De la grandeur française en Amérique

Il nous avait compris, le vieux général.

 

Mieux que nous-mêmes, il savait, voyait, entendait qu’il y avait ici de la grandeur à fabriquer.

Refoulée sous le poids de deux siècles de domination anglaise, cette grandeur toute française qui, ayant épousé ce vaste continent, habite au creux de notre âme était enfin appelée à sourdre, à éclore.

Il fallait tirer ce peuple des limbes de l’Histoire. Il fallait déguédiner ; régler notre sort et rendre au monde francophone ce qui lui appartient.

C’est bien ce que de Gaulle voulut faire, un certain mois de juillet 1967, lui qui sans détour nous reconnut une faculté de liberté et d’envergure et plus encore ; une stature digne d’un véritable statut de Nation et d’État.

Amassé le long de la vieille route reliant la capitale à la métropole, le peuple applaudit de toutes ses forces, entonnant fièrement La Marseillaise et agitant ses plus beaux drapeaux.

Après Jean le Baptiste, l’homme ferait presque figure de nouveau saint patron pour les « Français du Canada », comme il les désignait. Eux dont les patrons ordinaires, à l’usine et sur les chantiers, n’avaient jamais été que des boss, parlant tout autrement… Jamais n’avions-nous vu un « sauveur » de si près, véritable miracle en chair et en os, saluant triomphalement la foule depuis sa Lincoln décapotable, tel un pape dans sa papemobile.

Certes, des voix s’élevèrent pour dénoncer vertement cet affront diplomatique.

On cria à l’immixtion dans nos affaires de la part d’un chef d’État étranger — pourtant pas si étranger que ça. C’était là oublier que nos affaires n’ont jamais été nos affaires — et les « vraies affaires » encore moins.

 

Une certaine idée du Québec

 

Comme le disait René Lévesque, il s’agit d’un peuple qui, pendant longtemps, s’est contenté, pour ainsi dire, de se faire oublier pour survivre. Depuis les débuts de l’aventure néofrançaise, les Canadiens, devenus Canadiens français puis Québécois, seront demeurés sans discontinuer les simples sujets d’une puissance tierce, fut-elle française, anglaise, vaticane, canadienne, américaine… Qu’un « monarque » venu de la vieille mère patrie invite à ce que notre propre voix se fasse verbe en ce pays, voilà qui n’est pas banal.

Après trois siècles et demi d’une odyssée prodigieuse à destination de notre terre promise à nous, nous allions enfin arriver à ce qui commence. Pour la première fois de notre histoire, à travers le regard de cette France haute de six pieds quatre pouces, nous nous sentions exister proprement. Il ne resterait qu’à faire bon usage de notre personnalité retrouvée…

Décidément, de Gaulle entretenait une certaine idée du Québec. Sans doute avait-il constaté depuis longtemps le caractère artificiel, illégitime, non historique du régime d’Ottawa. Visionnaire, il avait forcément prévu que, sur ce sous-continent appelé Canada, des pays naturels, le Québec au premier chef, verraient le jour de toute façon, s’imposant de plus en plus sur l’échiquier politique, économique, international, face à un État central plutôt fragile, tout compte fait.

Par ailleurs, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le général avait évidemment bien saisi la nécessité de renforcer la francophonie et les solidarités internationales vis-à-vis de la montée en force et en influence du bloc anglo-saxon, cela dans l’intérêt de la France, certes, mais également des plus petites puissances et des cultures en proie à cette hégémonie néocoloniale.

Avant de mourir, « l’homme du 18 juin », devenu avocat de l’autodétermination des peuples, a donc voulu accélérer le pas de l’Histoire, en s’assurant que ce qui devait être dit soit dit et que ce qui devait être fait soit fait. Au-delà des logiques de la géographie politique, les peuples ont, oui, le pouvoir de se réinventer pour le mieux. Ils peuvent, ils doivent agir par eux-mêmes, car après tout, tel est le substrat de la vie d’une collectivité, dixit Maurice Séguin. C’est ainsi que le président et père de la Ve République transforma littéralement le Chemin du Roy en chemin de libération, réparant partiellement au passage les conséquences malheureuses des quelques négligences de Louis XV à l’endroit de la Nouvelle-France.

 

État de sclérose

 

Quel gâchis de ne pas avoir encore emprunté cette voie libératrice qu’il nous a si brillamment ouverte du haut du balcon de l’hôtel de ville. Combien d’années, combien de générations perdrons-nous encore à bouder notre salut ?

À constater l’état de sclérose qui affecte notre vie sociale et politique, ce n’est pas demain la veille, hélas, que les paroles providentielles du général se traduiront en actes. Quoique…

En 2017, 50 ans après sa visite historique, le « Vive le Québec libre ! » de Charles de Gaulle se révèle toujours source de malaises chez les plus domestiqués d’entre nous. De manière éloquente, la récente polémique entourant le fameux balcon a su montrer à quel point les paroles du général vibrent encore en nous — suivant différentes fréquences, s’entend.

En tout cas, il semble que ceux-là mêmes qui prophétisent la mort du Québec libre continuent pourtant à craindre ses moindres expressions… C’est qu’ils sentent bien, au fond, que l’idée d’indépendance s’avère sensiblement plus vigoureuse qu’ils ne le prétendent, et que nos espérances n’hiberneront pas indéfiniment.

Un nouveau printemps viendra. Il le faut.

 

Signature Maxime Laporte

Maxime Laporte
Président général, Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal