La Société Nationale Populaire et la déconfessionnalisation de la SSJB

CHRONIQUE HISTORIQUE
par Pierre Benoît Livernois
paru dans LE PATRIOTE

 

Les années soixante ont été une ère de grands changements au Québec. La Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal a traversé cette période en subissant son lot de transformations. Cette vieille Société d’alors, atteinte de fixisme, s’est trouvée dépassée sur sa droite par la première génération du « baby boom » qui a fait exploser son impatience dans les rues de Montréal. Trois grands événements vont marquer Montréal durant cette période, soit : l’exposition universelle de 1967, la visite du général de Gaulle et les états généraux du Canada français.

En 1963, Jean Duceppe, une figure bien connu du monde artistique, part en croisade contre le mouton du défilé de la Fête nationale. À l’automne, il continue sa quête radiophonique contre la Société, lors de l’affaire Place-des-arts*. L’inertie de la Société dans ce dossier choque l’animateur qui qualifie ses dirigeants de «vieille gang » !1 Avec la venue de différents partis politiques, le tempo de la société québécoise se module à cause de l’éventail élargi du nationalisme. L’image de cette vieille Société sclérosée, transpire. En janvier 1964, le Président général de la Société-Saint-Jean-Baptiste, Paul-Émile Robert intervient. Robert invite Jean Duceppe au Monument-national pour entendre ses doléances. Proche de Jean Drapeau, Robert avait connus ses heures de gloire en tant que président des Jeunes Laurentiens,2 lors de la deuxième crise de la conscription de 1942. Duceppe, impressionné par les arguments de Robert, se joint à la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal. Au cours d’une conférence de presse, tenu au Monument-National, en février 1964, Paul-Émile Robert, nous dévoile une importante campagne d’adhésion parrainée par l’animateur Jean Duceppe !3 La Société compte autour de 20004 membres au début des années soixante et elle veut atteindre un objectif de 67 000 membres, et cela, avant l’ouverture d’Expo 67.

Robert nomme Duceppe organisateur de « la Fête nationale du Canada français » qui s’échelonnera sur une période de 8 jours. Le défilé se déroulera en l’absence du légendaire mouton, mais Duceppe devra se consoler d’un verre à moitié plein, puisque le garçonnet à la toison frisé accompagné de son mouton, sera remplacé par une sculpture de Jean le Précurseur. 6 Un grand spectacle se déroulera à l’Île Sainte-Hélène, le dimanche 28 juin. La « Fête dans l’île » attirera, selon certains estimés, 300 000 à 400 000 participants! Vers 22 heures, deux violents orages se déchaînent sur la tête des fêtards. Le deuxième orage est accompagné de grêlons gros comme des marbres et provoque une panique ! Les fêtards vont congestionner le pont Jacques-Cartier, dans la confusion avec les automobiles. Le lendemain, on a fait état des quelques centaines de foulures, contusions, crises de nerfs, mais il semble que cet incident ait été beaucoup moins grave qu’on aurait pu le craindre. Paul-Émile Robert dit que ce spectacle de la Fête dans l›île restera gravé dans la mémoire de cette jeunesse de la Révolution tranquille.

En juillet 1964, Jean-Jacques Roy*** est président du comité de vigilance, Pierre-Lemoyne-d’Iberville. Roy annonce dans un reportage du journal La Patrie, la venue prochaine d’une aile non-confessionnelle sinon rivale de la Société. Cette intervention arrive au moment où un groupe de présidents de sections de la Société, surnommé « Groupe des Treizes », se prépare à réunir ses membres le 15 octobre en vue d’un congrès dit « rebelle ». Interrogé par le journal, Paul-Émile Robert confie au journaliste être prêt à envisager une aile non-confessionnelle au sein même de la Société.8

La venue de nouvelles recrues, qui se conjugue aux revendications nationales contemporaines, cristallise les tensions au sein du mouvement. La genèse de la Société, à sa fondation, était un courant révolutionnaire absent de toute forme religieuse. Le phénomène postrévolutionnaire qui suivit la défaite des Patriotes a entraîné Ludger Duvernay à opter pour le conservatisme religieux. Or, cette idéologie va perdurer jusqu’aux années soixante.

