La rondelle ne roule pas pour le français dans la LHJMQ

Michel Roche  | LE DEVOIR

Est-il acceptable que, dans toutes les équipes québécoises de la LHJMQ, la langue dans laquelle on s’adresse à l’ensemble des joueurs soit l’anglais?

Mon refus d’enseigner l’anglais à un jeune Russe recruté par les Saguenéens de Chicoutimi, de la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ), a permis de faire ressortir un fait peu connu, alors qu’on souligne cette année le quarantième anniversaire de la Charte de la langue française. Lorsqu’on m’a contacté, j’ai d’abord fait part de mon étonnement que, dans un lieu aussi francophone que la ville de Saguenay, ce jeune homme apprenne d’abord l’anglais. On m’a expliqué que l’anglais était la langue de travail de l’équipe. Autrement dit, c’est en anglais que se déroulent les entraînements et que sont émises les directives lors d’un match, et ce, même si la vaste majorité des joueurs sont des Québécois francophones.

 

Cette directive proviendrait de la LHJMQ elle-même, au dire de son commissaire, Gilles Courteau, à la demande expresse de la Ligue nationale de hockey (LNH). Les arguments évoqués ? La volonté de recruter des joueurs européens, la langue d’usage dans la LNH et, d’après l’entraîneur des Saguenéens, une occasion pour les francophones d’apprendre une langue qui leur ouvrira des portes. En ce qui concerne ce dernier argument, on peut rappeler que le Québec n’est nullement dénué de ressources pour l’apprentissage de l’anglais, surtout chez les jeunes, qui commencent à l’apprendre comme langue seconde dès le primaire et qui s’en servent abondamment sur le réseau Internet. Les possibilités d’immersion pour le perfectionner ne manquent pas non plus. Et Maurice Richard ne le parlait pas lorsqu’il a été embauché par les Canadiens de Montréal.

 

Après toutes les batailles que nous avons menées pour la reconnaissance du français comme seule langue officielle, est-il acceptable que, dans toutes les équipes québécoises de la LHJMQ, la langue dans laquelle on s’adresse à l’ensemble des joueurs soit l’anglais, alors que le français est la langue maternelle de près des trois quarts d’entre eux ? Dans la Ligue continentale de hockey (KHL), le Lokomotiv de Iaroslavl compte cinq joueurs étrangers, dont le Québécois Maxime Talbot. L’équipe a-t-elle recours à l’anglais comme langue principale ? Aucunement. J’ai téléphoné pour vérifier. La langue des entraînements est le russe. La minorité doit s’adapter.

 

Mauvais signal

Il faudrait donc angliciser toute la LHJMQ parce qu’on y trouve quelques joueurs étrangers dans chaque équipe ? Et parce que moins de 10 % iront dans la Ligue nationale ? Faudra-t-il bientôt imposer l’anglais aux équipes de la Ligue midget AAA pour préparer les joueurs qui seront plus tard sélectionnés par la LHJMQ ? Autrefois, dans les conseils d’administration, la présence d’un seul anglophone suffisait pour que l’anglais devienne la langue utilisée dans les réunions. Avons-nous fait tout ce chemin depuis l’adoption de la Charte de la langue française pour en arriver là ? Quel signal donnons-nous à tous ces jeunes, et en particulier aux francophones ? Volontairement ou non, on leur dit que la seule langue qui compte vraiment est l’anglais.

 

Cette situation n’est pas sans rappeler, mais en sens inverse, la fameuse bataille des « Gens de l’air », au milieu des années 1970. Jusque-là, on interdisait aux pilotes et contrôleurs aériens francophones de communiquer entre eux dans leur propre langue. Le gouvernement invoquait des raisons de sécurité. Devant l’ampleur des protestations, le gouvernement fédéral a finalement cédé et le français est permis depuis 1980. Les annales de l’aviation ne font état d’aucune catastrophe causée par l’usage du français.

 

Ce qui se passe aujourd’hui dans la LHJMQ est d’autant plus inquiétant que cette tendance semble acceptée dans la plus totale résignation. Autrefois, l’anglais était imposé par les autorités coloniales, et nos ancêtres ont su résister avec leurs modestes moyens. Ensuite, il l’a été par les forces qui contrôlaient la finance et l’industrie, mais contrecarré par le réveil des années 1960 et les politiques d’affirmation nationale qui ont suivi. Aujourd’hui, on ne peut que s’attrister de constater, dans le milieu fort symbolique que constitue le hockey au Québec, que l’anglais est imposé par les colonisés eux-mêmes. Peut-on espérer une réaction de la part des partis politiques qui nous représentent à l’Assemblée nationale ?

 

 

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