Enseignement de l’histoire – Pan de brouillard

Éditorial de Marie-Andrée Chouinard dans Le Devoir du lundi 21 septembre 2009

Ce constat donne tout à fait raison à la Coalition pour la promotion de l’enseignement de l’histoire au Québec de militer pour une révision en profondeur des cours d’histoire offerts à l’école, tous niveaux d’enseignement confondus, ce qu’ils ont réclamé la semaine dernière. Les chercheurs historiens qui soutiennent cette initiative contestent la mise à l’écart, dans les programmes officiels, de l’histoire politique et nationale.

Il s’agit de la matière la plus riche, mais, ici-bas, elle s’enseigne apparemment dans la douleur, l’embarras ou, pire, l’indifférence: l’histoire. Ses programmes devraient oser afficher le tableau des dates, des conflits et des douleurs, de manière à refléter l’histoire du Québec.

Espérons qu’à la faveur des rencontres parents-enseignants qui ponctuent ces jours-ci la rentrée scolaire, certains professeurs d’histoire du secondaire oseront citer le programme du ministère de l’Éducation pour mieux en souligner l’absurde. Une suggestion, au passage: «L’apprentissage de l’histoire à l’école n’a pas pour but de faire mémoriser à l’élève une version simplifiée et commode de savoirs savants, générés et construits par des historiens, ni de lui faire acquérir des connaissances factuelles de type encyclopédique. Il s’agit plutôt de l’amener à développer des compétences qui l’aideront à comprendre les réalités sociales du présent à la lumière du passé.» (Programme de formation de l’école québécoise, enseignement secondaire, premier cycle, chapitre 7, domaine de l’univers social, p. 337)

L’histoire apprise à l’école repose sur un socle fragile nommé «construction de la conscience citoyenne». Les dates ont laissé place aux approximations. Le défilé des généraux a cédé le pas à un inventaire flou où les noms n’ont plus d’importance. Les conflits du passé sont adoucis, au point que perdants et victorieux sont passés à l’impossible camp de la neutralité.

L’obsession de l’ouverture sur le monde a gommé l’histoire politique analytique, jalonnée d’événements conflictuels, premiers germes de nos différends actuels. Les manchettes quotidiennes ne font pourtant que cela, relayer des débats politiques intimement associés à l’identité nationale. L’histoire du jour est précieuse, à un point tel que les enseignants multiplient en classe les analyses d’éditoriaux et de chroniques. Leur vient-il à l’idée de dépoussiérer le Manifeste du FLQ ou le Rapport Durham? À trop craindre le repli sur soi, l’école a opté pour la formation d’érudits du monde totalement incapables de raconter leur propre chronologie.

Ce constat tristounet donne tout à fait raison à la Coalition pour la promotion de l’enseignement de l’histoire au Québec de militer pour une révision en profondeur des cours d’histoire offerts à l’école, tous niveaux d’enseignement confondus, ce qu’ils ont réclamé la semaine dernière. Les chercheurs historiens qui soutiennent cette initiative contestent la mise à l’écart, dans les programmes officiels, de l’histoire politique et nationale.

Le Québec contemporain, que l’on veut à bon escient enseigner aux élèves, s’est construit sur des conflits nommés Conquête, Rébellion, Crise d’octobre. Les derniers soubresauts partisans entourant le Moulin à paroles et la commémoration de la bataille des plaines d’Abraham de 1759 ont admirablement démontré à quel point il est devenu impossible de revendiquer le droit à un récit complet sans risquer de porter une étiquette partisane.

Cette prudence exagérée, apparentée à de la peur, a adouci l’histoire tumultueuse des Québécois, au point de la rendre… ennuyante? Au cégep, le seul cours d’histoire du Québec est en «voie de disparition», comme le rappelait Le Devoir dans un dossier publié récemment. Seuls 5 % des cégépiens s’y adonnent.

Les nombreux rapports qui se sont succédé au fil des ans pour recommander l’importance de fortifier la formation en histoire dans les écoles n’ont eu pour effet que d’attendrir la matière au point de l’édulcorer dangereusement. L’histoire enseignée à l’école doit être respectueuse du passé du Québec, et ce, sans que l’on craigne de nommer les revendications de la nation québécoise, ses souffrances, le mépris dont elle fut le centre, ses avancées et ses blessures.

Personne n’a oublié la controverse entourant le cours du secondaire de la réforme — première version — où l’on avait omis d’inscrire le récit de la Conquête. Personne n’a oublié non plus qu’à vouloir trop incarner dans le présent les chroniques du passé, on risquait de sombrer dans les excès contraires: Parlons souveraineté à l’école, le guide pédagogique proposé en 2006 par le Conseil de la souveraineté — dans la polémique la plus totale! — en est un éloquent exemple.

Que retiendra l’histoire de cette incapacité qui est nôtre à raconter notre récit fondateur, à analyser les contradictions qu’il soulève, à opposer les versions qui s’y rattachent? Un pan de brouillard, si rien n’est fait maintenant. L’enseignement de l’histoire n’est pas superficiel s’il s’accroche aux dates, n’a rien de partisan s’il évoque les querelles du passé. C’est au contraire ce qui compose une partie de sa richesse, à laquelle ont droit les jeunes Québécois.

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machouinard@ledevoir.com

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