La langue française n’a plus le luxe d’attendre
Après 19 ans d’attente, nous y étions enfin: l’article 1 du projet de loi 104, adopté en 2002 et intitulé Loi modifiant la Charte de la langue française (CLF), allait officiellement entrer en vigueur le 5 mai 2022 nous annonçait en grande pompe le gouvernement québécois en 2021. Cet article prévoit que l’Administration — gouvernement, ministères, organismes gouvernementaux, municipaux et scolaires, ainsi que les établissements de santé et de services sociaux — doit utiliser uniquement le français dans ses communications écrites avec les personnes morales (et non les individus) ayant pignon sur rue au Québec, puis avec les autres gouvernements. En effet, l’exemplarité de l’État compte parmi les principales politiques qui doivent être appliquées afin d’espérer pouvoir inverser l’inquiétante tendance sociolinguistique défavorable au français depuis maintenant plus de 20 ans sur le territoire québécois.
Or, 4 ans plus tard, nous n’y sommes toujours pas. Déjà, en 2023, nous soulignions le caractère préoccupant de l’existence de clauses règlementaires temporaires permettant à l’Administration de contourner cette obligation, des clauses dont l’effectivité devait prendre fin le 1er juin 2025. C’est donc avec déception que nous avons constaté que ces clauses relatives aux communications pourraient être reconduites par l’adoption des Projets de règlements 85022 et 85025, ce qui laisse toujours planer la crainte de voir les gains réalisés en matière d’exemplarité de l’État subir d’importants reculs, voire devenir anecdotiques.
Vers la pérennisation du flou et du temporaire?
Ainsi, les Projets de règlements en question prévoient toujours permettre à l’Administration d’utiliser, en plus du français, une autre langue dans une communication écrite adressée à une personne morale établie au Québec lorsque ladite communication est « effectuée alors que les principes de justice naturelle exigent l’utilisation d’une autre langue », ou encore lorsque l’utilisation du seul français « compromet l’accomplissement de [la mission de l’organisme] et que l’organisme de l’Administration a pris tous les moyens raisonnables pour communiquer uniquement dans la langue officielle ou pour que le document soit rédigé uniquement en français ». D’emblée, de telles formulations nous apparaissent très floues et laissent place à une large interprétation. En effet, à quel moment l’Administration aura jugé avoir « pris tous les moyens raisonnables »? À quel moment communiquer en français « compromettrait la mission de l’organisme »? Quand est-ce qu’un principe de justice naturelle « exige » (et donc oblige) l’utilisation d’une autre langue que le français? Alors que de (très) nombreuses exceptions sont déjà prévues par la Charte de la langue française (CLF) en matière de communication par l’Administration avec les personnes morales, nous considérons que de telles clauses « fourre-tout » devraient être sinon abrogées, à tout le moins clarifiées.
De même, il est à noter que ces clauses supposément temporaires touchent aussi la question de la recherche scientifique. Pourquoi s’en inquiéter, s’agissant d’un domaine aussi « pointu », aux ramifications internationales? Car à l’instar des efforts réalisés afin de favoriser le français au travail ou encore au sein de l’Administration publique, agir pour notre langue dans le
domaine de la recherche scientifique contribue à rendre celle-ci, et donc son apprentissage, utile, incontournable et nécessaire, cela dans toutes les sphères de notre vie en société. Ce n’est qu’ainsi que nous favoriserons à long terme non seulement la survie de notre langue, mais surtout son développement.
De la mobilisation de la société civile québécoise


Marie-Anne Alepin
Présidente générale Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal
Au service de la patrie depuis 190 ans