par Christian Gagnon | Le Patriote
Les libéraux fédéraux n’avaient pas eu par Christian Gagnon la pluralité des sièges au Québec depuis l’élection du 14 avril 1980. C’était avant cette cascade de mépris trudeauiste qu’ont été le référendum de 1980, la Nuit des longs couteaux de 1981 et le rapatriement unilatéral de la Constitution en 1982. Les Commissions Keable (1977-1981) et Macdonald (1977-1984) enquêtant sur les activités illégales de la GRC au Québec avant, pendant et après la Crise d’octobre, ainsi que la démonstration subséquente de la nature totalitaire de la promulgation de la Loi sur les mesures de guerre en 1970 avaient aussi fortement consolidé le divorce entre les Québécois francophones et les Parti libéral du Canada. Et que dire du pharaonique gâchis de l’aéroport Mirabel? De plus, même les Québécois francophones d’allégeance fédéraliste en ont voulu viscéralement à PET pour son rôle central dans les naufrages de Meech et de Charlottetown.

Mais malgré tout cela, il fallait bien qu’un jour, le temps finisse par faire son oeuvre. Il fallait bien s’attendre à ce que les électeurs québécois n’ayant jamais connu Pierre Elliot Trudeau, ses 450 prisonniers d’opinion de 1970 et son imposition d’une Constitution contraire aux intérêts du Québec se remettent à accorder un peu de crédibilité aux beaux discours du PLC. Mais fallaitil pour autant que 36 % des Québécois – environ 31 % des francophones – soient frappés d’une amnésie collective telle qu’ils se mettent à voter, même stratégiquement, pour nul autre que le fils de leur bourreau?
Justin Trudeau est-il le premier héritier politique de son tristement illustre père, ou ce titre revient-il plutôt à son bon vieil exécutant de basses oeuvres qu’a été Jean Chrétien, père spirituel du Plan B et du scandale des commandites? Il demeure qu’au cours de cette pourtant très longue campagne électorale de 2015, l’héritier héréditaire Justin Trudeau n’a eu à répondre à aucune question sur son adhésion ou sa dissociation des nombreuses atteintes à la vie démocratique et à l’émancipation nationale du Québec de son géniteur. Considère-til à tout le moins regrettable que depuis 33 ans, le Québec, seule province à majorité francophone, ne soit pas signataire de la Constitution du Canada? Accorde-t-il la moindre responsabilité à l’attitude de son père dans cette situation? Ne donne-t-il pas raison à ces millions de Québécois qui se sont sentis floués par les fausses promesses de son père lors de la campagne référendaire de 1980?
Sur la question du Québec, Trudeau père et fils sont-ils le même homme politique ?
On sait que Justin partage la même aversion profonde que Pierre pour la notion de société pour le Québec. Mais que pense-til du fait que deux commissions d’enquête publique et de nombreuses recherches historiques aient démontré que le recours à la suspension des libertés civiles en 1970 n’était aucunement justifié? Qu’a-t-il à dire au sujet du paradoxe à l’effet que cette loi martiale a plutôt été instrumentalisée par le futur père de la Charte canadienne des droits et libertés pour emprisonner des centaines de ses opposants politiques et intimider tous les autres? Comme dans les pires dictatures? En 78 jours de campagne, personne n’a eu de réponse de sa part à ces questions.
Voilà des lunes que bien des Québécois ont réalisé que la meilleure façon pour l’un des leurs de devenir premier ministre du Canada, c’est d’adhérer aux préceptes de la majorité canadienne-anglaise, quitte à renier les aspirations légitimes du Québec. Et si l’imposition de la Loi sur les mesures de guerre par Pierre Elliot Trudeau est populaire au Canada anglais? Si la suspension de l’habeas corpus de centaines de Québécois honnêtes, mais contestant le statu quo canadien a contribué à donner à PET la réputation d’homme le plus apte à «remettre le Québec à sa place »? Et si cette image de Trudeau père si électoralement payante dans le « Rest of Canada » – celle du francophone intraitable face au Québec – pouvait être transmise à Trudeau fils, ce dernier l’exploiterait-il? Ce faisant, n’y aurait-il pas un trop grand risque qu’une telle tactique se retourne contre lui si son usage venait à s’ébruiter au Québec? C’est pourtant exactement ce qui s’est produit en mars 2013.
Ce jour-là, en pleine course à la direction du Parti libéral, un partisan conservateur nommé Michael Kydd se trouvant dans le même avion que Justin Trudeau, a refilé au candidat chef du PLC un papier sur lequel il lui demandait s’il pouvait battre Stephen Harper. La réponse écrite de Trudeau sur la même feuille de papier était plus que symbolique : « Just watch me ». Cette courte phrase de trois mots n’est pas innocente. C’est celle que Trudeau père a utilisée le 13 octobre 1970 lorsque Tim Ralfe, journaliste de la CBC, lui a demandé jusqu’où il était prêt à aller après avoir déployé l’armée au Québec en réaction aux enlèvements de James Richard Cross et de Pierre Laporte. Trois jours plus tard, Pierre Elliot Trudeau suspendait les libertés civiles et emprisonnait des centaines de Québécoises et de Québécois n’ayant rien commis d’illégal.
Cette phrase lancée alors que le sol québécois était foulé par les bottes des soldats canadiens a tellement plu au Canadiensanglais qu’encore aujourd’hui, on y vend des T-shirts et des tasses à l’effigie de cette tache hideuse dans l’histoire du Canada qu’est la promulgation de la Loi sur les mesures de guerre. Une génération et demie plus tard, le « Just watch me » de Justin Trudeau en 2013 lançait un troublant message : Si je finis par détenir le pouvoir, je serai prêt moi aussi à en abuser pour mater le Québec. Mise en vente sur eBay par Michael Kydd dès la victoire électorale de Justin Trudeau, concordant avec le 45e anniversaire de la Crise d’Octobre, la note s’est envolée le 22 octobre dernier pour la rondelette somme de 12 301 $.
Lors du débat des chefs en français du 24 septembre, Thomas Mulcair avait lancé à Justin Trudeau que la loi C-51 de Stephen Harper était la pire atteinte aux libertés individuelles depuis que Pierre Elliot Trudeau avait promulgué la Loi des mesures de guerre en 1970. En direct à la télévision devant des millions de francophones, Trudeau fils est resté coi, n’ayant pas osé défendre l’indéfendable. Mais face au public canadien-anglais, Justin n’a pas hésité à confirmer par Twitter l’authenticité de la fameuse note. Comme quoi ce qui est politiquement payant au Canada anglais peut être très embarrassant au Québec. À grands coups de pareilles insensibilités, combien de temps durera la lune de miel politique de Justin au Québec? Vous déploriez le double langage de Thomas et de Tom? Attendez d’entendre celui de Justin et de « Djostine »…
Le « Just watch me » de PET est tellement mythique au Canada anglais qu’encore aujourd’hui s’y vendent des T-shirts, des tasses et des oeuvres d’art portant la fameuse phrase. En octobre dernier, une comédie musicale portant ce titre était à l’affiche dans un théâtre d’Ottawa.