Richard Le Hir | VIGILE
L’enjeu ?
Rien de moins que la souveraineté du peuple québécois avant même la tenue d’un référendum sur la souveraineté de l’État !
Il est question depuis quelques jours de l’ouverture prochaine des auditions sur la procédure entreprise par Keith Henderson, ancien chef du Equality Party pour faire déclarer inconstitutionnelle la Loi 99 de l’an 2000, dont le titre au long est Loi sur l’exercice des droits fondamentaux et prérogatives du peuple québécois et de l’État du Québec , et de la demande d’intervention de la SSJBM au soutien de cette loi.
Elle contient une douzaine d’articles précédés de plusieurs « considérants », et il s’agit de la loi la plus importante jamais adoptée par l’Assemblée Nationale car, du fait des sujets qu’elle aborde, elle est l’armature de la Constitution dont se doterait un Québec souverain. Tout Québécois devrait la connaître par cœur et garder en tout temps une copie du texte à portée de la main pour référence à chaque fois qu’il est question – et c’est tout de même assez fréquent – du droit du peuple québécois à disposer de lui-même (autodétermination), et des prérogatives de l’État québécois qui, à la différence de la Catalogne par exemple, a l’avantage d’exister déjà du fait de son statut (un mot-clé en géopolitique) de province et des compétences qui sont siennes en vertu des Articles 92 et autres de l’Acte de l’Amérique britannique du Nord (AANB) de 1867.
Adoptée sur division en 2000, la Loi 99 a acquis une légitimité totale en 2013 lorsque, dans des circonstances quasi-surréalistes, l’Assemblée Nationale a adopté à l’unanimité une résolution qui en réaffirme les dispositions.
À l’époque, j’avais rédigé pour Vigile deux textes qui redeviennent brûlants d’actualité aujourd’hui et que je reproduis dans le présent éditorial tant ils permettent de comprendre la dynamique politique et juridique dans laquelle vont se dérouler les auditions de la procédure intentée par Henderson :
Le Québec serait-il devenu une république à notre insu ?
ET
Comment se débarrasser d’une reine sans la guillotiner
Ne sachant que trop à quel point le potentiel d’inflammabilité de la question de l’autodétermination est élevé, nos médias fédéralistes (ils le sont tous, y compris Le Devoir et les journaux de Québécor) marchent sur des oeufs. Obligés malgré tout de faire écho à la nouvelle, ils cherchent par tous les moyens à en atténuer l’importance. À cet égard, la palme de la mauvaise foi fédéraliste revient au Chroniqueur du Devoir Michel David qui a pondu hier sur le sujet un monument d’insignifiance destiné à étouffer l’affaire et à endormir ses lecteurs.
Avoir eu le Québec dans le coeur et un peu de « pep dans l’soulier », il aurait pu puiser de l’inspiration dans mes articles :
Le Québec serait-il devenu une république à notre insu ?
Il se passe des choses ahurissantes au Canada et au Québec en ce moment. Tenez, mercredi, en réponse à la décision du gouvernement fédéral d’intervenir au soutien de la contestation judiciaire de la Loi 99 (Loi sur l’exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l’État du Québec) adoptée par un gouvernement du PQ en 2000, l’Assemblée Nationale a adopté à l’unanimité une motion qui confirme le droit des Québécois à disposer eux-mêmes de leur avenir.
La chose semble tellement banale et aller de soi que cette motion a été adoptée à l’unanimité de tous les partis politiques représentés à l’Assemblée Nationale, soit le PQ, le PLQ, la CAQ, et QS. Il faut pourtant se rappeler qu’en 2000, lorsque la Loi 99 avait été adoptée, elle n’avait pas reçu le soutien des Libéraux. Mario Dumont, alors seul député de l’ADQ absorbée par la suite par la CAQ, avait voté avec le gouvernement.
