Discours patriotique du 24 juin 2011 à l’école Sophie-Barat

Rédigé par les membres de la section Nicolas-Viel

Et si le Québec m’était conté…

C’était le 23 juin 2009, dans un camp de travailleurs à Fermont sur la côte-Nord. La semaine avait été dure à la mine du Mont Wright où les travailleurs ne comptaient plus les heures de dur labeur. Plusieurs gars avaient fini plus tôt pour préparer une excursion de pêche dans une des meilleures pourvoiries de la région. D’autres annonçaient qu’ils voulaient partir en balloune comme on disait pour s’évader du mur de la Place Daviault, un édifice d’un kilomètre de long qui protégeait la ville de vents forts du Nord.

Ti-Jean avait réussi à convaincre sept de ses chums d’aller voir leurs blondes à Montréal avec lui car elles leur manquaient énormément après deux mois d’absence à travailler comme des démons pour s’acheter la maison de leur rêve. Il y avait Ti-Jos Montferrand, l’homme le plus fort de la mine, Alexis le Trotteur qui courrait plus vite qu’un chevreuil et qui aimait jouer aux courses. Il y a avait aussi le grand Joseph, qui sortait une fois de temps en temps la nuit lorsque des cris de louves se faisaient entendre. On disait qu’il appartenait à un groupe de loup-garous de la Côte-Nord qui n’avait pas fait leurs Pâques pendant sept ans. Ils avaient été condamnés à se réunir une fois par mois et à errer en loup-garou dans les forêts du territoire de la Caniapiscau, dans l’espoir d’être blessé par un chasseur de caribous. En faisant sortir des gouttes de sang de leur corps d’animal, ils pouvaient avoir une chance d’être délivrés de leur forme de loup et à revenir à une vie plus normale.

Un grand canot rabaska qui avait été confectionné par un vieil Innu les attendait au bord du lac derrière les maisons-mobiles où ils étaient logés par la compagnie.

Les huit compagnons prirent place dans le canot rabaska et avant de partir, ils devaient promettre au diable de ne pas prononcer aucun juron jusqu’à six heures du matin. Et Dieu sait si c’est difficile pour des gars de chantiers de ne pas lâcher un sacre de temps en temps. Ils acceptèrent ce pacte car leur désir d’aventure était plus fort. Un homme à cape rouge apparût au bout du canot comme guide de l’expédition. Il s’appelait Damien, le fils d’un dénommé Méphisto qui connaissait la magie noire et les rites des sorciers.

C’est alors que Ti-Jean prononça le signal de départ : Acabris, Acabras, Acabram, fais-nous voyager par-dessus les montagnes !  Le canot s’éleva dans les airs à une hauteur de cinq, six cents pieds et aux premiers coups d’aviron, le canot s’élança dans les airs comme une flèche en filant plus vite que le vent.

C’était un soir d’aurore boréale et la voute céleste était remplie d’étoiles. Ils naviguèrent au dessus de la forêt sans apercevoir autre choses que des grands pins noirs. Il faisait une nuit superbe et la pleine lune illuminait le firmament. Ils volaient en passant par-dessus les villages, les forêts, les rivières de ce grand territoire qu’est le Québec.

Ils virent tout d’un coup, un Harfand des Neige qui volait silencieusement au dessus du canot. C’était un oiseau blanc qui se déplaçait majestueusement à la recherche probablement de petits mammifères. Les Inuits disaient que c’était une créature mythique qui protégeait les peuples opprimés.

En passant près des Chûtes Montmorency, ils aperçurent une dame blanche suspendue au dessus-de l’eau. Elle cherchait son fiancé bien aimé dans les eaux de la chute. Louis Gauthier s’était battu contre l’armée anglaise près de Montmorency lors d’une terrible bataille le 31 juillet 1759. Il avait perdu la vie et la malheureuse s’était alors lancée du haut des rochers surplombant la chute vêtue d’une robe blanche préparée pour la noce et portait un long voile qui recouvrait sa chevelure. Certains prétendent que son voile aurait donnée naissance à la cascade à l’ouest du torrent.

Puis, ils entendirent un rire éclatant et des cliquetis de chaines derrière eux. C’était la cage de la Corriveau qui se dirigeait en trombe vers le canot. Le fleuve étant bénie, La Corriveau avait besoin d’une bouée aérienne pour se diriger vers l’Ile d’Orléans où se tenait une réunion de sorciers. Elle agrippa de ses bras squelettiques le canot d’écorce pendant quelques secondes mais soudainement l’Harfand des Neige qui les suivait toujours, empoigna les épaules de la Corriveau avec ses pattes acérés et la projeta dans sa cage de fer qui se referma sur elle. La Corriveau poussa alors un cri de colère et disparut vers Lévis.

