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France, ressaisis-toi, ta langue fout le camp !

Guy Sévigny | Le Patriote – sept 2016

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En 1983, je représentais le Québec pour la première fois chez nos cousins français, avec un répertoire entièrement consacré à Raoul Duguay, Félix Leclerc et Gilles Vigneault. À partir de ce moment-là, la France deviendra mon deuxième pays, car j’y chanterai et jouerai au théâtre durant plusieurs mois à chaque année, jusqu’en 2004. Par amour, j’y retournerai par la suite, mais, en 2016, fort est de constater que le français s’incline devant le rêve américain.

Lors de mes tournées en sol français, je chantais le Québec dans des écoles. C’est vers 1990 que j’ai vraiment senti un changement, car les élèves rêvaient tout haut de New- York, Los Angeles et croyaient que tous là-bas vivaient heureux, riches et dans de grandes maisons hollywoodiennes. J’avais beau dire que ces villes comptaient leur lot d’itinérants et qu’on y rencontrait beaucoup de pauvreté, mais en vain.

Les jeunes ne voulaient plus rien savoir de l’hymne national français, ils se disaient européens et plusieurs souhaitaient ardemment quitter la France, davantage que jadis, alors qu’ils souhaitaient être pompier, policier ou même vedette de la chanson.

Il y avait au début quelques mots anglais, ici et là échappés dans nos échanges, mais rien à voir avec le déluge d’aujourd’hui. Lorsque le premier Mc Donald’s s’établit en France, à Bordeaux en 1989, j’ai exprimé à mon impresario qu’il s’agissait d’un tournant majeur dans le décor de son pays, et que le français y serait perdant. Je suis même entré dans un de leurs Mc Donald’s, question de voir s’il y avait une différence avec ceux du Québec. Même odeur, même sandwich, mêmes frites, même service… mais les menus différaient, puisque ceux des Mc Donald’s en France utilisent l’anglais !

J’ai tenté un exercice, afin de mieux comprendre la situation. Je me suis présenté à la caisse et j’ai commandé un Mc Poulet. La jeune fille essaya de trouver Mc Poulet sur son écran, mais sans succès. Elle me regarda et je demandai de nouveau un trio Mc Poulet. Elle fit appel à son supérieur, qui me fit répéter ma commande. « Non, nous n’avons pas cela. » Mais si, disje, en précisant cette fois que je voulais un Mc Chicken. « Ah oui, Mc Chicken, s’écria-t-il tout ravi, ça nous l’avons ! » Il fit demi-tour et prépara la commande avec un rare bonheur d’avoir trouvé.

Situation comparable dans les années 1990, alors que nous échangions encore des chèques de voyage. Si je ne mentionnais pas les mots Travel Check, le personnel des banques ne me comprenait pas.

Ensuite, ce fut l’escalade, car, d’année en année, des dizaines de nouveaux termes anglais s’ajoutaient à la liste, sans que les Français n’utilisent (ou ne connaissent) l’équivalent dans leur langue maternelle. Lorsque j’exprimais, par exemple, qu’email pouvait être remplacé par courriel, ils trouvaient cela mignon, même beau, mais ils me donnaient néanmoins leurs mails avant que l’on se quitte !

Un jour, j’étais dans un café et j’aperçus une bouteille de jus de canneberge sur la tablette des boissons offertes. Je demandai donc un verre de jus de canneberge. Non, nous n’avons pas ça ici… Je pointai alors du doigt la bouteille et le serveur s’exclama : « Il fallait le dire, Monsieur… un verre de cranberry ! » Je rencontrerai des situations semblables à plusieurs reprises durant mes années en France.

Cette invasion de l’anglais dans le vocabulaire français n’est pas hélas due qu’à un malencontreux hasard, elle est monnaie courante. Et cela devient insupportable quand on constate que des nouveaux commerces ne s’affichent qu’en anglais. Exemple : My Crazy Pop pour un comptoir qui vend du maïs soufflé.

