L’affrontement Louis Riel – John A. Macdonald

Marie-Anne Gaboury et Jean-Baptiste Lagimodière à la rencontre des autochtones du Nord-Ouest
Marie-Anne Gaboury et Jean-Baptiste Lagimodière à la rencontre des autochtones du Nord-Ouest

Des liens étroits et de longue date existent entre les Québécois et les Métis. Ce sont de nombreux coureurs des bois québécois qui sont les premiers non-autochtones à s’être rendus dans ce qu’on appelait alors le Nord-Ouest, c’est-à-dire le Manitoba et la Saskatchewan d’aujourd’hui. La toute première femme d’origine européenne à s’installer dans le Nord-Ouest est Marie-Anne Gaboury, une Québécoise de Maskinongé partie pour la vallée de la rivière Rouge en 1806 après son mariage avec le coureur des bois Jean-Baptiste Lagimodière. Marie-Anne Gaboury deviendra plus tard la grand-mère de nul autre que Louis Riel, chef des Métis du Nord-Ouest. À cette époque, Canadiensfrançais, Métis et Amérindiens cohabitaient harmonieusement dans  le Nord-Ouest. En 1812, Lord Thomas Douglas Selkirk convainc 128 hommes de fonder une colonie anglo-protestante dans la région d’Assiniboine sur les rivages de la rivière Rouge, le futur Fort Garry, qui deviendra plus tard la ville de Winnipeg.

En 1815 en Écosse naît John A. Macdonald, qui deviendra le premier premier ministre du Canada et fera de Louis Riel son ennemi juré. Ayant immigré dans le Haut-Canada à l’âge de 5 ans avec sa famille, Macdonald devient membre de la loge orangiste de Kingston dès 1840. Il a alors 25 ans. Rappelons que la Loyal Orange Association of Canada a été fondée en 1830 à Brockville (Ontario). C’est là même que s’est tenue en 1990 une séance publique et très médiatisée de piétinement du drapeau québécois, en opposition à l’instauration de la loi-cadre du gouvernement de David Peterson sur les services en français dans cette province. Vers 1920, le nombre de loges orangistes en activité au Canada atteint des sommets, au point de constituer la majorité des loges de tout l’Empire britannique.

À titre de chef des Métis, Louis Riel avait envoyé des États-Unis ses voeux de succès à l’Association Saint-Jean- Baptiste de Montréal. Il écrivit, Les Métis canadiens-français du Nord-Ouest sont une branche de l’arbre canadien-français. Ils veulent grandir comme cet arbre et avec cet arbre, ne point se détacher de lui, souffrir et se réjouir avec lui.
À titre de chef des Métis, Louis Riel avait envoyé des États-Unis ses voeux de succès à l’Association Saint-Jean- Baptiste de Montréal. Il écrivit, Les Métis canadiens-français du Nord-Ouest sont une branche de l’arbre canadien français. Ils veulent grandir comme cet arbre et avec cet arbre, ne point se détacher de lui, souffrir et se réjouir avec lui.

En 1844 à la rivière Rouge naît Louis Riel. Brillant élève, il sera envoyé à Montréal pour étudier de 1858 à 1866 au Petit Séminaire du Collège de Montréal. Il séjournera ensuite aux États-Unis. À son retour dans l’Ouest en 1868, son village de Saint-Boniface voisine le nouveau village de Fort Garry (future Winnipeg) aux visées expansionnistes brutales sur les terres avoisinantes, pourtant occupées et cultivées depuis plusieurs générations par des Métis, des Canadiensfrançais et des Amérindiens. C’est cette dépossession par la force qui, en 1869, destinera Louis Riel à devenir le chef des Métis du Nord-Ouest à l’âge de 24 ans. C’est cette même confiscation des terres qui, en 1869-70, sera à la source de l’insurrection des Métis et aboutira à la création d’une nouvelle province canadienne. Souvent encore aujourd’hui, selon qu’on est francophone ou anglophone, le fondateur du Manitoba est Riel ou Macdonald.

