Louise Beaudoin | Le Devoir
La question est shakespearienne : le peuple québécois existe-t-il en droit ? Si oui, en découle-t-il un droit à l’autodétermination ? La Cour supérieure se prononcera très prochainement là-dessus plus de dix-sept ans après l’adoption par l’Assemblée nationale de la Loi sur l’exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple et de l’État du Québec, communément appelée « loi 99 ».
Cette loi, qui ne compte que 4 chapitres et 14 articles, prévoit notamment que le peuple québécois a le droit inaliénable de choisir librement le régime politique et le statut juridique du Québec et qu’il détermine seul, par les institutions politiques qui lui appartiennent en propre, les modalités d’exercice de ce droit. Elle a été adoptée à la majorité, le 7 décembre 2000, par les 68 députés du Parti québécois, y compris le premier ministre Lucien Bouchard, avec l’appui de Mario Dumont alors chef (et seul député) de l’ADQ ; Jean Charest et les 40 autres députés du PLQ votaient contre.
Contestée depuis 2001 par l’ancien chef du disparu Parti égalité, Keith Henderson, lui-même rejoint dans sa croisade par le gouvernement fédéral en 2013, la loi est au centre d’une cause, finalement entendue en mars dernier. Ses opposants tentent d’en faire invalider les principaux articles ou d’en réduire totalement la portée.
L’enjeu est tout autant politique que juridique. La loi 99 trouve son origine dans le référendum de 1995, perdu par à peine 52 000 voix. Par peur d’être confronté rapidement à un troisième référendum, gagnant cette fois, Ottawa brandit à partir de ce moment à la fois la carotte (le tristement célèbre programme des commandites) et le bâton de la « Loi donnant effet à l’exigence de clarté formulée par la Cour suprême du Canada » qui interprète abusivement l’Avis consultatif rendu par ladite cour en 1998.
C’est que, contre toute attente, alors que le gouvernement de Jean Chrétien pense obtenir à la suite de son Renvoi relatif à la sécession du Québec une déclaration de la Cour suprême voulant que le Québec n’a pas le droit de se séparer du Canada, le tribunal donne une réponse plus nuancée que prévu, notamment grâce au travail de l’amicus curiae, Me André Joli-Coeur. Un vote qui aboutirait à une majorité claire en réponse à une question claire conférerait au projet de sécession une légitimité démocratique que tous les autres participants à la Confédération auraient l’obligation de reconnaître, tranche la plus haute instance.
Or, en vertu de cette loi C-20 parrainée par Stéphane Dion, la Chambre des communes s’arroge le droit de définir, par exemple, a posteriori, les règles du jeu concernant « une majorité claire ». Ainsi, pour Ottawa, la règle des 50 % plus 1 ne s’applique plus, comme en 1980 et en 1995. Concrètement, si le résultat est de 53 % en faveur du OUI, la Chambre peut décréter après coup qu’il fallait 55 %. Et ainsi de suite.
Cette loi inique de mise en tutelle de la démocratie québécoise fera réagir à l’étranger. En France, de gauche à droite, en passant par le centre, elle sera dénoncée, tant par l’ancien premier ministre Raymond Barre que par des ténors politiques tels que Jean-Pierre Chevènement, Philippe Séguin et Paul-André Wiltzer. Dans LeNouvel Observateur, Jacques Julliard, aujourd’hui à Marianne, signera un cinglant éditorial intitulé « Pour que le Québec reste… libre ».
À Québec, la réplique viendra donc sous la forme de la loi 99, celle-là même qui est aujourd’hui contestée. Le gouvernement du Québec présentant une défense jugée molle, la Société Saint-Jean-Baptiste a réussi à se faire reconnaître comme intervenante par la Cour et c’est son président, Me Maxime Laporte, qui défend la loi dans son intégralité.
Cette guérilla juridique peut sembler très théorique, voire futile, au temps d’aujourd’hui, alors que la question de l’indépendance n’est pas à l’ordre du jour. Mais l’avenir dure longtemps. Ne devons-nous pas tenter de garder toutes les portes ouvertes ?
Même si, bien sûr, l’avenir se jouera aussi ailleurs, c’est-à-dire sur le terrain politique, là où les indépendantistes auront à convaincre leurs concitoyens d’obtenir le meilleur score possible lors d’un nouveau rendez-vous référendaire, en même temps qu’ils doivent dès maintenant s’activer à l’international. Car, comme le rappellent douloureusement les exemples kurde et catalan, il n’y a pas d’État indépendant sans reconnaissance internationale.