La Journée nationale des Patriotes est un devoir de mémoire

Article de Thierry Haroun paru dans Le Devoir du 22 mai 2010.

Que signifie être un patriote aujourd’hui? Est-il toujours pertinent de rappeler les rébellions de 1837-1838 et pourquoi? Conversation avec les deux porte-parole de la Journée nationale des Patriotes: l’historien Jacques Lacoursière et le chanteur et musicien Daniel Boucher.

Posons la question en ouverture: pourquoi avez-vous accepté d’être porte-parole de la Journée nationale des Patriotes?

«Parce que j’en suis un, répond Daniel Boucher. Je suis un patriote. Je suis souverainiste jusqu’au fond des veines. Je trouve important qu’on continue à s’engager, parce qu’on a tendance facilement à mettre la cause de l’indépendance sur la glace en se disant qu’il y a des choses plus importantes que ça. Écoutez, ce n’est pas vrai qu’on ne peut pas aller mieux, et ce n’est pas vrai que l’indépendance est une mauvaise chose; c’est une très bonne chose. Il faut regarder ça en face et continuer à en parler de façon pacifique, saine et constructive.»

Patriote au quotidien

Pour lui, être un patriote au quotidien, c’est être en mesure de parler sa langue maternelle et de la partager avec d’autres, comme on partage son pays et ses us et coutumes. «Le français, c’est notre ciment. Pour moi, être un patriote au quotidien, c’est être obstiné sur le fait français et prendre une minute de mon temps pour faire comprendre à la personne qui est en face de moi que c’est important qu’elle me serve en français. Si cette personne n’est pas capable de me dire que ça coûte 42 dollars et 28 cents, alors je vais lui faire dire. Je vais prendre une minute de mon temps et lui enseigner avec le sourire. C’est une façon de partager mon pays.»

Daniel Boucher poursuit sa réflexion sur ce sujet en précisant que cette marche vers l’indépendance et cette obstination à vouloir vivre en français sur une base quotidienne doivent se faire dans la mesure «où on reste soi-même, souverain et dans le but d’être maître de ses propres décisions. C’est capital! Comment t’affirmer si tu ne sais pas qui tu es? Et ce n’est pas vrai qu’on fonctionne aussi bien qu’on pourrait fonctionner [dans un contexte d’indépendance]. Ce n’est pas vrai, c’est de la bullshit pour endormir le monde. Nous, on est des patriotes: on veut être bien chez nous, on veut être maîtres chez nous. Et qu’on ne vienne pas me dire que cette phrase date des années 1960; oui, elle a 50 ans cette phrase-là, mais je suis désolé de devoir la répéter», souligne l’artiste, qui interprétera six pièces, dont Le Chant d’un patriote, de Félix Leclerc, lors d’un grand spectacle qui se tiendra le 24 mai au cabaret La Tulipe, situé avenue Papineau.

Est-ce que les jeunes connaissent bien l’histoire du Québec? «J’ai l’impression que non et je ne suis pas sûr non plus que la génération d’aujourd’hui est pire que la mienne à ce sujet. On a beau enseigner l’histoire, mais ce qui compte surtout, c’est d’expliquer pourquoi on l’enseigne. C’est aussi important que la matière elle-même.»

Point de vue de l’historien

De son côté, l’historien Jacques Lacoursière a accepté d’être aussi porte-parole de la Journée nationale des Patriotes afin «de mieux faire connaître ce fait de l’histoire, parce qu’on a tendance à résumer les Patriotes à la bataille de Saint-Denis, où il y avait juste des fourches et à peu près pas de fusils; alors qu’il faut mettre tout cela dans un contexte beaucoup plus large».

Jacques Lacoursière rappelle que les rébellions s’inscrivent plus largement dans un contexte mondial où, entre 1818 et 1825, pratiquement toute l’Amérique latine se libère de l’emprise des Espagnols et des Portugais. Plus tard, ce sera l’indépendance de la Belgique et de la Grèce, alors qu’en France on est au coeur de la révolution de Juillet. «Donc, c’est l’idée du peuple souverain qui triomphe, au sens républicain de la chose qui a cours.»

Soit, mais est-ce que le rappel à la mémoire collective de ces rébellions de 1837-1838 est toujours pertinent? «Oui. J’ai l’impression que oui, simplement parce que la notion de démocratie est de plus en plus bafouée et négligée, alors que les Patriotes s’étaient justement battus pour ça.» En ce qui concerne l’enseignement de l’histoire, M. Lacoursière estime «qu’on ne devrait pas occulter des événements importants. Dans le programme actuel, les événements de 1837-1838 sont à peu près passés sous silence. Tout ce qu’il y a, c’est une analyse de texte sur le chevalier De Lorimier, qui a été pendu le 15 février 1839», déplore-t-il.

Lire l’article dans le site Internet du Devoir