L’émission La Voix, présentée au Québec, devient The Voice en France. Les boissons gazeuses se déclinent en anglais : Coca Light, Coca Zero et le contenu des bouteilles et cannettes est rarement libellé en français. J’ai une amie dans le Sud-Ouest qui demeure dans un Mobil- Home. Elle trouve jolie l’expression maison mobile, mais elle persiste à demeurer dans son Mobil-Home.

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Dans les restaurants ou cafés, musiques et chansons sont en anglais. Je fus surpris, lors d’un repas, que le restaurateur fasse entendre de la chanson française et je lui en fis la remarque. Il me confirma que la grande majorité des commerces présentaient de la chanson angloaméricaine, alors que lui se branchait sur Radio Nostalgie FM. Voilà maintenant que la chanson française – sans doute devenue trop ringarde – logeait à l’enseigne de la nostalgie !

En 2016, plusieurs publicités à la télévision française sont présentées en anglais, avec chansons d’accompagnement en anglais, se contentant d’un sous-titrage en français. Personne ne s’en offusque. Normal, ils sont scotchés devant leur téléviseur, ils suivent les hit-parades, achètent des singles ou des disques Top Compilation, se désaltèrent avec du Coca Light, suivent le Score des jeux télévisés; partout il n’y a que des cake, des parking, des dressing. Il faut dire que l’entrée dans l’Euro a contribué à diluer la culture et l’identité françaises, si bien que l’on reconnaît de moins en moins les différences de cultures des pays regroupés dans la fédération européenne.

Récemment, je m’arrêtai pour acheter du vin, au « Repaire de Bacchus », rue Mouffetard, à Paris. Le commis m’offrit de me servir en français ou en anglais. Proposition respectueuse et agréable. Je lui fis connaître ma préférence… car nous parlons encore français au Québec, lui fis-je par ailleurs remarquer. À ces mots, ses yeux s’illuminèrent et il me raconta qu’il avait terminé ses études en proposant un texte de notre grand Gaston Miron. Puis son sourire s’éteignit et il rajouta : « C’est extraordinaire qu’au Québec, vous parliez encore français, vivant dans cette mer anglophone, alors qu’en France, nous faisons si peu. » Voilà, il existe des gens qui constatent combien les dirigeants et légataires de la langue française ne se préoccupent guère que le français disparaisse sous un amas de mots anglais non-stop !

Il y a des amateurs, ici et là à Paris, qui se regroupent le dimanche, sur la place publique ou dans un restaurant, et poussent quelques chansons en français. C’est mignon, c’est rafraîchissant, mais il faut voir que ceux qui chantent sont d’une autre époque. Une époque « que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître », comme chantait si bien Aznavour. La mode est à la chanson franglaise. Quelques lignes en français, parfois, mais le reste du temps en anglais.

Au Québec, il nous est arrivé et il nous arrive encore de sortir dans les rues pour que le français soit respecté. Parfois, certains cousins français se sentent attaqués, ou voient cela comme un reproche, lorsque nous parlons du Québec qui défend sa langue depuis quatre cent ans. Mais pour les autres – la majorité – ils ne prêtent aucun intérêt aux efforts de francisation que nous faisons au Québec. Il est plus que temps que la France se ressaisisse et que le président de leur république suive l’exemple du gouvernement René Lévesque, quand celui-ci promulgua en 1977 la Charte de la langue française (ou loi 101). •••

NDLR : Ce sombre constat de notre collaborateur n’est hélas que trop vrai. Mais la résistance s’organise en France comme ailleurs contre cette invasion de l’anglais dans nos vies. L’humanité n’a pu empêcher la disparition du dernier dodo de l’île Maurice, mais rien ne dit que le français se soumettra à cette cruelle destinée… tant et aussi longtemps qu’il y aura des gens ici-bas pour le célébrer, le défendre et l’illustrer.

 

 

 

 

 

 

 

 

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