Jeanne Corriveau et Jean-François Nadeau | Le Devoir
La maison Boileau, rare témoin de l’histoire des patriotes de 1837-1838, a été démolie jeudi matin par deux pelles mécaniques et des employés de la Ville de Chambly devant les citoyens dévastés par l’opération de destruction. Le ministère de la Culture et des Communications a déploré « vivement cette démarche », tout en affirmant qu’il avait offert à la Ville en 2016 de subventionner une part importante de sa sauvegarde.
Les travaux de démolition impromptus n’ont pas été publicisés par la Ville. La maison avait fait l’objet d’une vaste campagne de mobilisation pour sa sauvegarde il y a deux ans.
Jacques Beauregard, ancien directeur général de la municipalité devenu « agent de suivi », agit dans ce dossier à titre de porte-parole pour son successeur, Michel Larose. Joint par Le Devoir, il affirmait jeudi qu’il ne se passait rien de particulier à Chambly. « Il ne se passe rien de spécial. C’est une journée froide. »
Et la maison Boileau ? « C’était vraiment une maison qui n’était pas récupérable. Effectivement, elle est en train d’être démolie. C’était un danger public. »
Au même moment, l’ancien candidat du Parti québécois Christian Picard s’est retrouvé rapidement sur les lieux pour tenter de faire stopper cette démolition intempestive. Il a même demandé à la police d’intervenir, tout en invitant sur place la responsable des communications du ministre de l’Éducation et député de Chambly, Jean-François Roberge. Celui-ci s’est d’ailleurs dit déçu de la décision prise par la Ville.
La police a arrêté Christian Picard après qu’il eut tenté de s’interposer, avec d’autres citoyens, entre les démolisseurs et la maison ancestrale.
Louise Chevrier, du Comité citoyen de Chambly, se bat depuis des années pour la préservation de la maison Boileau. Elle a assisté impuissante à la destruction de la demeure.
« Je ne suis pas capable de regarder ça », a-t-elle dit quand la pelle mécanique a pris d’assaut un mur latéral pour le faire tomber. « On démolit cette maison sur la base de rapports qu’on n’a jamais vus », a-t-elle dit.
À ses côtés, la conseillère municipale Alexandra Labbé a fait remarquer qu’aucune résolution autorisant la destruction de la maison n’avait été soumise au conseil municipal. « Le maire a toujours parlé de réhabiliter la maison. Il n’a jamais laissé planer de doutes à ce sujet », soutient-elle.
Entre deux tournages, le chef Ricardo Larrivée s’est arrêté à la maison Boileau jeudi après-midi pour constater la destruction. Amoureux du patrimoine, il a rénové plusieurs demeures ancestrales de la région et a habité cinq ans dans la maison Boileau à titre de locataire.
« C’est une grande perte, non seulement pour l’histoire de Chambly, mais aussi pour notre histoire collective comme Québécois, a-t-il dit. Je ne pense pas que l’histoire se résume à un coût, dans un cas comme ça. Une fois que c’est parti, on ne peut jamais reconstruire à l’identique. Ce ne seront jamais les murs où le Québec a commencé à prendre racine. »
Des rapports
« Il y avait des projets qui n’avaient pas beaucoup de sens, dit pour sa part au Devoir Jacques Beauregard pour la Ville de Chambly. Après l’avoir achetée, la Ville a fait faire des études. Les rapports disaient que ce n’était pas récupérable. On ne l’a pas classée et la province n’a pas fait de déclaration pour nous aider. De toute façon, vous ne pouvez pas subventionner quelque chose qui n’existe plus. »
Mais pourquoi la Ville de Chambly n’a-t-elle jamais cité cette maison dont l’intérêt historique est reconnu, ce qui lui aurait permis d’obtenir du soutien de l’État ? « La province nous a dit clairement qu’il n’était pas question de subvention pour cette maison. […] La conclusion est qu’il n’y a rien à faire avec cet édifice. C’est la sécurité publique qui est en jeu. Ensuite, ce sera une décision collective pour voir ce qu’on va faire avec ce terrain », dit M. Beauregard, toujours au nom de la municipalité.
En 2016 pourtant, explique la porte-parole du ministère de la Culture, Québec « a offert son accompagnement à la Ville de Chambly dans un projet de conservation de la maison Boileau. Le ministère a proposé à la Ville de Chambly de procéder à la restauration ainsi qu’à l’agrandissement de la maison afin d’y relocaliser sa bibliothèque municipale. Pour la réalisation de ce projet, le ministère était prêt à accorder une aide financière à la Ville de Chambly de 50 % du coût des travaux admissibles. Cette offre a été refusée. »
Les patriotes
En mai 2016, le maire Denis Lavoie avait annoncé que la maison Boileau serait restaurée et transformée en bureau d’information touristique, grâce à l’argent de stationnements payants installés dans le secteur. Les revenus supplémentaires escomptés, estimés à 250 000 $ par année, devaient être consacrés à la restauration de la maison historique. Le maire Lavoie avait aussi affirmé que le bâtiment ferait l’objet d’une citation.
Au moment de cette destruction inopinée, on trouvait toujours devant le bâtiment une plaque historique rappelant que cette demeure avait été celle d’un négociant, René Boileau, dont le fils devenu notaire et portant le même nom que son géniteur fut un des patriotes lors des soulèvements de 1837-1838.
Les maisons de cette période sont extrêmement rares, avaient souligné en 2016 plusieurs experts, tout en plaidant en faveur de l’importance de leur conservation.
Le maire de Chambly se trouve au repos sur recommandation de son médecin, et ce, jusqu’au 12 janvier prochain. L’émission Enquête a diffusé hier des extraits d’enregistrement du maire Lavoie où on l’entend utiliser ses fonctions à des fins personnelles pour faire congédier un entraîneur de soccer. L’émission souligne aussi l’usage répété par le maire de poursuites par la Ville contre des citoyens dont il considère les propos comme diffamatoires, par exemple sur les réseaux sociaux.
RECONSTRUIRE LA MAISON ANCESTRALE ?
Le maire de Chambly, Denis Lavoie, réfute les allégations selon lesquelles la décision de démolir la maison Boileau a été prise en catimini.
En congé de maladie depuis le 12 novembre, le maire indique que c’est le directeur général de la Ville, Michel Larose, qui a ordonné la destruction de la maison Boileau et qu’il avait toute la légitimité pour le faire. « Une des responsabilités du d.g., c’est de s’assurer de la sécurité de l’ensemble des bâtiments de la Ville. Ça ne prenait pas une résolution de la Ville selon la Loi sur les cités et villes », a soutenu M. Lavoie lors d’un entretien téléphonique.
Le d.g. a cependant avisé une « majorité significative » du conseil de ville de la nécessité de démolir la vieille maison en raison des rapports obtenus par la Ville sur l’état de la maison, dit M. Lavoie. Ceux-ci ont démontré qu’« il n’y avait rien de récupérable », affirme-t-il.
« Chaque fois qu’on prend une décision, on ne va pas toujours en consultation. Demain matin, si l’administration décidait de démolir un cabanon aux travaux publics, elle le ferait », lance-t-il.
Les revenus du stationnement municipal qui étaient destinés à la restauration de la maison seront consacrés à d’autres projets de patrimoine, dit le maire, qui évoque même la possibilité de reconstruire la maison Boileau : « Une restauration aurait été une imitation avec des matériaux d’aujourd’hui. »