Figure du féminisme et de la politique, Lise Payette meurt à 87 ans

Radio-Canada

 

La journaliste, écrivaine, politicienne et figure importante du féminisme québécois Lise Payette est décédée mercredi soir à l’âge de 87 ans, à son domicile, entourée de ses proches.

Lise Payette s’est battue toute sa vie pour deux idées : l’indépendance du Québec et celle des femmes. Elle a notamment marié ces causes lors de son passage comme ministre au gouvernement de René Lévesque.

Issue d’une famille modeste à Montréal, Lise Payette n’a pas les moyens d’étudier à l’université; elle commence très jeune à travailler.

Sa vie professionnelle commence à la radio et dans un journal de Rouyn-Noranda. Puis elle décide de partir à Paris pour élargir ses horizons.

À son retour au Québec dans les années 1960, elle entre à la radio de Radio-Canada. Lise Payette anime Place aux femmes, où elle amorce son oeuvre d’éducation populaire.

Pierre Nadeau, candidat au titre du plus bel homme du Canada, en compagnie de l'animatrice Lise Payette.

Pierre Nadeau, candidat au titre du plus bel homme du Canada, en compagnie de l’animatrice Lise Payette.  Photo : archives de Radio-Canada/Jean-Pierre Karsenty

Mais c’est à la barre de l’émission Appelez-moi Lise qu’elle deviendra une star dans les années 70.

Son humour vif et son ton léger attireront plus d’un million de téléspectateurs chaque soir à 23 heures.

 

Un engagement politique passionné

En 1975, elle organise les festivités de la Saint-Jean sur le mont Royal, des moments inoubliables pour des dizaines de milliers de Québécois. Lise Payette atteint alors un sommet de popularité.

« Gens de mon pays, je vous souhaite la bienvenue à ce grand rendez-vous de la fête nationale des Québécois », lance alors Lise Payette.

Au micro: René Lévesque

Lise Payette lors de la victoire du PQ le 15 novembre 1976. Photo : La Presse canadienne/PC

L’année suivante, elle se lance en politique avec le Parti québécois de René Lévesque pour faire l’indépendance du Québec. À peine élue, elle est nommée ministre et devient très influente au sein du gouvernement. Contre vents et marées, elle crée la Société de l’assurance automobile du Québec, afin d’indemniser les personnes accidentées sans égard à leur responsabilité.

C’est elle qui fait inscrire la devise du Québec « Je me souviens » sur les plaques d’immatriculation. Plus tard, comme ministre de la Condition féminine, elle participe à la création de centres d’hébergement pour femmes en difficulté.

L’incident des « Yvettes » sonnera la fin de sa carrière politique. En 1980, en pleine campagne référendaire sur l’indépendance du Québec, Lise Payette compare une militante fédéraliste, Madeleine Ryan, épouse du chef du Parti libéral Claude Ryan, au personnage de la petite Yvette des manuels scolaires québécois, qui correspondait à certains stéréotypes de la femme soumise. Elle laisse ainsi entendre que les Québécoises qui veulent voter non ne sont pas assez autonomes pour vouloir l’indépendance. Elle s’aliène alors une partie de l’électorat féminin : 14 000 femmes se réuniront au Forum de Montréal pour proclamer leur appui au fédéralisme.

Au Conseil des ministres, Lise Payette est boudée, ses dossiers n’avancent pas. Elle quitte la politique.

 

Prendre la plume pour défendre ses idées

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Normand Grondin a recueilli des réactions au décès de Lise Payette.

Elle écrira par la suite un livre, Le Pouvoir? Connais Pas!, pour parler de son expérience décevante du pouvoir.

Après cet épisode, Lise Payette revient en force à la télévision, comme scénariste, auteure et productrice. Au cours des deux décennies suivantes, elle scénarise sept séries télévisées, dont Des dames de cœur et la quotidienne Marilyn.

Au cours des dernières années de sa vie, Lise Payette a tenu des chroniques dans le Journal de Montréal et Le Devoir. En 2016, une de ses chroniques lui a valu de nombreuses critiques. Elle y défendait son ami cinéaste, le défunt Claude Jutra, qui était l’objet d’allégations de pédophilie.

Elle laisse dans le deuil ses trois enfants : Dominique, Sylvie et Daniel.

