La Catalogne se mobilise pour son indépendance

DOSSIER RÉALISÉ PAR JOANA VIUSA

L'an dernier, la diada avait rassemblé près de deux millions de personnes dans une vaste chaîne
L’an dernier, la diada avait rassemblé près de deux millions de personnes dans une vaste chaîne

Jeudi, jour de la fête nationale catalane, près de deux millions de personnes sont attendues à Barcelone pour former un ‘V’ victorieux à deux mois du référendum pour un Etat souverain.

Pour la troisième année consécutive les Catalans se mobiliseront massivement le jeudi 11 septembre, date de la Diada, la fête nationale de la Catalogne. En 2012, plus d’un million de manifestants avait envahi le cœur de Barcelone à l’appel de ceux qui veulent obtenir le « droit de décider » par eux-mêmes. L’an dernier à la même date, une chaîne humaine traversant toute la Catalogne, de La Jonquera jusqu’à l’Alcanar, proclamait son droit à l’autodétermination. Jeudi, c’est directement à « la » victoire que sont convoqués les participants à cette troisième mobilisation qui devrait rassembler au moins autant de monde que les années précédentes : ils formeront un V aux couleurs sang et or, en fonction de l’emplacement des manifestants endossant des T-Shirts jaunes ou rouges. Un défi gigantesque !

Suivez l’actualité catalane et la mobilisation de Barcelone dans la perspective du référendum du 9 novembre.

Loi de consultation

D’autant que de l’autre côté de la barrière, Madrid affiche une fin de non-recevoir catégorique. Non à quoi ? À la convocation d’un référendum le 9 novembre, appelant les électeurs catalans à choisir entre deux projets : une Catalogne séparée de l’Espagne ou un État catalan inscrit dans un cadre fédéral espagnol. Mariano Rajoy et tous les dirigeants de partis parlementaires espagnols ont beau rappeler que la configuration de l’État concerne tous les Espagnols et qu’il n’est pas question qu’une partie seulement décide pour tous, rien n’y fait ! Il est vrai que le président de la Generalitat, Artur Mas, jure qu’il ne s’agit que d’une simple consultation afin, dit-il, de connaître l’opinion des citoyens vivant en Catalogne sur cette question. Mais pour ce faire, le parlement catalan doit adopter le 19 septembre – le lendemain du référendum pour l’indépendance des Ecossais – une loi de consultation non référendaire. Or aussitôt après, le gouvernement Rajoy déposera un recours auprès du Tribunal constitutionnel contre la loi catalane qui sera automatiquement suspendue pendant au moins six mois, le verdict d’annulation pouvant tomber avant un mois. Côté catalan, c’est encore le brouillard. Artur Mas a dit à plusieurs reprises qu’en cas d’annulation, il convoquera les signataires du pacte pour le droit de décider (qui rassemble 87 des 135 élus au parlement catalan) afin d’obtenir un accord unanime sur la nouvelle marche à suivre.

«Foncer»

Théoriquement, deux des quatre partis signataires – ERC et CUP – sont partisans de foncer. Les deux autres – les éco-socialistes d’IU-Verds et la coalition autonomiste-indépendantiste CIU – pensent qu’il serait contraire au système démocratique de défier la sentence du Tribunal constitutionnel. La solution serait donc d’avancer les élections pour l’autonomie sur un programme électoral commun portant sur la souveraineté de la Catalogne. Cette consultation pourrait avoir lieu en février 2015.

Pourquoi ?

Mais pourquoi la Catalogne veut-elle rompre avec l’Espagne ? Tout commence avec la révocation en 2010 du nouveau statut d’autonomie par le Tribunal constitutionnel. La pierre d’achoppement a tant et si bien roulé depuis lors qu’elle n’a fait qu’amasser de plus en plus de partisans de l’indépendance de la Catalogne. Au point que le parti Esquerra Republicana de Catalunya, qui a traditionnellement recueilli les voix des indépendantistes, remporterait le scrutin, selon tous les sondages. Le texte du statut d’autonomie de la Catalogne avait pourtant été adopté par le Parlement catalan, ainsi que par le congrès des députés de Madrid et le sénat en 2006 avant d’être ratifié par référendum par les électeurs catalans. Mais un an avant de remporter les élections en novembre 2011, le Partido Popular avait obtenu que le Tribunal constitutionnel annule le statut d’autonomie de la Catalogne. Depuis lors, les Catalans sont convaincus que le gouvernement de Mariano Rajoy cherche à recentraliser l’État et ne cesse de récupérer les compétences cédées aux régions autonomes. umaine. Une montée en puissance