Robert est conscient du dilemme ; il fait face à un changement qui va demander encore quelques années de réflexion avant que le mouvement devienne laïc. Robert assiste au « congrès rebelle », mais à la lecture des lettres de créance, il augure un fort ressentiment dans l’assemblée, et le Président général quitte le congrès, ipso facto.9 Le Groupe des Treizes fera appel aux tribunaux pour que la Société lui remette les procès-verbaux du congrès rebelle. Le secrétaire administratif, Gérard Turcotte, informe le Groupe des Treize que ces documents n’existent tout simplement pas.10 Le congrès de mars 1965 eut lieu à huis-clos, Paul-Émile Robert qui était à son troisième mandat, se retira de la course. Il quittait son poste avec un mouvement qui comptait désormais près de 20 000 membres. Le vice-président, Yvon Groulx, prendra la relève. L’affrontement avec les réformistes n’aura pas lieu. Quelques semaines plus tard, le 7 avril, avait lieu à l’hôtel Viger la fondation de la Société nationale populaire, une société laïque représentée par Jean Duceppe, Raymond Lemieux et Jean-Jacques Roy. Les membres-fondateurs déclarent « [… qu’ils sont] toujours membres de la Société-Saint-Jean-Baptiste de Montréal et [qu’ils] le demeureron[t]… à moins que la Société décide autrement ».11

La campagne de recrutement de Duceppe aura été un vif succès en augmentant le nombre de ses membres de plus de 8 000 et, malgré cet épisode, Duceppe restera un fidèle partisan de la Société. Raymond Lemieux fondera le MIS et mènera une lutte acharnée, à Saint-Léonard, pour l’intégration dans le système scolaire francophone des nouveaux arrivants au Québec. Jean-Jacques Roy dirigera habilement la Société nationale populaire (SNP) pendant près de vingt ans. On retrouvera la SNP lors de grandes manifestations historiques. Paul-Émile Robert reviendra siéger au conseil général en 1973 et sera actif pendant une longue période de sa vie. Le notaire Yvon Groulx sera expulsé de son poste de directeur par le conseil général, le 15 février 1978,12 pour une affaire avec sa filiale, l’Économie Mutuelle, dont Groulx fut président pendant plusieurs années. Cet événement sera anecdotique puisqu’on croisera cet intrigant notaire et journaliste**, dans les salons de la Maison Ludger-Duvernay durant de nombreuse années. La Société lui décernera la Médaille Bene Merenti de Patria à son 99e anniversaire!

Le mouvement vers la laïcité s’étendra sur tout le Québec et prendra la forme d’une déconfessionnalisation des associations catholiques. La majorité des membres de la Fédération des SSJB, sauf quelques diocésaines, prendront la dénomination de « Sociétés nationales », dans le cadre du Mouvement national des Québécois. La plus imposante de ces diocésaines, la SSJB-M, conservera son nom pour des raisons de privilèges historiques. Le dernier des aumôniers de la Société fut le jésuite Richard Arès qui va se voir décerner le prix Esdras-Minville à la fin des années soixante-dix. Avec le départ du père Arès, il n’y aura plus personne chargée de veiller à la sauvegarde et à l’application de la doctrine de l’église dans les instances de la SSJB.

 

 

 

 

* Lors de l’ouverture de la Place-des-arts, un syndicat artistique américain,
‘’l’Actors’ Equity‘’, tente d’implanter son contrôle au sein du groupe artistique Montréalais.
**Au début des années 1950, Yvon Groux est journaliste au Petit Journal,
au Montréal-Matin, au Droit d’Ottawa, ainsi qu’à CKAC… – Biographie canadienne française, 28e édition, 1981-82, à la page 197.
***Jean-Jacques Roy est le père de Benoît Roy, président du Rassemblement pour un Pays Souverain.

1. « Duceppe en guerre contre la vieille ‘’gang’’», Lysiane Gagnon, La Presse, 18 février 1964, p.15.
2. « Comparution de M. Paul-Émile Robert », Le Devoir, 22 avril 1942, page frontispice.
3. « Rajeunie, la Société nationale veut être la voix du Québec nouveau », Jean-Marc Léger, Le Devoir, 4 février 1964, p.3.
4. « Congrès spécial de la SSJB », La Tribune de Sherbrooke, 22 août 1964, p.12.
5. « La SSJB lance sa campagne de recrutement pour 1964 »,
Bernard Morrier, La Presse, 4 février 1964, p.8.
6. « Le Défilé de la Saint-Jean », Robert Barberia, Marcelle Viger, Le Devoir,
4 juillet 1964, p.4.
7. « Malgré l’orage c’était la fête dans l’île » Yves Margraff, Le Devoir,
29 juin 1964, p.1-3.
8. « Aile rivale à la SSJB », Jean Desraspes, La Patrie, semaine du 2 au
8 juillet 1964, p.10.
9. « Les 13 affirment que 10 000 membres de la SSJB tiennent à la
démocratie »,Yves Magraff, Le Devoir, 23 octobre 1964, p.3.
10. « Des membres de la SSJB demandent : où sont les procès-
verbaux du congrès du 15 oct.? », Le Devoir, 30 janvier 1965, p.3.
11. « Société populaire et société nationale, la SNPQ acceptera des membres de toute religion », Paul-Beaugrand Champagne, La Presse, 7 avril 1965, p.80.
12. « La SSJB-M expulse le notaire Yvon Groulx », Clément Trudel, Le Devoir, 15 février 1978, p.9.