Bien provisoirement, la Confédération a reconnu les droits des Métis francophones et leur a réservé des terres. Pour Macdonald, ces sang-mêlé impulsifs ont été gâtés par leur émeute, et doivent être maîtrisés par une main forte jusqu’à ce qu’ils soient inondés par un afflux de colons. Des 12 000 Manitobains d’alors, seulement 1500 sont des anglo-protestants. Ceux-ci et leurs congénères de l’Ontario veulent la tête de Riel, qu’à titre de chef des Métis, ils tiennent responsable de l’exécution de l’orangiste Thomas Scott, pour complot contre le gouvernement provisoire de la rivière Rouge. Scott s’était distingué par sa haine acharnée des Métis et sa cruauté sanguinaire. Élu député, Riel ne peut pas se rendre à Ottawa pour y siéger parce qu’il y serait assurément assassiné. Parce que les conclusions d’une commission l’y force, Macdonald amnistie Riel en 1875, mais le chef Métis est maintenu en exil aux États-Unis.

À partir de 1879, les colons orangistes devenus majoritaires font tout pour abolir le français en tant que langue officielle. Riel revient dans l’Ouest en 1884, à la demande des siens. Mais le gouvernement de l’Ontario a depuis longtemps mis sa tête à prix et Riel est traqué par les chasseurs de prime orangistes. La colonisation anglo-protestante se poursuit intensément. En 1885 à Batoche (en future Saskatchewan), sur la foi de menaces d’arrestation de Riel par des centaines de policiers, les Métis forment une milice. À leur rencontre, policiers et volontaires ontariens ouvrent le feu. Moins nombreux et mal armés, les Métis sont massacrés, leurs maisons saccagées et pillées. Après une courte fuite, Riel se rend.

Trois soldats canadiens originaires de Millbrook (Ontario) s’emparent de la cloche toute neuve de l’église, qui n’est dans le clocher de Batoche que depuis à peine un an. Pour les Métis, après les massacres, les pillages et les saccages, se voir départir de la cloche de leur église catholique par trois anglo-protestants orangistes constitue une ultime humiliation.

Macdonald profite de l’affrontement de Batoche pour faire accuser le chef Métis de haute trahison envers la Couronne britannique en vertu d’une loi anglaise datant du 14e siècle et qui, contrairement à la loi canadienne, a l’avantage de prévoir la peine de mort. Tandis que le Canada anglais jubile, le Québec est scandalisé. Mais Macdonald déclare que Riel sera pendu même si tous les chiens du Québec aboient en sa faveur.

cloche
Au terme d’un procès considéré aujourd’hui comme un honteux simulacre de justice, Louis Riel sera effectivement pendu le 16 novembre 1885 à Régina. S’ensuivra une répression implacable contre les Métis de l’Ouest. Les gouvernements de Macdonald et de ses successeurs appliqueront une politique de colonisation très sélective de l’Ouest canadien, en y distribuant à des anglo-protestants des terres et des subventions, une manne dont les Québécois en mal de terres à cultiver étaient rigoureusement exclus. De vastes campagnes de recrutement de colons anglo-saxons seront menées en Europe. Dans les années 1920, le prix subventionné du billet de transport entre Londres et Winnipeg est de 22 dollars tandis qu’un Québécois doit payer 43,48 dollars pour son billet de train Montréal-Winnipeg. Durement frappés par la pauvreté, les Québécois ont donc choisi l’exil aux États-Unis plutôt que vers l’Ouest canadien. Il en résulte que lors du recensement américain de 1980, les 13 millions de personnes qui se sont déclarées d’origine française constituaient le cinquième groupe ethnique aux États-Unis, juste avant les Italiens. L’historien franco-américain Gerard J. Brault indique que de nombreux franco-Américains ont également des ancêtres acadiens, mais la vaste majorité est d’origine québécoise. Leur émigration aux États-Unis s’est principalement produite entre 1870 et 1930, culminant dans les années 1880. (The French-Canadian Heritage in New England, University Press of New England, Hanover, 1986).

Il y a donc environ deux fois plus de Québécois aux États-Unis qu’au Québec. Ajoutons-y les 7 millions de francophones au Québec et le million de francophones hors-Québec. Si le Canada avait permis aux Québécois de coloniser l’Ouest canadien plutôt que de s’exiler aux États-Unis, on peut donc supposer que 21 millions de Canadiens auraient aujourd’hui le français pour langue maternelle. La population totale canadienne actuelle étant d’environ 32 millions d’habitants, c’est un pays en majorité francophone qu’aurait bien pu être le Canada. En lieu et place, les Manitobains, majoritairement francophones qu’ils étaient lorsqu’ils ont joint la « Confédération », sont aujourd’hui moins de 2 % à parler la langue de Riel à la maison.

Christian Gagnon