Tous les sondages reflètent aujourd’hui la montée du sentiment souverainiste qui touche toutes les couches de la société catalane, même au sein des familles d’expression castillane. Dans les années 2000, le vote indépendantiste ne dépassait guère 30 % de l’électorat. En 2013, il frôlait les 50 %. Depuis que les socialistes espagnols et catalans ont introduit dans le débat la formule territoriale fédérale, le pourcentage de partisans de cette option a légèrement augmenté, au détriment des indépendantistes dont le taux serait maintenant autour de 45 %. Encore faudrait-il que le PSOE remporte des élections législatives et qu’il obtienne l’aval des 3/5 des deux chambres pour mettre en œuvre une réforme de la constitution espagnole. La question qui serait posée le 9 novembre est passablement compliquée : « Etes-vous partisan que la Catalogne soit un État ? Si oui, voulez-vous un État indépendant ? ». La première partie comprend toutes les formules d’organisation territoriale possibles au sein d’une Espagne remodelée, et la seconde exclut toute association territoriale avec l’Espagne. Selon une enquête de la Generalitat, 41,3 % répondraient affirmativement à la première question, dont 34,6 % favorables à l’indépendance. La consultation du 9 novembre a été décidée par le Parlement catalan voici deux ans : 84 élus avaient voté pour, 21 contre et 25 s’étaient abstenus.

Ce que disent les voix discordantes

En Catalogne, des voix s’élèvent contre le référendum et la tentation souverainiste.

Le chœur souverainiste semble apparemment unanime. Mais des voix discordantes existent tout de même. À commencer par celle des élus du Partido Popular qui, bien n’étant que la cinquième force au sein du Parlement catalan, bénéficie du poids de la majorité absolue que détient le parti à Madrid sans oublier la voix puissance d’Alicia Sanchez-Camacho, à la tête de ses 19 élus à la tribune parlementaire catalane. Sur la même longueur d’onde, mais en concurrence, le petit parti « Ciutadans’s » (C’s), que dirige le jeune avocat Albert Rivera et qui compte 9 élus, rejette lui aussi le processus souverainiste. Dans une frange des indécis, les démocrates-chrétiens (UDC) de la coalition Convergència i Unió (CIU), se tâtent, pris au piège du changement de cap du parti autonomiste fondé par Jordi Pujol (CDC) passé au souverainisme.

Troisième voie

La vice-présidente du gouvernement Mas, Joana Ortega, élue UDC, exprimait ainsi sa position la semaine dernière sur TV3 : « Aucun parti de gouvernement ne peut agir en marge de la loi, au sein d’État démocratique ». Le leader d’UDC, Josep-Lluís Duran Lleida a cherché à proposer une troisième voie, proche de celle que propose le PSC. Le parti socialiste catalan, en effet, bien que partisan au début du droit à décider, s’est carrément démarqué, non sans y laisser beaucoup de plumes, son aile catalaniste ayant viré au souverainisme, les Maragall en tête quittant le parti. Le tout nouveau dirigeant du PSOE, Pedro Sanchez, a rencontré le président de la Generalitat pour lui offrir un avenir fédéraliste. Il est sorti de l’entrevue « convaincu » que Mas ira jusqu’au bout de sa démarche. Mais au sein même du parti de Mas, son ministre du territoire et du développement durable , Santi Vila (ancien maire de Figueres) juge que le gouvernement ne peut pas enfreindre la loi, si « l’arbitre » (le Tribunal constitutionnel) se prononce contre l’organisation d’une consultation souverainiste. Enfin, même si Mas assure que l’affaire Pujol (non déclaration de son patrimoine caché en Andorre) n’aura pas d’incidence sur le processus souverainiste, elle lui complique tout de même pas mal la tâche en vue d’obtenir une unité d’action, ERC ayant choisi d’enfoncer le « Patriarche » en exigeant une enquête parlementaire sur ses avoirs.

«Joint…»

En marge de cette opposition parlementaire au processus catalan, de nouveaux intervenants au débat ont surgi dernièrement : une association baptisée « Societat Civil » composée d’une dizaine universitaires et de chefs d’entreprises venus d’horizons idéologiques divers. Dans un article paru il y a quelques mois dans le quotidien El Periodico, son porte-parole et vice-président, l’historien Joaquim Coll, compare le processus souverainiste à un « grand joint sécessionniste que la société catalane est en train de fumer avec jouissance »…