On commencera donc par noter que ce qui était inacceptable aux Libéraux en 2000 est devenu pour eux une évidence en 2013. Avec le temps, et sans doute aiguillonnés par la crainte de perdre toute crédibilité auprès de l’électorat francophone, ils ont préféré prendre le risque de s’aliéner l’électorat anglophone et allophone.
Ce n’est pourtant pas un mince risque. Devant une telle trahison, cet électorat pourrait être tenté de leur refaire le coup du Equality Party, ce parti aujourd’hui disparu formé en 1989 dans la foulée du recours par le gouvernement Bourassa à l’utilisation de la « clause nonobstant » pour apporter un amendement à la Charte du français visant à assurer la prééminence de la langue française dans l’affichage commercial.
On notera aussi que la Loi 99, avec l’adoption de la motion d’hier, gagne en légitimité, et que cette légitimité nouvelle, et totale du fait de l’unanimité, va compliquer singulièrement la tâche des tribunaux qui devront se prononcer sur la contestation de la Loi 99 à laquelle le gouvernement fédéral vient tout juste de se joindre.
Mais ce qui est vraiment extraordinaire et qui vient introduire dans le débat une nouvelle variable de taille, c’est que cette motion et les interventions auxquelles elle a donné lieu établissent clairement la souveraineté du peuple québécois, sinon de l’État du Québec lui-même. Dans ce sens, Le Devoir rapporte ce matin cette déclaration du député Éric Caire de la CAQ, pourtant peu connu pour ses élans patriotiques québécois, « Le peuple québécois est souverain ». C’est l’essence et le sens de la motion adoptée hier.
Or ce n’est rien moins qu’une révolution ! En effet, le Canada n’est pas une république. C’est une monarchie (du grec monos archos, un seul chef) constitutionnelle. Alors que dans une république le peuple est souverain, ce n’est pas le cas dans une monarchie, la souveraineté étant alors investie dans la personne du, ou de la, monarque, autrement dit, du roi ou de la reine.
L’adoption unanime de la motion d’hier constitue donc le premier geste de rupture du Québec avec le Canada. Le Québec s’est émancipé de la tutelle monarchique. Serait-il devenu une république à notre insu ? Faut-il désormais parler de la République du Québec ?
Du coup, les Canadiens anglais vont se mordre les pouces d’avoir investi leur confiance dans des apprentis-sorciers comme Stephen Harper et Philippe Couillard. Le terrain constitutionnel n’est pas le meilleur pour se lancer dans l’improvisation.
Gageons que passé le moment de surprise devant l’énormité de ce qui vient de se produire et le temps d’en assimiler toutes les conséquences, ça va brasser dans les chaumières.
Comment se débarrasser d’une reine sans la guillotiner
Vous avez été plusieurs à témoigner de votre surprise et votre incompréhension à la lecture de mon dernier texte intitulé Le Québec serait-il devenu une république à notre insu ?, écrit dans la foulée de l’adoption à l’unanimité par l’Assemblée Nationale d’une motion réaffirmant la souveraineté du peuple québécois dans la détermination de son avenir politique.
Après tout, m’ont dit certains, cette motion référait à un principe établi il y a plus de dix ans dans la Loi 99. En quoi la réaffirmation de ce principe pouvait-elle justifier mon interrogation sur la possibilité que le Québec soit devenu une république à notre insu ?
La première chose qu’il faut comprendre, c’est que la question de la souveraineté se pose à deux niveaux dans un pays comme le Canada. En effet, le Canada n’est pas une république, c’est une monarchie constitutionnelle. Or la caractéristique de toute monarchie est que ses citoyens sont des sujets du monarque, roi ou reine, qui se trouve à être le seul détenteur de la souveraineté, et qu’on nomme également à l’occasion souverain ou souveraine.
Dans une monarchie constitutionnelle, tout acte du gouvernement émane donc de l’autorité royale. C’est ce qui explique la présence de la mention Sa Majesté, du chef du Canada, c’est à dire aux droits du Canada, sur tout document officiel.