Après toutes ces frousses, les occupants du rabaska se demandaient s’ils allaient continuer à rencontrer d’autres personnages légendaires comme des lutins, des fantômes ou des quêteux qui allaint leur jeter des mauvais sorts. Leur imagination était en train de leur jouer des mauvais tours et plusieurs décidèrent de prendre une p’tite shot de whisky pour se calmer.

Les mineurs entonnaient alors des chansons à répondre pour faire peur aux jeunes fêtards de la vile de Québec qui traînaient les rues dans leur traditionnelle beuverie de la St-Jean.

Le canot voguait dans ce beau ciel de juin en descendant le St-Laurent. Les compagnons virent Trois-Rivières et toutes les lumières des villes et villages du chemin du Roy vers Montréal. Ils admiraient l’immensité du pays qu’avaient bâti leurs ancêtres pour laisser un héritage aux québécois d’aujourd’hui. C’est alors que Ti-Jean qui en était à son troisième verre de whisky, cria « Christ que c’est beau le Québec ». C’est alors que l’embarcation piqua immédiatement du nez et atterrit sur le fleuve près de Repentigny près de la pointe de l’ile de Montréal.

Les voyageurs commencèrent à pagayer et descendaient péniblement la rivière des Prairies. Ils aperçurent alors la lueur d’un feu de camp. C’était juste à peu près derrière vous près de la rive. Ils virent un homme qui se chauffait près du feu. Il se tenait la tête entre les mains, les coudes appuyés sur les cuisses et gémissait faiblement. Les compagnons de Ti-Jean voulurent  accoster pour lui demander s’il avait besoin d’aide.  Ses vêtements étaient tout mouillés et dégoutaient abondamment.

Mais fait étrange, les gouttes d’eau qui tombaient de son corps disparaissaient sans toucher le sol et son feu ne brûlait pas les mains ni les bûches de bois qu’on mettait. Mais avant qu’ils eurent le temps de mettre les pieds à terre, le pauvre homme se jeta à l’eau dans leur direction et plongea sous leur canot. Ils sentirent alors leur canot tanguer dans toutes les directions. Les compagnons se cramponnaient du mieux qu’ils pouvaient aux abords du bateau qui menaçait à chaque seconde de chavirer. Ti-Jean vit sortir une ombre noire de l’eau et lui assena un coup de rame. Soudainement, l’ombre se transforma en chat noir et il sauta sur la rive comme un éclair. Il disparut dans le parc en jetant un regard furieux aux canotiers. C’est alors que l’un des compagnons de Ti-Jean se rappela la légende du noyeux, un personnage qui apparait parfois près du Sault-aux-Récollets. C’était lui qui, en 1625, selon la légende avait précipité le père Nicolas-Viel et son jeune ami Ahuntsic dans la rivière des Prairies. Après avoir noyé les deux hommes, le diable l’aurait changé alors en chat enragé alors qu’il se faisait sécher.

Ti-Jean prononça de nouveau la formule magique pour faire redécoller le canot et Damien réapparût au bout du canot. Il leur dit : « Je vous laisse une autre chance mais si vous sacrez encore, vous reviendrez par vos propres moyens à Fermont ». Le canot s’envola aussitôt et les compagnons arrivèrent en quelques minutes près du chalet du Lac des Castors sur la montagne où ils furent reçus à bras ouverts par leurs blondes qui s’étaient regroupées pour un party de la St-Jean. Ils chantèrent et dansèrent le restant de la nuit. Surtout Alexis le Trotteur qui était un excellent danseur et gigueur. Il joua de sa bombarde des airs folkloriques et continua avec l’harmonica sur une musique de jazz d’Oliver Jones. Après avoir pris quelques bières, Alexis le Trotteur accepta de descendre et de monter à pieds la montagne deux fois en moins d’une heure afin de gagner une gageure de 20 $.

 Joe Montferrand était en train de se col tailler avec une dizaine d’anglophones venus de l’Ontario qui voulaient faire le trouble dans le chalet. Le groupe avança vers Jos qui leur bloqua la porte d’entrée. « Le coq du chantier » comme on l’appelait  à Fermont donna un coup de savate à la figure d’un des Anglos qu’il saisit ensuite par les jambes pour le faire tournoyer à travers ses compatriotes. Les fêtards étrangers qui se relevèrent tous  assommés par la tornade de la Côte-Nord décidèrent de battre en retraite vers les bars de la rue Crescent. Quant à Joe, on lui offrit un verre de caribou devant ses compagnons fiers et  ébahis par cette démonstration de force. Ils portèrent Jos à l’intérieur du chalet où une tournée de caribou l’attendait.

