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Fermeture de l’Hôtel-Dieu de Montréal, sacrilège ou profanation ?

par René Boulanger | Le Patriote janvier 2015

Voulant démontrer son inculture, le ministre Denis Lebel (et son gouvernement d’Ottawa) a bien tenté de débaptiser le pont Champlain, mais il a dû retraiter car la mémoire historique a vécu une sorte de sursaut d’outre-tombe qui a sûrement dû faire peur. Je me demande si cela pourrait à nouveau arriver dans le cas de l’Hôtel-Dieu de Montréal. Il ne s’agit pas ici de sauver un nom, mais carrément une institution.

Les technocrates de l’Université de Montréal qui ont décidé de se doter d’un mégaCHU à l’image de la méga-université coloniale McGill, ont paradoxalement décidé d’économiser dans les bouts de chandelle et de fermer le seul hôpital francophone du centre-ville à l’ouest de Saint-Laurent. Pendant ce temps, le Montreal General Hospital, non seulement échappe au couperet, mais voit augmenter sa superficie de 30 % en même temps que va s’ouvrir le méga hôpital du Dr Arthur Porter.

Déjà au niveau de l’équité entre institutions anglophones et francophones, il y a de quoi grincer des dents. Mais le pire, c’est qu’on ne parle pas ici d’un simple dispensaire, mais d’une institution qui a une valeur emblématique qui traverse les générations. Qui penserait en France à fermer l’Institut Pasteur pour des raisons aussi futiles qu’invoque le CHUM pour fermer l’Hôtel- Dieu ? Avec quel détachement envisage-t-on la chose !

l’Hotel-Dieu de MontrealL’hôpital de Jeanne Mance, c’est beaucoup plus que des murs ou un panier de services, comme diraient les gestionnaires sans coeur à la langue de bois. C’est d’abord un esprit. Celui de sa fondatrice d’abord, mais ensuite celui de la communauté des soeurs de Saint- Joseph qui arrivaient en 1659 pour prendre le relais de la pauvre Jeanne Mance, elle qui portait sur ses épaules tout le poids de la souffrance et de la misère de la colonie héroïque de Ville-Marie et des Amérindiens de passage qui s’abandonnaient à son dévouement. Depuis 1642, des chirurgiens formés pour les blessures de guerre s’étaient relayés d’une année à l’autre pour offrir à l’Hôtel-Dieu l’essentiel de leur art. Mais avec l’arrivée du premier médecin, l’abbé Gabriel Souart des prêtres Sulpiciens, mais surtout celle de mère Judith Moreau de Brésoles, la supérieure des soeurs de Saint-Joseph, c’est la science médicale qui prend racine sur cette terre qui deviendra la ville aux cent clochers. Judith Moreau de Brésoles, la deuxième fondatrice de l’Hôtel-Dieu était un immense savant. Pendant sa formation d’infirmière à l’Hôtel-Dieu de Laflèche, elle étudia à fond la chimie puis apprit tous les secrets de l’apothicairerie auprès d’un des plus savants apothicaires de la ville sinon du royaume. Elle fut donc une des premières chimistes, mais aussi pharmaciennes de la Nouvelle-France. Il est assez ironique que l’Université de Montréal qui a pendant longtemps refusé aux femmes l’accès à la formation médicale poursuive sa pratique d’inculture en fermant une institution qui a fait oeuvre pionnière dans l’accès des femmes aux sciences médicales.

Le fossé moral qui sépare l’armée de gestionnaires des deux CHU montréalais des admirables fondatrices de l’Hôtel-Dieu de Montréal est encore plus éclairant. Alors que les Princes de la gestion se fendent en quatre pour s’arracher les dollars des PPP, des méga-fusions et, on l’a vu, celui des places au sommet et des hautes sphères du pouvoir médical, certains allant jusqu’à la corruption comme le bon docteur Arthur Porter, ami du fameux docteur Couillard au dévouement si peu humaniste, mais tellement capitaliste. Les fondatrices, elles, dans la plus parfaite antithèse de leurs liquidateurs, vivaient dans la pauvreté la plus édifiante. Leur costume avait parfois été si reprisé qu’on ne distinguait plus l’étoffe originale. Malgré cette condition des origines, elles ont réussi à reconstruire deux fois l’hôpital incendié, continuant au milieu des travaux à prodiguer leurs soins dans des baraquements de fortune ou des maisons particulières prêtées pour le temps des malheurs. Malgré cette adversité, leurs héritières ont réussi à faire fleurir cette oeuvre pour finalement reconstruire leur dernier hôpital au sommet du mont Sainte-Famille, emportant avec elles les ossements des fondatrices qui reposent aujourd’hui sous une crypte au plus profond des fondations de l’actuel pavillon Hôtel-Dieu du CHUM.

En donnant leur hôpital à l’État québécois et à l’Université de Montréal, ces vieilles religieuses qui vivent dans la résignation la destruction d’une des grandes institutions du peuple québécois, me font penser à ces personnes âgées qui vivent l’abus et la dépossession de la part de faux héritiers qui n’en ont rien à cirer des états d’âme de vieilles dames qui ont passé leur vie à faire le bien et à se vouer au sacrifice exigé pour les grandes causes. Ayant construit son pouvoir et s’étant emparé du « business » de la maladie, la caste inculte qui procèdera à la mise à bas de l’héritage de tous les Québécois, ne fera que stupidement mettre la clé dans la porte, sans aucun débat, sans même aucune reconnaissance officielle de trois siècles et demi de dévouement.

Je ne sais s’il s’agit de sacrilège ou de profanation, car les liquidateurs devront résoudre un problème bien pratique : que fera-t-on des ossements de Jeanne Mance et de Judith Moreau de Brésoles ? Les recouvrira-t-on de béton, bien oubliés dans un stationnement souterrain pour les futurs condos proposés par quelques promoteurs ? Peu importe ce qui arrivera désormais, l’impensable est déjà en marche. La mort cérébrale sera bientôt déclarée de l’esprit français et québécois qui a fait la ville aux cent clochers.

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