Joseph Dansereau – un président indépendantiste à une époque troublée

Par Jean-Pierre Durand

Joseph Dansereau,
Joseph Dansereau,

J’avais douze ans quand j’ai perdu mononc’Alfred. C’était juste avant l’ouverture du métro de Montréal. Alfred Lacombe était en fait mon grand-oncle. Retraité de la Montreal Tramways Company, lui et son épouse, matante Zabeth, avaient hébergé mes parents quand je suis venu au monde. Oh, tout au plus une année, mais cela avait été suffisant pour qu’ils me vouent une affection profonde, qui était partagée. Hélas, un infarctus mit un terme à cette belle relation que j’avais avec mononc’Alfred, qui me faisait tant rire avec ses blagues et ses tours de magie. Quelques années plus tard, je reçus de vieilles photos de lui datant de la fin des années trente, qui le montraient avec des collègues, tous cravatés, gantés, portant des hauts-de-forme et une canne à pommeau. Ils posaient, sérieux comme des papes, pour la postérité. Ces photos, prises à l’occasion du défilé de la Saint-Jean- Baptiste, indiquaient qu’il s’agissait de la section Père-Marquette de notre association. C’est que mononc’Alfred était un membre de la SSJB, et en était d’ailleurs très fier (une de mes tantes me l’a rappelé encore il y a quelque temps). Son engagement était à la fois patriotique, social et économique, car on ne parlait pas bien sûr de militantisme à cette époque.

Au moment où les photos ont été prises, Joseph Dansereau était le 53e à porter le titre de président de la SSJB, et il me plaît d’imaginer, à la façon de l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours, que mononc’Alfred a pu le côtoyer et, si ça se trouve, qu’il lui a probablement serré la pince. Mais revenons à nos moutons et à l’objet de cette chronique. Joseph Dansereau est né le 29 janvier 1899 à St-Louis-de-Gonzague (Beauharnois) et resta garçon jusqu’en juin 1934, alors qu’il convola en justes noces avec une dénommée Rose Codère. De cette union, trois enfants naquirent : Marie-Josée, Paul et Marc. Joseph est décédé le 1er juillet 1972 et son épouse le suivit dix-sept ans plus tard.

Toute sa vie durant, Joseph Dansereau aura évolué dans le domaine de l’enseignement, mais il sera engagé pendant de nombreuses années dans les organisations nationalistes, comme l’Association catholique de la jeunesse canadienne-française (ACJC) et la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal. L’ACJC fournira plusieurs cadres de la SSJB. Déjà, à l’âge de 29 ans, Dansereau s’inquiète de l’américanisation. Il était facile, déclaret- il, d’identifier l’ennemi à l’époque de Dollard. C’était l’Iroquois. Qui est l’Iroquois en 1928 ? L’américanisme, reprend-il de façon imagée,
voilà l’Iroquois, aux ruses civilisées, qui pour l’invasion a remplacé la chanson de guerre par le jazz, le dancing-song et le cinéma ; la danse de guerre par le black-bottom ; le tomahawk qui assomme, par le dépouillement « légal » de nos biens, nos traditions, notre fleuve, nos pouvoirs hydrauliques, nos forêts et notre industrie. Parmi les revendications nationalistes de ces années-là, il y a celle de réclamer des emplois dans la fonction publique pour les Canadiens français.

Mais, on va plus loin. C’est ainsi qu’au Congrès de la SSJB du 14 mars 1935, Joseph Dansereau déclare : Il est loisible de songer qu’un jour, séparés de la Confédération, nous formerons un pays libre. La liberté définitive, c’est, il est vrai, pour une race, le couronnement suprême. Nous n’y sommes pas et nous n’y serons pas avant longtemps. Ayons la fierté de vivre comme si l’échéance était certaine… Cette doctrine énoncée par Dansereau fera l’objet d’un document qui sera publié l’année suivante par notre Société. Dans ce même texte, il insiste sur l’importance de franciser les étrangers qui arrivent, de reconquérir nos ressources naturelles d’utiliser les médias et la culture pour influencer, etc. Il faut préciser qu’on évoque à quelques reprises l’indépendance chez les nationalistes dans les années trente. Ainsi, André Laurendeau préconise l’indépendance dans Notre nationalisme (1935). Et que dire du célèbre discours de Lionel Groulx, prononcé le 29 juin 1937, et qui se conclut par un vibrant « Notre État français, nous l’aurons ! » Et ce ne fut pas les seuls, si on songe à Paul Bouchard et à François Hertel.

