La clause nonobstant : indispensable

Par Mathieu Bock-Côté, dans Le Journal de Montréal, le 2 avril 2014

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La promesse est venue tard, probablement trop tard, mais le Parti Québécois s’est finalement engagé, s’il est élu, à faire usage de la clause nonobstant pour protéger sa Charte des valeurs du travail de sape qu’on allait évidemment livrer contre elle au nom du régime de 1982. Évidemment, la grande majorité des commentateurs hurle au scandale. […]

[…] Sous le multiculturalisme, il n’y a plus de peuple non plus que de culture commune. Il ne peut conséquemment y avoir de souveraineté populaire. Il n’y a qu’une juxtaposition de minorités cherchant à se protéger d’une éventuelle « tyrannie de la majorité » en transformant chacune de leurs revendications en autant de « droits fondamentaux » dont les tribunaux devraient se faire les gardiens. La citoyenneté, en régime multiculturalisme, est strictement procédurale. […]

La Charte de 1982 ne protège pas les droits : elle provoque un émiettement de la communauté politique dans la mesure où n’importe quel groupe tend désormais à se présenter comme une minorité discriminée en traduisant ses revendications dans le langage des droits fondamentaux. […]. Ils n’acceptent plus vraiment d’inscrire leurs revendications dans un projet commun les transcendant. Au contraire : ils absolutisent leurs revendications.

Les juges disposent alors d’une supériorité morale : eux-seuls, à l’abri des passions populaires, peuvent se présenter comme les gardiens des droits. Ils étendent évidemment leur empire idéologique : les questions fondamentales devraient leur appartenir, et l’intendance devrait relever du parlement. La souveraineté populaire devient un principe résiduel. On parle de la Charte de 1982 comme d’un texte sacré dont les juges seraient les gardiens et non pas d’un document résultant d’une décision politique critiquable et discutable. En fait, on traite la Charte de 1982 comme le fruit d’une révélation religieuse et ceux qui en doutent comme des hérétiques.

La Charte de 1982 a fondé un nouveau régime politique qui désigne à la vindicte publique ceux qui critiquent ses assises. Mais la légitimité de ce régime connait de nombreuses lézardes. Car la démocratie est vidée de son sens si elle ne permet pas à un peuple de déterminer les grands principes qui structureront sa vie collective et si elle transfert systématiquement vers des pouvoirs non élus les décisions qui permettent de fixer ces principes. […]

La clause nonobstant, ici, représente une forme de levier démocratique : elle réhabilite le primat du politique dans un régime fondé sur sa censure et sa neutralisation. S’y référer de manière décomplexée, c’est aussi une manière de refuser l’hégémonie idéologique de ceux qui entendent cadenasser les institutions et condamner les partis politiques à évoluer dans un périmètre de plus en plus étroit. La clause nonobstant donne une emprise, aussi minimale soit-elle, sur le régime de 1982, et témoigne de la part inévitable de la souveraineté populaire dans la construction de n’importe quel ordre politique prétendant se réclamer de la démocratie.

Plus fondamentalement, en réhabilitant le politique, elle réhabilite le collectif et refuse de le dissoudre dans la seule logique des droits, qui conduit inévitablement à un appauvrissement de la citoyenneté. […]

Il était temps, en quelque sorte, que les souverainistes transgressent ce tabou. Ils redécouvrent ainsi ce que la critique du Canada de 1982 veut dire.

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