Discours patriotique 2011 – « Il faut tuer le petit mouton intérieur… » – Denis Trudel, Patriote de l’année 2011

Depuis un an ou deux, il a beaucoup été question de langue au Québec. Loi sur les « écoles passerelles », étude sur l’anglicisation de Montréal, langue d’affichage, débat sur le français au cégep, débat sur la pertinence de l’enseignement intensif de l’anglais en sixième année du primaire, langue de travail dans la fonction publique, juge unilingue anglais à la Cour Suprême, vérificateur général unilingue anglais et dernièrement, cadres unilingues anglais à la Caisse de dépôt et de placement du Québec. Ouf!!!

C’est à croire qu’au Québec, on ne fait rien que ça : être confronté à notre fragilité, à notre précarité. On est constamment amené à se demander : plus ou moins d’anglais ? Plus ou moins d’affiches en anglais ? Plus ou moins d’emplois en anglais ? Plus ou moins d’enseignement de l’anglais ? Plus ou moins de musique en anglais ? De services ? De films ? Et évidemment, le corollaire de ces questions auxquelles nous ne trouvons jamais de réponses satisfaisantes, c’est bien sûr : est-ce trop ? Qu’est-ce qui est acceptable ? Elle est où la ligne ? Quelles concessions devons-nous faire pour respecter les droits de cette minorité historique ? Quelle place dans une société officiellement unilingue française, devons-nous laisser à une langue que cette minorité partage avec 350 millions de voisins américains ? Sommes-nous en train de rater notre entrée dans ce XXVIème siècle uniformisée à la sauce Facebook ? Et l’avenir de nos enfants ? Vont-ils manquer quelque chose s’ils ne deviennent pas bilingues ? Ou encore pire, suis-je dépassé de m’accrocher à une culture mondialement si insignifiante ? Est-ce un combat d’ancien temps ? Et dans le fond, pourquoi pas une seule langue mondiale ?

Toutes ces questions seraient parfaitement légitimes si nous nous les posions vraiment. Si elles faisaient partie d’un débat normal dans une société normale. Si c’était de notre plein gré que nous invitions cette culture millénaire à interagir avec la nôtre dans le cadre d’un enrichissement mutuel. Mais ce qui rend ce débat interminable, c’est que ces questions, elles nous sont imposées. Par qui ? Par nous-mêmes ! Par ce petit mouton intérieur qui bêle quelque part au fond de notre inconscient collectif.

Depuis 50 ans, le Québec a évolué. Évidemment. Culturellement et financièrement, nous sommes passés d’un état de colonisés à un état de presque-nation sans complexe. Il est loin le temps où nos créateurs devaient aller se faire reconnaître en Europe pour que l’on comprenne leurs valeurs. Félix Leclerc est allé se faire applaudir en France avant que l’on ne comprenne ici son génie. Aujourd’hui, c’est le contraire, Robert Lepage, Denys Arcand, Denis Villeneuve, Wajdi Mouawad, Céline Dion et les artistes du Cirque du Soleil ont tous commencé par être acclamés par nous, par notre sensibilité, par notre regard avant de partir en tant qu’artistes complètement et authentiquement québécois conquérir le monde. C’est fini le temps où nous avions absolument besoin du regard de l’autre pour exister.
Et dans le domaine de l’argent…! On en a tant parlé que c’est presque devenu un cliché de décrire nos ancêtres comme des prolétaires, des non-possédants qui ne comprendraient jamais rien au commerce et à la finance. Et pourtant, seulement une ou deux générations d’éducation obligatoire ont contribué à produire des géants mondiaux tels que Bombardier, Québecor et SNC-Lavallin. Quoiqu’on puisse penser de ces géants, ils sont bien de chez nous.

Mais pour des raisons obscures, linguistiquement, nous sommes restés profondément colonisés. Linguistiquement, nous sommes restés des porteurs d’eau. Il est resté quelque part au fond du cerveau de chaque Québécois, un perdant de la bataille des Plaines, un vaincu du soulèvement des Patriotes, un homme inconsciemment mais très profondément convaincu que sa langue est une sous-langue par rapport à celle du maître historique. Il y a, loin, très loin dans le fond de notre subconscient une conviction que le parlant anglais est supérieur au parlant français. Que l’anglais est la langue du gagnant et qu’il y a un intérêt à s’en approcher, à se l’approprier.

Qui n’a pas vécu cette situation où des Québécois francophones se retrouvent en majorité dans une réunion ou une fête où tout se déroule en français et où soudainement l’apparition d’UN anglais fait changer la langue de la conversation ? Trente-quatre ans après la loi 101, après des dizaines de campagne de sensibilisation, deux référendums où les plus grands ténors de la cause nous ont abreuvé de leurs discours pour nous rendre fiers de ce que nous sommes , après que des hommes tels que René Lévesque, Pierre Bourgault, Jacques Parizeau, Gérald Godin, Michel Chartrand, Gaston Miron, et Camille Laurin aient consacré leurs vies à nous faire comprendre que nous sommes une nation égale à toutes les nations du monde, après que des artistes comme Yvon Deschamps, Gilles Vigneault, Pauline Julien, Raymond Lévesque et Félix Leclerc aient usé leurs talents pour nous enlever nos complexes, qu’est-ce qui peut bien justifier une telle attitude ? Qu’est-ce qui peut bien expliquer une telle soumission ? Un tel mépris de soi ? Un tel aplatventrisme anachronique ?

Rien. Rien sinon qu’après toutes ces luttes, tous ces combats, les anglais imposent encore le respect. Il y a, quand un anglo rencontre un franco, probablement inscrit dans l’ADN de toutes les rencontres passées, une acceptation réciproque et tacite de la soumission de l’un face à l’autre. Linguistiquement, tout se passe encore comme si c’était encore eux les patrons et nous les employés. Eux les possédants et nous les possédés.

Comment se débarrasser de cette soumission ? Comment se débarrasser de ce petit mouton qui bêle à l’apparition de son maître ? Comment faire pour que le petit mouton intérieur que nous avons tous, se débarrasse de la culpabilité qu’il ressent à l’idée de demander à se faire servir en français partout, tout le temps ? Comment faire taire le petit mouton quand il nous crie : moi, je pense qu’on devrait les payer pour qu’ils mettent leurs affiches en français ! Ou encore pire, quand il nous murmure à l’oreille : tu sais, les patrons de la Caisse de Dépôt et les joueurs du Canadiens, faut les comprendre, ils font des affaires avec le monde entier et ce sont les meilleurs de leurs professions, on ne peut pas leur demander EN PLUS de parler notre langue !

Et quelquefois, il devient carrément vicieux, se faisant le porte-voix d’une nouvelle élite fière de posséder un outil qui ne lui sert dans le fond qu’à faire du commerce : tu sais, aujourd’hui, il faut être ouvert sur le monde, l’anglais, c’est mondial !

Si un jour, je croise le petit mouton dans un racoin de mon subconscient, je vais le regarder dans les yeux et je vais lui rappeler qu’on ne peut pas être ouvert si on n’a pas de fenêtre. Qu’on ne peut pas être mondial à partir de nulle part. Que pour échanger, il faut exister. Que tu ne peux pas partager ce que tu ne possèdes pas. Que perdre notre langue, ça ne s’appelle pas la mondialisation, c’est une catastrophe. Pour nous, mais aussi pour toute l’humanité.

Mais il ne comprendra probablement pas… Je pense sincèrement qu’il est temps de tuer le mouton. Et que pour régler définitivement le problème du français au Québec, il n’y a qu’une solution : c’est de faire l’indépendance.

Denis Trudel
Le 19 Novembre 2011