 

Un legs politique important

Militant péquiste de la première heure et ancien premier ministre du Québec, Bernard Landry a bien connu Mme Payette, qu’il a côtoyée entre autres à l’Assemblée nationale. « Elle jouait au conseil des ministres un rôle déterminant en plus de son grand rôle dans l’aventure féministe québécoise », se rappelle M. Landry, qui a été élu lors de l’élection historique de 1976.

Les femmes québécoises doivent leur condition, qui au plan international est pratiquement exemplaire, largement à cette personne.

Bernard Landry, collègue de Lise Payette au sein du gouvernement Lévesque

Sur le plan politique, M. Landry souligne l’un de ses principaux legs, soit la création de la Société de l’assurance automobile du Québec.

« Les avocats n’étaient pas contents parce que c’était un champ d’action très important pour eux, très lucratif, rappelle-t-il. Lise avait pris pour le peuple avant de prendre pour les avocats. »

Élu en même temps qu’elle dans le gouvernement de René Lévesque en 1976, le député péquiste François Gendron, qui est doyen de l’Assemblée nationale, se souvient d’une « dame d’envergure, une très grande dame, qui a accompli énormément, qui avait une détermination sans borne et une bonne vision ».

M. Gendron a siégé au cabinet de M. Lévesque avec Mme Payette pendant un peu plus de deux ans; elle y avait fait son entrée en 1979. « Elle a laissé sa marque entre autres avec la loi sur l’indemnisation des victimes sans égard à la faute, une loi majeure à l’époque, qui avait fait beaucoup de bruit », rappelle M. Gendron.

Seule femme au sein du cabinet, Mme Payette « réussissait à aller chercher l’écoute du conseil des ministres grâce à sa franchise, son authenticité et sa détermination », se remémore-t-il.

Oui, sa gang de gars, c’était pas toujours drôle autour d’elle. Est-ce qu’elle nous aimait tout le temps comme j’aurais souhaité? La réponse, c’est non. Mais elle ne lâchait pas.

François Gendron, député du Parti québécois et doyen de l’Assemblée nationale

M. Gendron estime que la déception de Mme Payette à l’égard de son expérience politique a été causée par sa grande ambition. Selon lui, elle croyait que ce qu’elle allait présenter avait « des chances de cheminer dans le corridor qu’elle choisissait et au rythme qu’elle choisissait. Alors, je suis franc, ça n’a pas toujours été de même. »

Est-ce qu’elle a essuyé certaines déceptions? Oui, mais la vie politique, c’est difficile, c’est exigeant.

François Gendron

Les chefs politiques reconnaissent son apport

Les chefs de partis politiques québécois en campagne électorale ont mis de côté la partisanerie afin de rendre hommage à Lise Payette.

Jean-François Lisée, chef du Parti québécois, a rendu hommage à la fois à la journaliste, à la ministre et à l’auteure.

« Cette grande dame a fait une partie de ce que nous sommes comme société. Comme journaliste, elle a ouvert les horizons en ayant toujours un œil rivé sur la place des femmes qui était trop petite. Elle voyait grand pour les femmes et elle n’a jamais cessé d’ouvrir le chemin, le sentier, la route, pour que les femmes prennent toute leur place, a souligné le chef péquiste. Elle le faisait avec combativité, mais avec bonne humeur. »

Juste à la suivre, juste à la regarder, on savait qu’on pouvait aller plus loin.

Jean-François Lisée

Le chef du Parti libéral et premier ministre sortant, Philippe Couillard, a rendu hommage à « une grande figure du mouvement féministe québécois » et a rappelé son rôle fondamental dans la création de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ).

« Ça a un impact sur les gens d’aujourd’hui », a-t-il souligné, rappelant que grâce à ce régime, les Québécois paient moins cher que les habitants des autres provinces.

« Mme Payette a fait en sorte que la condition des femmes soit prise au sérieux à une époque où on avait encore beaucoup de travail à faire pour prendre notre place », a pour sa part souligné Manon Massé, co-porte-parole de Québec solidaire.

Elle a réussi à faire un premier trou dans le plafond de verre qu’on connaît encore aujourd’hui. Elle a été pour nous un exemple de l’importance de prendre notre place en politique.

Manon Massé, co-porte-parole de Québec solidaire

Le leader caquiste François Legault a lui aussi mentionné la place que Lise Payette a su donner aux femmes. « On peut dire un gros merci à Lise Payette pour ce qu’elle a fait, et elle l’a fait avec humour », a-t-il dit.

 

 

 

 

 

 

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