Dans une république, par opposition, le pouvoir émane du peuple. Ainsi le texte du préambule de la Constitution des États-Unis, une république, commence-t-il avec les mots suivants, « We the people », ce qui établit très clairement dès le départ que le pouvoir et son exercice aux États-Unis émanent de l’autorité du peuple américain. Et si l’un des deux grands partis politiques de notre voisin du Sud s’affiche comme le Republican Party, c’est qu’il prétend s’inspirer de l’esprit républicain qui met le citoyen au coeur de ses préoccupations et son action.
Adoptée en décembre 2000, la Loi 99 s’intitule Loi sur l’exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l’État du Québec . Le chapitre 1 de la Loi s’intitule « Du peuple québécois » et se lit comme suit :
CHAPITRE I
DU PEUPLE QUÉBÉCOIS
1. Le peuple québécois peut, en fait et en droit, disposer de lui-même. Il est titulaire des droits universellement reconnus en vertu du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes.
2000, c. 46, a. 1.
2. Le peuple québécois a le droit inaliénable de choisir librement le régime politique et le statut juridique du Québec.
2000, c. 46, a. 2.
3. Le peuple québécois détermine seul, par l’entremise des institutions politiques qui lui appartiennent en propre, les modalités de l’exercice de son droit de choisir le régime politique et le statut juridique du Québec.
Toute condition ou modalité d’exercice de ce droit, notamment la consultation du peuple québécois par un référendum, n’a d’effet que si elle est déterminée suivant le premier alinéa.
2000, c. 46, a. 3.
4. Lorsque le peuple québécois est consulté par un référendum tenu en vertu de la Loi sur la consultation populaire (chapitre C-64.1), l’option gagnante est celle qui obtient la majorité des votes déclarés valides, soit 50% de ces votes plus un vote.
2000, c. 46, a. 4.
Ce texte de loi établit donc très clairement la souveraineté du peuple québécois et la préséance de sa volonté sur celle de qui que ce soit. Ce faisant, il se trouve à nier l’autorité de Sa Majesté, du chef du Canada. N’ayant pas été adopté à l’unanimité, les Libéraux ayant refusé de l’endosser, ce texte de loi sur un sujet d’aussi grande importance était affligé d’un certain déficit de légitimité.
Mais aucun texte juridique n’a de valeur avant qu’on ne l’invoque ou le conteste, et il est donc resté sur les tablettes jusqu’à ce qu’un groupe de citoyens anglophones du Québec décide d’en contester la validité constitutionnelle dans le cadre d’une procédure judiciaire.
Tant et aussi longtemps qu’il ne s’agissait que d’un litige entre le Gouvernement du Québec et un groupe de citoyens, l’affaire ne revêtait pas les proportions d’une crise constitutionnelle, mais comme le texte de la Loi met en cause les pouvoirs du gouvernement fédéral, il était inévitable que, tôt ou tard, il intervienne dans ces procédures pour demander au tribunal de reconnaître les droits qu’il prétend avoir, et c’est ce qu’il a fait il y a quelques jours.
À partir du moment où il le faisait, il devenait essentiel pour le Gouvernement du Québec de réaffirmer les siens, et le gouvernement Marois, un gouvernement du Parti Québécois comme celui qui était en place lorsque la Loi 99 a été adoptée, a choisi de le faire sous la forme d’une motion qui a été adoptée à l’unanimité, ce qui vient combler le déficit de légitimité dont elle était affligée lorsqu’elle a été adoptée. La Loi 99 se trouve donc à être plus forte maintenant qu’elle ne l’était avant l’adoption de la motion, et c’est ce qui m’a amené à conclure dans mon dernier texte que les forces fédéralistes avaient lamentablement cafouillé dans cette affaire.