Vers quatre heures du matin, le groupe se retrouva sur le belvédère de la montagne et contemplait les lumières de Montréal, la ville aux milles clochers. Des feux d’artifices éclataient encore ici et là et la lune était disparue du ciel. La nuit était passablement avancée et il fallait retourner à Fermont en canot volant pour éviter de payer un voyage en avion qui leur aurait tous coûté une semaine de salaire. C’était le moment de l’embarquement et les compagnons, cherchèrent et cherchèrent Damien, le conducteur du canot qui avait disparu depuis belle lurette. Ti-Jean se souvenait alors de la promesse faite au diable de ne plus prononcer aucun juron durant l’odyssée. Or, au cours de leurs nombreuses histoires avec les filles, la bière aidant, ils avaient tous lâché quelques  sacres pour mettre du piquant à leurs récits de chasse et de pêche. Ils étaient donc tristes et se demandaient comment ils allaient rentrer à Fermont ?

Ils décidèrent tout de même de monter dans le canot dans l’espoir de voir apparaître le fils de Mephisto. Ils prononcèrent plusieurs incantations genre Acabris Acabra, Acabram, Damien, fais nous voyager à travers la montagne. Mais rien ne se produisit. Ils répétèrent les mots magiques à plusieurs reprises mais rien ne fît.

C’est alors que la chouette des Neiges qui les avaient suivis tout au long de leur voyage se posa silencieusement au bout du rabaska et leur dit : Vous n’avez donc pas compris que vous ne pourrez jamais vous fier au diable. Mais, n’ayez pas peur, c’est moi qui vous ramènerai chez vous car je connais bien le chemin du retour.

Le rabaska s’éleva aussitôt au dessus de la ville et s’immobilisa près de la croix du Mont-Royal. Soudainement, deux immenses bandes de tissus blanc portés par deux Harfands des Neiges de chaque côté se croisèrent en forme de croix faite en largeur. Quatre autres Harfands se placèrent au milieu de chaque carré de la croix et se transformèrent en quatre fleurs de lys pour former notre drapeau national, le fleurdelisé. Les compagnons ébahis par tant de magie entonnèrent la chanson de Gilles Vigneault, Gens du pays, c’est votre tour de vous parler d’amour !

Pause de quelques secondes.

En 2011, à l’occasion de la Fête Nationale, les Québécois sont conviés à redécouvrir les contes et légendes d’ici. Autour d’un feu de joie ou d’une grande tablée, profitons de ces occasions pour se conter, se raconter, se chanter des histoires comme le font depuis des siècles les gens de ce pays du lorsqu’ils sont rassemblés. Célébrons et propageons notre belle langue, le français, à Montréal, et à travers tout le Québec par nos histoires transmises de bouches à oreille par nos parents et ancêtres.

Ces récits fantastiques font partie de notre culture et de notre identité. Ils sont le fruit des peurs et des incompréhensions de notre peuple. Ils sont devenus les témoins de l’histoire de nos régions. Ils prennent racines en France, ils ont été empruntés chez les amérindiens ou proviennent de légendes d’inspirations anglaises ou irlandaises. Les contes et légendes se sont métissés et le pure laine se mêle maintenant à la soie d’Asie. Les contes et légendes sont un miroir du pays, une richesse collective et un héritage culturel comme une pièce de musée.

Le fleuve St-Laurent et l’Immensité de notre territoire a vu passer des hommes et des femmes courageuses qui nous ont transmis par tradition orale des récits légendaires de génération en génération. Ces histoires provenaient des événements quotidiens de leur vie et ont été transformés en exploits hors du commun. Merci à ces travailleurs des camps de bûcherons, ces pêcheurs, ces canotiers, ces hommes et ces femmes qui se sont aventurés sur des terres inconnues, ces prêtres et leurs sermons pas toujours catholiques, ces familles d’autrefois qui se réunissaient dans nos campagnes pour faire la fête et se raconter au coin d’un poêle.

Nous sommes tous des fils et des filles d’aventuriers, des fils d’émigrés, de coureurs des bois et des avaleurs de continents partis à la conquête d’un pays qui nous reste encore à assumer. Libérons-nous enfin de nos peurs et de nos divisions. Soyons fiers et courageux pour relever les défis collectifs qui se posent à notre nation en ce début de 21ième siècle. Restons unis et solidaires vers notre liberté collective.

Pour mieux se projeter dans l’avenir, ce soir, entrons dans la légende…

Bonne St-Jean !

 Bonne fête Nationale !

 Fête nationale du Québec 2011 043

 

 Fête nationale du Québec 2011 136