par Christian Gagnon | Le Patriote
Le 6 avril dernier, la Cour d’appel de l’Ontario a autorisé deux recours collectifs totalisant 75 millions $ contre la police de Toronto qui avait procédé à plus de 900 arrestations arbitraires lors du sommet du G20, en 2010. L’une des plaignantes, Sherry Good, s’est réjouie de la décision. On m’a privé de mes droits sans m’accuser de quoi que ce soit, a-t-elle déclaré aux médias, elle qui, avec d’autres, avait été encerclée sous la pluie par l›escouade antiémeute. À l’époque, plusieurs groupes et commentateurs canadiens avaient prétendu – et répéteront sans doute – que cette vague torontoise d’arrestations a constitué une violation des libertés civiles plus massive que celle de la Crise d’octobre 1970 au Québec. Vraiment ? Ces quatre heures ont été terrifiantes, s’est rappelée Sherry Good. Quatre grosses heures.
Oui, les 450 arrestations de la Loi sur les mesures de guerre de 1970, c’est deux fois moins que les 900 du G20 de Toronto. Mais ces centaines de personnes innocentes arrêtées le tristement célèbre 16 octobre 1970 ne l’ont pas été en pleine rue lors de vastes manifestations ayant mal tourné. Elles l’ont été à leur domicile, pour la plupart en pleine nuit. Et elles n’ont pas été retenues quelques heures, mais bien emprisonnées pendant des jours, des semaines, voire des mois, puis relâchées sans explications ni expression du moindre regret. Ces victimes québécoises de la Loi sur les mesures de guerre de 1970 ne s’étaient pas retrouvées au mauvais endroit au mauvais moment. Elles ont été incarcérées pour leurs opinions en vertu d’une liste préalablement révisée par le gouvernement fédéral et l’administration municipale de Montréal. Sur cette liste se sont retrouvés des poètes comme Gérald Godin, des chanteuses comme Pauline Julien, des écrivaines comme Andrée Ferretti, n’ayant strictement aucun lien avec la poignée de felquistes sévissant alors, mais partageant de profondes divergences d’opinion avec Pierre Elliot Trudeau.
On sait aussi depuis l’émission Enquêtes du 14 octobre 2010 que du 13 au 15 octobre 1970, la police de Montréal, la Sûreté provinciale du Québec et la Gendarmerie royale du Canada, toutes trois réunies, n’étaient parvenues qu’à dresser une liste d’une soixantaine de suspects. Voulant sauver la face en procédant à un nombre d’arrestations proportionnel aux pouvoirs démesurés que lui conférait la Loi sur les mesures de guerre, la GRC a alors décidé d’y ajouter sa vieille liste de centaines de personnes soupçonnées de « communisme ». Cette liste était issue d’un programme secret nommé PROFUNC, aux relents maccarthistes honteux.
Au coup de force de 1970, il faut enfin ajouter pas moins de 14 000 perquisitions policières, menées sans ménagement dans les foyers de familles comptant ici un simple militant syndical, là une sympathisante indépendantiste sans histoire. On ne parle donc pas d’une journée de bavures policières comme à Toronto, mais d’intimidation politique légalisée et de longs emprisonnements injustifiés, comme l’ont démontré les Commissions Keable, Duchaîne et Macdonald. Et comme l’ont exposé le journaliste Louis Fournier et le réalisateur Vincent Audet-Nadeau (Le Devoir, 25 octobre 2010) ainsi que l’historienne Manon Leroux (Les silences d’Octobre, VLB, 2002), non seulement n’y a-t-il eu au terme du processus judiciaire que 13 condamnations pour complicité avec le FLQ, mais seulement 103 des 171 personnes s’étant plaintes au Protecteur du citoyen se sont vues rembourser les salaires perdus pendant leur séjour en prison, jusqu’à concurrence de 400 $ (un maigre 2500 $ en dollars de 2016). On est donc bien loin des 75 millions $ que réclament aujourd’hui les 900 altermondialistes du G20. Alors, messieurs dames de Toronto, en comparaison de notre Loi sur les mesures de guerre de 1970 et en tout respect, votre Crise de juin 2010, c’est de la petite bière. •••