, comme un troupeau de moutons et d’entonner en choeur et avec ardeur, chaque vendredi, le Ô Canada transmis par le biais de haut-parleurs installés partout tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du bâtiment scolaire verdunois.

Comme c’était aussi le cas pour près d’un million de nos compatriotes, le 24 juin, chaque année, nous entraînait massivement hors de nos petites patries pour nous conduire aux fêtes de la Saint-Jean au coeur de Montréal. Au parc Jeanne-Mance, sur le mont Royal, feux de joie et feux d’artifices chaque 23 juin. Le lendemain, une autre tradition nous attirait vers le fameux défilé de la Fête nationale, sur la rue Sherbrooke, qui partait de la rue Atwater, tambours battants et chars allégoriques en prime avec fanfares et drapeaux du Québec, jusqu’au parc Lafontaine. Que c’était beau à voir !

1965, c’est aussi mon premier contact politique avec la SSJB de Montréal par le biais du fameux défilé qui se clôturait par les marcheurs de Réginald Chartrand, les Chevaliers de l’indépendance, avec leur gaminet noir et son slogan, non encore célèbre, mais combien explicite, VIVE LE QUÉBEC LIBRE en lettres capitales. Cette présence indépendantiste attirait la sympathie des jeunes comme un aimant. Je fus gagné à cette cause pour la vie. Le 24 juin est alors devenue ma journée !

Photographie prise à la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal à l’occasion du lancement d’un ouvrage de Raymond Barbeau. On y reconnaît Marcel Chaput, Réginald Chartrand, Raymond Barbeau et Raoul Roy. [16 mai 1977]. Source : Centre de recherche Lionel-Groulx, P31/T1,62.3.
Photographie prise à la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal à l’occasion du lancement d’un ouvrage de Raymond Barbeau. On y reconnaît Marcel Chaput, Réginald Chartrand, Raymond Barbeau et Raoul Roy. [16 mai 1977]. Source : Centre de recherche Lionel-Groulx, P31/T1,62.3.

L’école secondaire devint naturellement pour moi le lieu privilégié de mon engagement indépendantiste naissant. Ces années sont aujourd’hui connues comme étant celles de la Révolution tranquille. Tout changeait. Dans tous les domaines un vent de changements soufflait tous azimuts. Du jour au lendemain, les prêtres, les religieux et les soeurs abandonnèrent leur costume. Les soeurs avaient donc des cheveux ! À l’église, tout se mit à se dérouler en français. Et la rumeur voulait que le Pape ait dit qu’il n’y avait plus de péché !

Les bombes du FLQ sautaient depuis quelques années à peine. Les Anglais de Verdun me fatiguaient. Ils habitaient les beaux quartiers, fréquentaient les écoles les plus modernes et étaient patrons partout. Parler anglais constituait le summum de l’humanité. Rien de moins. Nous n’aimions pas cela mes camarades d’école et moi. Constater chaque jour davantage que nous, les Québécois en devenir, dans notre pays, nous étions des citoyens de seconde classe. Les discours de Bourgault ne passaient que rarement à la télévision selon mon souvenir, mais je l’entends et le vois encore dans ma tête, s’adressant aux membres du RIN, dans une envolée sur la liberté dont je me souviens toujours de chacun des mots de la péroraison.

Les cours d’histoire et de français étaient mes préférés. Pour la première fois, je compris ce qu’étaient les Patriotes de 1837. Nous avions un Patriote dans la famille, un vrai dont le nom était gravé sur le grand monument qui leur est consacré, au cimetière de la Côte-des-Neiges. Désiré Bourbonnais, le grand-père du mien qui portait le même nom. Nous savions qu’il avait été exilé en terres australes. Rien de plus. Une vieille tante évoquait vaguement le vol du cheval d’un général anglais.

Je préparai donc un travail, que j’ai toujours d’ailleurs, sur les Patriotes de Papineau que je présenterai au professeur dans un cahier broché, où j’avais apposé des photos. Durant cette recherche, je découvris les 92 Résolutions, le programme politique du Parti Patriote, la figure de Louis-Joseph Papineau, grand orateur et illustre défenseur de nos droits face au gouverneur anglais et à sa clique de prévaricateurs et de bandits, parmi lesquels se comptaient déjà hélas, quelques sales traîtres, les ancêtres politiques des Trudeau, Chrétien, etc. Quelle émotion je ressentis en voyant le nom de mon aïeul parmi ceux des 58 exilés en Australie. Une telle fierté ne s’éteindra dans mon coeur qu’avec ma propre extinction.

C’était acquis à mes yeux que les Québécois, qui n’étaient encore que fort peu nombreux à se désigner ainsi en ce temps-là, étaient systématiquement discriminés dans ce Canada assassin de nos droits linguistiques d’un bout à l’autre de ce pays sans allure. L’indépendance s’imposait à tous égards pour passer enfin de la survivance à l’existence pleine et entière, que seule la liberté politique peut garantir aux peuples de partout.

Dans les prochaines chroniques je vous entretiendrai de ce qui m’a frappé au cours de ces décennies de militantisme en regard du patriotisme québécois, que ce soit à la Société Saint- Jean-Baptiste de Montréal et dans les sociétés nationales membres du Mouvement national des Québécois, à la Conférence internationale des peuples de langue française, que j’ai présidés, au Parti québécois, au premier gouvernement Lévesque, au Parti indépendantiste et au Bloc québécois. Auxquels il faut ajouter L’Action Nationale, le Mouvement souverainiste du Québec, le Rassemblement pour un pays souverain et l’Assemblée des Patriotes de l’Amérique française, l’Association des descendants des Patriotes, le Comité Pierre-de-Saurel français et la Ligue richeloise contre la tyrannie pétrolière.

Mes cahiers suintent de souvenirs comme Mes tablettes de Romuald Trudeau (1802-1888), un de mes lointains prédécesseurs à la SSJB. De Réginald Chartrand à PKP, de Marcel Chaput, Pierre Bourgault, André d’Allemagne et Raoul Roy à Andrée Ferretti, Pauline Marois et Madeleine Parent, en passant chez les Premiers ministres du Québec, par René Lévesque, Robert Bourassa, Jacques Parizeau et Bernard Landry, sans oublier les frères Pierre-Marc et Daniel Johnson, ni des dizaines d’anciens ministres, nous aurons l’occasion de revenir sur leurs rapports avec le patriotisme.

À la SSJB, j’ai connu Guy Vanier, mort à 100 ans, président général de la Société dans les années 1920, Roger Duhamel qui le fut en 1942, ainsi que ceux et celle, comme Nicole Boudreau, qui ont occupé cette fonction depuis 50 ans. Il en fut de même au Mouvement national des Québécois et dans les sociétés nationales que je fréquente toujours assidûment. •••

 

rheaume
En 2007, l’auteur Jean Côté traçait le portrait de Gilles Rhéaume dans un livre paru chez Quebecor.