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La langue française et l’exemplarité de l’État, une responsabilité collective

Le 6 mai 2021, le gouvernement québécois annonçait que l’article 1 du projet de loi 104, Loi modifiant la Charte de la langue française (CLF) et adoptée 19 ans auparavant, entrerait officiellement en vigueur le 5 mai 2022. Cet article précise que l’Administration — gouvernement, ministères, organismes gouvernementaux, municipaux et scolaires, ainsi que les établissements de santé et de services sociaux — doit utiliser uniquement le français dans ses communications écrites avec les personnes morales établies au Québec et avec les autres gouvernements.

Selon le ministre responsable de l’époque, la mise en veilleuse de cet article durant près de 20 ans par les gouvernements successifs a participé à une bilinguisation croissante de l’État québécois. Son entrée en vigueur permettait au gouvernement québécois de « renouer avec sa responsabilité historique » et faire preuve de cohérence en matière de protection et de promotion du français. Avec l’adoption de la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (projet de loi 96), le 24 mai 2022, le gouvernement apportait la dernière pierre à l’édifice de l’exemplarité de l’État.

Or, la publication, le 1er mars dernier, de deux règlements devant permettre la mise en vigueur des dispositions de la Charte de la langue française, et surtout la présence de quatre clauses temporaires, nous fait craindre que les importants gains réalisés en matière d’exemplarité de l’État grâce au gouvernement actuel pourraient être diminués, voire devenir caduques avec le temps.

Du flou de certaines clauses
Alors que ces projets de règlements formulent des exceptions au principe d’exemplarité de l’État, on y retrouve aussi quatre clauses stipulant qu’un organisme de l’Administration peut déroger à la CLF si, ce faisant, il « compromettait l’accomplissement de sa mission », après avoir pris « tous les moyens raisonnables pour communiquer uniquement dans la langue officielle ».

Nous jugeons d’abord extrêmement floue cette notion de « compromission » de la mission de l’organisme. Quels sont les critères en fonction desquels un ou une fonctionnaire pourrait juger la mission de son organisme compromise en communiquant uniquement en français, alors que plusieurs exceptions à la CLF sont déjà prévues ? Autrement dit, en plus des exceptions prévues, quelle autre situation pourrait réellement « mettre en péril » la mission d’un organisme étatique ?

Et puis, qu’est-ce que d’avoir pris « tous les moyens raisonnables de communiquer uniquement en français » ? Ainsi, existe-t-il une liste de moyens à prendre pour tenter de faire respecter la CLF avant de se résigner devant l’« impossible » ? Enfin, nous reconnaissons qu’en théorie, ces clauses cesseront d’être en vigueur le 1er juin 2025. Cependant, il est fort probable que d’ici là, d’importantes pressions politiques seront exercées afin que le gouvernement adopte un nouveau projet de règlement permettant de prolonger l’application de ces clauses, voire les pérenniser. En effet, il n’est pas dans la nature humaine que de renoncer à des « cartes dans son jeu » : pourquoi l’Administration y consentirait-elle sans broncher ?

De la présence d’un plan opérationnel ?
Cela, d’autant plus que pour relever cet immense défi que représente l’inversion de la forte tendance de l’État québécois à se bilinguiser, des efforts titanesques devront être déployés, sur tous les fronts, de manière coordonnée, cohérente. Or, existe-t-il un tel plan opérationnel au gouvernement pour s’assurer que dans à peine 24 mois, l’Administration sera prête à faire le grand saut, sans filet (clauses temporaires et générales) ?

Alors que d’importantes ressources humaines et financières devront être investies d’ici le 1er juin 2025 afin de permettre à l’État québécois d’atteindre ses objectifs, les montants nécessaires à ces investissements sont-ils prévus dans le budget 2023-2024 ? Rien ne nous permet actuellement de l’affirmer.

Le groupe d’action pour l’avenir de la langue française mené par le ministre Jean-François Roberge a lancé une consultation pour alimenter la réflexion qui mènera à un plan d’action pour le français au cours des prochaines années. Nous saluons cette ouverture, bien que le format et les délais imposés ne soient pas optimaux.

Investie dans la défense et la promotion du français, la société civile répondra à l’appel, puisque l’heure est à la collaboration, à la responsabilisation collective en faveur de notre langue et aux actions musclées : si nous voulons garantir au français, et donc à cette culture unique qui est la nôtre, un avenir prospère au Québec et en Amérique, nous devons toutes et tous, Administration, gouvernement, organismes, citoyennes et citoyens, redoubler d’efforts.

 

Marie-Anne Alepin,
présidente générale de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal

Étienne-Alexis Boucher, président de Droits collectifs Québec

Henri Brun et Guy Rocher

Ils cosignent cette lettre avec plusieurs autres personnalités publiques.*

Frédéric Bastien, président de Justice pour le Québec ;
Jacques Beauchemin, professeur retraité du Département de sociologie de l’UQAM ;
Gaston Bernier, secrétaire général de l’Association pour le soutien et l’usage de la langue française ;
André Binette, avocat constitutionnaliste ;
Pierre Curzi, ex-député de Borduas à l’Assemblée nationale du Québec ;
Lucia Ferretti, professeure titulaire au Département des sciences humaines de l’UQTR ;
Antonin-Xavier Fournier, politologue et professeur au cégep de Sherbrooke ;
François Gendron, ex-député d’Abitibi-Ouest à l’Assemblée nationale du Québec et ex-ministre pour le gouvernement du Québec ;
Frédéric Lapointe, président du Mouvement national des Québécoises et des Québécois ;
Maxime Laporte, président du Mouvement Québec français ;
Gérald Larose, ex-président de la CSN ;
Jean-Paul Perreault, président d’Impératif français ;
et Daniel Turp, professeur émérite à la Faculté de droit de l’Université de Montréal.

 

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