En effet, on imagine sans peine ce qu’il se serait produit si les Libéraux, au lieu d’être dans l’opposition, avaient été au pouvoir, quand on sait que Philippe Couillard se proposait de signer la Constitution de 1982, chose qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait osé faire, Jean Charest y compris.. La Constitution signée, la Loi 99 devenait sans objet. Au lieu de cela, c’est lui-même qui, en appuyant la motion, vient de verser de l’huile sur le feu. Félicitations pour votre beau programme, M. Couillard ! Les indépendantistes du Québec doivent une fière chandelle à votre ineptie.
Le fait que la Loi 99 soit désormais contestée par le gouvernement fédéral sur la question de la souveraineté du peuple confère à celle-ci un poids qu’elle n’avait pas jusqu’ici. Il existe en droit une présomption de la validité des lois jusqu’à ce qu’elles aient été invalidées. En vertu de cette présomption et du texte de loi, le peuple québécois est donc souverain, et s’il l’est, le Québec est donc déjà une république, cette question étant rattachée aux droits du peuple et non aux pouvoirs de l’État du Québec qui font pour leur part l’objet du Chapitre 2 de la Loi 99.
Il existe donc deux souverainetés, celle du peuple québécois et celle de l’État du Québec. Le peuple vient d’acquérir la sienne.
Quant à la question de savoir s’il est possible pour le peuple québécois de constituer une république sans que l’État du Québec ne soit indépendant, elle se trouve réglée par des précédents historiques comme celui de l’ancienne Russie, l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques, qui regroupait en un seul État fédéré quinze républiques distinctes.
Qui plus est, comme la Constitution de 1982 n’a jamais été ratifiée par le Québec, la question se pose d’autant plus de sa validité au Québec. Le rapatriement de Trudeau était peut-être légal, mais il n’était pas légitime, comme l’a signalé à l’époque la Cour suprême du Canada. Et ce que nous avons appris cette année sur les circonstances judiciaires du rapatriement grâce à l’ouvrage de Frédéric Bastien, La bataille de Londres, ne contribue en rien à solidifier le frêle édifice juridique sur lequel repose la Constitution du Canada, si tant est qu’elle existe.
En conservant la monarchie, Trudeau, qui n’avait jamais eu beaucoup de respect pour cette institution, pensait, en bon constitutionnaliste qu’il était, renforcer son dispositif pour contrer l’accession du Québec à la souveraineté. C’était doter le Canada d’une paire de bretelles en plus de la ceinture pour qu’il ne perde pas ses culottes constitutionnelles.
Il aura été déjoué par la manoeuvre de la Loi 99 dont il ne croyait sans doute pas les Québécois capables. Et doublement déjoué, car si la monarchie avait été abolie, la question de la souveraineté du peuple ne se serait pas posée, et la crise actuelle n’aurait pas toute l’acuité qu’elle revêt soudainement.
En attendant, il faut créditer l’esprit québécois d’avoir trouver le moyen de se débarrasser d’une reine sans la guillotiner.
Malheureusement, avec le report des élections générales au printemps, il faudra encore attendre quelques mois avant d’avoir le plaisir et la satisfaction de voir les nouveaux députés du Parti Québécois prêter serment au peuple plutôt qu’à la reine, conformément à la Loi 99, et à voir les nouveaux élus Libéraux se tortiller pour savoir s’ils donneront suite, en prêtant serment au peuple plutôt qu’à la reine, à l’acte de légitimation qu’ils viennent de poser en votant pour la motion du gouvernement Marois.
Sans qu’ils ne me viennent à l’esprit maintenant, il existe sûrement toute une kyrielle de cas – autres que de décrocher des portraits – dans lesquels il serait possible de faire jouer dès maintenant la présomption de la validité de la Loi 99 pour miner le concept de l’autorité royale au Québec. Il serait intéressant de les identifier et d’en faire le décompte. Ce serait un bel exercice pour les collaborateurs de Vigile.
Le processus de l’indépendance est amorcé, et je le dis avec un clin d’oeil, sans même qu’il y ait eu de référendum.