STÉPHANE LESSARD / JOURNAL DE MONTRÉAL
Le Nouveau-Brunswick est pratiquement divisé en deux depuis l’élection du 24 septembre dernier (et même avant diront certains). De quoi raviver les tensions linguistiques dans cette seule province canadienne officiellement bilingue.
Le gouvernement libéral de Brian Gallant au Nouveau-Brunswick est tombé hier. Il a été incapable d’obtenir l’appui d’une majorité de député-e-s à l’Assemblée législative de cette province suite à son discours du Trône.
Il revient maintenant à son principal adversaire, le chef du parti progressiste-conservateur (PPC), Blaine Higgins, de tenter sa chance pour obtenir la confiance du parlement néo-brunswickois.
S’ils constituent environ un tiers de la population, les francophones du N-B voient encore leurs droits linguistiques menacés. Et l’arrivée au pouvoir du PCC n’a rien de rassurant.
La langue divise les partis politiques
Le 24 septembre dernier, les libéraux ont fait élire 21 député-e-s, principalement au nord, dans les circonscriptions majoritairement francophones. Leur chef est parfaitement bilingue.
Les conservateurs-progressistes ont aujourd’hui 22 député-e-s, principalement au sud, dans les circonscriptions majoritairement anglophones. Leur chef est unilingue anglophone et s’est même déjà prononcé pour l’abrogation du bilinguisme officiel au Nouveau-Brunswick.
Pour obtenir une majorité, un parti doit remporter la course dans au moins 25 circonscriptions sur les 49 que compte la province. Les Verts et la People Alliance détiennent donc de leur côté respectif la balance du pouvoir, avec trois député-e-s chacun.
Les premiers défendent les droits des francophones alors que les seconds veulent éliminer le poste de Commissaire aux langues officielles et la dualité linguistique en santé dans cette province.
Vous aurez deviné que les Verts ont appuyé le discours du Trône de Brian Gallant alors que le People Alliance non.
La question linguistique : inévitable
Malgré la volonté des chefs des deux principaux partis d’éviter le plus possible d’en parler durant la dernière campagne électorale, la question linguistique est inévitable au Nouveau-Brunswick. À contre-cœur, ils ont dû en parler et dans plusieurs circonscriptions, cet enjeu a été déterminant dans l’élection.
Dès le début de la campagne électorale, la division est apparue évidente : aucun débat télévisuel en français n’aura lieu, le chef conservateur Blaine Higgins, unilingue anglophone rappelons-le, refusant d’y participer.
Malgré tout, les chefs de six partis ont tout de même fini par débattre, en partie, en français le 14 septembre dernier. En partie car trois d’entre eux ne se sont pas exprimés dans la langue de Molière, dont le chef des conservateurs-progressistes et le chef de la People Alliance.
Imaginez : ce sont des organismes acadiens francophones qui ont dû débourser pour une traduction simultanée en français des propos tenus en anglais lors de ce débat.
D’autres promesses électorales, principalement du PCC et de la People Alliance, ont fait ressurgir le débat linguistique.
La People Alliance a proposé d’abolir le poste de Commissaire aux langues officielles et de mettre fin à la dualité en santé en fusionnant les deux réseaux distincts. De son côté, le chef conservateur s’est engagé à embaucher des personnes unilingues anglophones à des postes bilingues dans la fonction publique.
Vives inquiétudes
L’arrivée au pouvoir, minoritaire, des conservateurs-progressistes qui ont besoin de l’appui de la People Alliance pour s’y maintenir, inquiète plusieurs observateurs de la scène politique néo-brunswickoise.
La politologue Stéphanie Chouinard, professeure au Collège militaire royal du Canada a même écrit sur Twitter : « Acadiens du Nouveau-Brunswick : le cauchemar commence, et il a un nom : Higgs-Austin », faisant référence aux deux chefs unilingues anglophones du PCC et de la People Alliance.
Michel Doucet, avocat spécialiste des droits linguistiques, a affirmé quant à lui : « Je vois difficilement ce qu’il y a de bon pour nous dans l’alliance entre un CoRiste unilingue et un nouveau CoRiste unilingue dont l’objectif est de réduire nos droits », une allusion directe à l’ancien parti antibilinguiste Confederation of Regions (CoR), que le chef conservateur actuel a tenté de diriger en briguant la chefferie en 1989.
L’ancien juge de la Cour suprême, Michel Bastarache est même sorti de sa réserve au cours la campagne électorale pour dénoncer la People Alliance : « On a créé un parti pour s’opposer au bilinguisme, pour s’opposer aux écoles francophones et aux hôpitaux francophones. » Rien de moins. « C’est un signe que le bilinguisme ne se porte pas aussi bien qu’on le pense au Nouveau-Brunswick », a-t-il ajouté.
De son côté, le président de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB), Robert Mélanson, parle d’un recul : « La grosse déception, c’est de voir que 47 000 anglophones du Nouveau-Brunswick ont voté pour l’Alliance, c’est-à-dire contre le bilinguisme. C’est un peu un retour aux années 1960. »
Et le Québec là-dedans?
Si François Legault ne savait pas au cours de la dernière campagne électorale que le Nouveau-Brunswick est la seule province canadienne officiellement bilingue, j’ose croire qu’aujourd’hui que ce n’est plus le cas.
Historiquement, le gouvernement québécois a défendu les droits des francophones hors-Québec. De René Lévesque, en passant par Robert Bourassa et tous les autres qui les ont suivis, les premiers ministres québécois ont toujours eu à cœur les intérêts de la minorité francophone dans les autres provinces canadiennes.
Est-ce que François Legault saura poursuivre la tradition? Je l’espère.
Pourquoi alors ne pas convaincre son homologue canadien, Justin Trudeau, de présenter des excuses officielles, chose qu’il s’est refusé de faire pas plus tard qu’en 2016, pour la déportation de plus de 12 000 Acadien-ne-s de 1755 à 1763?
Et si le gouvernement canadien allait plus loin en reconnaissant que le peuple acadien forme une nation, comme il l’a fait pour le Québec en 2006, un geste apprécié par M. Legault alors député du Parti québécois?
Ça aurait au moins le mérite de rassurer mon ami acadien qui me disait hier soir : « C’est fou de penser qu’avec les survivants du COR au pouvoir, on en est encore à s’inquiéter pour les francophones, 50 ans après l’adoption de la loi faisant du français et de l’anglais les deux langues officielles au Nouveau-Brunswick ».