Doris Lussier : un homme de parole

C’est à Fontainebleau, dans les Cantons de l’Est qu’il naît le 15 juillet 1918, et ce petit village sera le « berceau de son histoire ». Devenu orphelin de père alors qu’il est en bas âge, c’est le remariage de sa mère qui l’amène à vivre à Weedon et à devenir en quelque sorte un beauceron d’adoption. Ses premiers souvenirs d’enfance, nous assure-t-il, sont des images d’amour et de joie alors qu’il profite des tendresses de sa famille élargie. Il affirmera même que c’est toute l’affection reçue par celle-ci qui lui vaudra cette âme « d’optimiste impénitent » lui permettant de traverser si joyeusement la vie.

Doris Lussier aura en effet un itinéraire humain des plus imprévisibles. Issu d’un milieu rural sans argent, aîné de famille nombreuse et de santé fragile, il doit à la volonté de sa mère d’accéder au monde du savoir en fréquentant le Séminaire de Québec qui est alors réservé aux seuls privilégiés. L’austérité du pensionnat lors de ses huit années de formation ne l’empêche pourtant pas de goûter aux joies de la connaissance et d’en apprécier la générosité du clergé enseignant. L’aventure s’amplifie encore à l’Université Laval lorsqu’il choisit, en 1940, les sciences sociales, une faculté progressiste que venait de fonder Georges-Henri Lévesque, un dominicain remarquable qui sera un peu l’âme de la Révolution tranquille. C’est donc sous l’inspiration de cet homme que se déroule sa carrière universitaire, car dès sa maîtrise obtenue, il devient secrétaire du père Lévesque (alors doyen) et pendant douze ans, il partage sa vie intellectuelle, ses lumières et ses combats; si bien qu’il le considère comme un père spirituel qui va également lui ouvrir le monde de l’enseignement.
Au milieu des joies intellectuelles des sciences sociales, Doris Lussier sent confusément un goût pour tout ce qui est théâtre, auteurs et spectacles. Aussi, en marge de l’Université, il écrit des sketches humoristiques pour Radio-Canada et de nouveaux contacts l’incitent à créer un personnage haut en couleurs, sorte de synthèse de ses deux grands pères et de quelques portraits du terroir beauceron : le père Gédéon. On est alors en 1954, dans les débuts de la télévision et le personnage devient vite célèbre par son intégration à La famille Plouffe de Roger Lemelin, émission très populaire où les Québécois semblent enfin se reconnaître. C’est en quelque sorte Roger Lemelin, auteur très prolifique, qui lui ouvre cette fois le monde artistique et l’amène à réorienter sa carrière. Bien sûr, plusieurs de ses compositions artistiques, que ce soit à la télévision ou sur scène, touchent l’humour, mais il anime également des jeux-questionnaires, de même qu’il écrit des articles et des ouvrages comme Philosofolies, où on peut davantage reconnaître l’homme érudit qui s’interroge sur la vie.

Parallèlement à sa carrière artistique, Doris Lussier s’implique particulièrement dans le monde politique. Dès 1968, il suit René Lévesque au Mouvement Souveraineté-Association et en 1970, il est candidat pour le Parti Québécois dans Matapédia. Même s’il n’est pas élu, la ferveur qui l’anime ne se dément pas et il continue de militer au sein de cette formation, aussi est-il très fier de présenter un René Lévesque victorieux le 15 novembre 1976 au Centre Paul-Sauvé. Tout au cours des décennies qui suivront, Doris Lussier poursuivra sa démarche intellectuelle en politique, il témoignera de son engagement en multipliant les prises de position dont nous rappelons ici la teneur :
La conclusion logique de la Révolution tranquille, c’est l’indépendance tranquille.

Rater l’indépendance la veille de sa réalité, après quatre cents ans d’attente, c’est traverser l’océan pour échouer dans le port.

C’est à nous qu’il appartient aujourd’hui de décider si l’histoire du Québec que liront demain nos enfants sera celle de notre lucidité et de notre courage ou celle de notre démission.

Doris Lussier, homme de parole, a été marié près de 40 ans, il a eu 2 enfants et il est décédé le 28 octobre 1993 à Montréal avec, tout comme Félix, « un pays planté dans le cœur… à jamais »!

Les citations et l’essentiel des éléments biographiques se retrouvent dans les œuvres de Doris Lussier réunis dans l’ouvrage Tout Doris, Les éditions internationales Alain Stanké, 1994, 588 p.