Parmi les motifs d’inquiétude chez les Canadiens français, il y a l’immigration massive, mais il faut préciser que les dirigeants scolaires ont la mauvaise idée de diriger ces immigrants vers les écoles anglaises. La SSJB, de même que les autres sociétés nationales et les Canadiens français dans leur majorité, est, à la veille du conflit mondial, contre la course aux armements, contre le communisme et éprouve même un temps de la sympathie pour le gouvernement de Mussolini. En 1937, Dansereau devient président de la SSJB. Cet homme, qui a fait sa marque dans l’enseignement primaire, est le premier instituteur accédant à la présidence de notre Société.

C’est sous la présidence de Dansereau que la SSJB engagera une campagne anticonscriptionniste et contre l’immigration juive. Aujourd’hui, quand on connaît le sort atroce réservé aux Juifs sous le troisième Reich allemand, cette attitude peut surprendre, mais la mentalité des gens de l’époque était différente d’aujourd’hui… et elle n’était pas non plus unique aux Canadiens français (le premier ministre King a même dit du bien d’Adolf Hitler, ne l’oublions pas). Quant à l’immigration comme telle, pour saisir la méfiance des nôtres à son égard, il faut aussi comprendre qu’elle avait été souvent utilisée, dans l’Ouest canadien, afin de fragiliser et de minoriser l’élément canadien-français. Il reste que des tentatives, infructueuses, seront faites dans ces années-là par la SSJB auprès des communautés ukrainiennes et italiennes pour qu’elles envoient leurs enfants aux écoles françaises.

En 1938, Dansereau écrit à propos des siens, les Canadiens français : Attentifs aux exigences du catholicisme social, dépositaires de la civilisation française, pionniers de ce pays – 150 ans avant tous les Canadiens d’autres origines – ils analysent leur situation actuelle, dressent l’inventaire de ce qu’ils ont, de ce qu’ils n’ont qu’en partie, notent ce qui leur manque, afin d’orienter leur pensée et leur action et de souder leur avenir à ce qu’il y a d’essentiel dans leur passé. Ce 24 juin 1938, après le traditionnel défilé en après-midi, où l’élément humain, les fanfares et les clairons donneront au cortège du mouvement et de la vie, et les drapeaux, déployés à profusion, de la couleur et de la beauté, il y aura en soirée au kiosque du parc La Fontaine un ralliement national où l’on entonnera un pot-pourri d’airs canadiens, « J’entends le moulin », « Plaisir d’amour », « La Canadienne » et autres chansons populaires. Le président Dansereau, qui en sera à sa dernière année de présidence (il quittera le Conseil général en 1945), fera une allocution. Le maire de Montréal, Adhémar Raynault, prendra ensuite la parole. Eh bien, mononc’Alfred y était ! J’ai même des photos qui le prouvent !

Après avoir occupé différentes fonctions dans le monde de l’enseignement, notamment à l’École primaire supérieure Le Plateau, puis comme directeur général des études de la Commission des écoles catholiques de Montréal, Joseph Dansereau se joignit au Centre éducatif et culturel en 1964 et y resta jusqu’à sa mort.

Sources :
DANSEREAU, Joseph, Doctrine nationale. Programme de pensée et d’action. 1936.
DANSEREAU, Joseph, Programme-souvenir de 1938 de la SSJB pour la fête nationale.
DANSEREAU, Joseph, Programme-souvenir de 1939 de la SSJB pour la fête nationale.
RHÉAUME, Gilles, Conférence sur Joseph Dansereau prononcée à la Maison Ludger- Duvernay et disponible en partie sur TAGTÉLÉ, novembre 2009 (vidéo de Gilles Bédard).
ROBY, Yves, Les Québécois et les investissements américains (1918-1929). Québec, « Les cahiers de l’Université Laval », les Presses de l’Université Laval, 1976.
RUMILLY, Robert, Histoire de la Société Saint- Jean-Baptiste de Montréal. Des Patriotes au Fleurdelisé 1834/1948. Montréal, Éditions de l’Aurore, 1975.