L’anglais, une langue surfinancée au Québec

LOUIS PRÉFONTAINE | HUFFINGTON POST QUÉBEC | 28/11/2014

apartheiduniversitaire
Un problème auquel nous n’avons jamais voulu faire face : la nécessité d’un financement des institutions postsecondaires de notre minorité historique au prorata de son poids démographique.

Contrairement aux divagations de Samir Khullar, alias Sugar Sammy, ce n’est pas le français qui est surprotégé au Québec. Si c’était le cas, nous n’aurions pas de problèmes d’intégration des immigrants et la langue anglaise y serait en recul. Au contraire, l’anglais est en progression et le français se fait de plus en plus marginaliser.

L’anglais, au Québec, jouit d’une protection et d’une valorisation inégalées sur cette planète. Aucune autre nation ne traite mieux sa minorité nationale que ne le fait le Québec avec ses anglophones. Écoles primaires et secondaires, cégeps, universités, hôpitaux, télévisions, radios, services gouvernementaux bilingues généralisés ; les anglophones peuvent encore vivre ici entièrement en anglais, en parallèle, profitant des subventions de la population québécoise sans avoir la nécessité d’apprendre notre langue.

Dans mon livre Apartheid Universitaire (Louise Courteau, 2012), je recense l’ampleur du surfinancement dont disposent les institutions de langue anglaise au Québec et je les compare à celles dédiées à la langue française non seulement au Québec, mais également au Canada. La comparaison est épouvantable : on a peine à croire que le Québec pourra maintenir sa langue s’il continue à surfinancer systématiquement les services en anglais.

Par exemple, la minorité anglophone historique (les anglophones de souche, nés au Québec) forme 5,6% de la population québécoise (Statistique Canada, 2006), mais ses cégeps reçoivent près de 14% du financement, ses universités plus de 29% et son mégahôpital près de 43% du budget.

Cette minorité forte de près de 415 000 citoyens reçoit plus de 1,6 milliard de dollars pour ses trois universités, alors que les Franco-Ontariens de souche, pour ne nommer qu’eux, qui sont plus de 325 000 habitants, n’ont que 300 millions de dollars pour un réseau d’universités à moitié bilingues et souvent de faible envergure. Des provinces comme la Colombie-Britannique, l’Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve ne financent même pas d’études universitaires en français dignes de ce nom alors que d’autres, comme la Saskatchewan, offrent à peine 1,5 million de dollars, pour une binerie dans de petits locaux isolés.

Le financement per capita des universités de langue anglaise au Québec atteint 4076$ par anglophone de souche, contre 585$ par francophone au Canada. C’est donc dire que l’anglais y est plus de sept fois surfinancé par rapport au français. Dans la région de Montréal, où la minorité anglophone historique forme moins de 9% de la population, le financement de ses universités dépasse pourtant 42% du budget total. C’est un financement per capita de 5181$, contre un maigre 681$ pour la majorité francophone d’intégration. Pour donner une idée de l’ampleur de ce surfinancement, il faudrait fermer McGill et couper le budget de Concordia de moitié pour que les anglophones montréalais aient, per capita, le financement dont dispose la majorité francophone d’intégration !

Ce surfinancement systématique des institutions de langue anglaise au Québec et au Canada a des conséquences inévitables : la vitalité de l’anglais est systématiquement plus forte que celle du français. La meilleure méthode pour calculer cette vitalité consiste à calculer la proportion des locuteurs de langue maternelle utilisant encore cette langue dans la vie de tous les jours. Le chercheur Charles Castonguay a appelé le résultat « indice de vitalité linguistique » (IVL). Si le nombre est au-dessus de 1, il y a croissance ; si le nombre est en dessous, il y a déclin. Au risque de surprendre Samir Khullar, la province où la vitalité de l’anglais est la plus forte est… le Québec. C’est ici, chez nous, que les gens s’intègrent le plus à l’anglais. Plus qu’en Ontario, plus qu’en Alberta. Le taux dépasse 1,20. L’IVL du français au Québec, par contre, dépasse à peine le seuil de survie, à 1,005. Si le français est surprotégé, pourquoi la vitalité de la langue anglaise y est-elle si forte ? A-t-on besoin de parler de l’IVL du français dans les autres provinces ? Il atteint 0.23 en Saskatchewan et 0.42 en Alberta, pour ne nommer que ces provinces. Même en Ontario, il n’atteint pas 0.65. L’assimilation y fait des ravages.

Le surfinancement systématique des institutions de langue anglaise (et le sous-financement de celles en français) est un phénomène inédit au monde. Toutes les autres nations, indépendantes ou dans un cadre fédératif, comme le Québec, tentent d’intégrer les minorités à la langue nationale en donnant la part du lion du financement aux institutions dans la langue commune. Dans les cantons suisses francophones, par exemple, le financement universitaire se fait entièrement en français. Qu’importe que l’allemand soit la langue majoritaire de ce pays ; on reconnaît la nécessité de s’intégrer à la langue commune du canton. Même chose en Belgique, où la communauté wallonne finance presque uniquement des services dans sa langue. Idem dans l’État associé d’Åland, qui appartient à la Finlande, mais où tout, ou presque, se fait en suédois.

En affirmant que le français est surprotégé au Québec, Samir Khullar démontre son incompréhension totale de la mouvance des langues au Québec et au Canada. Le français n’est non seulement pas surprotégé, mais c’est l’anglais, au Québec et au Canada, qui a tous les privilèges. Ces derniers se sont bâtis, au fil des décennies, grâce à des lois répressives à l’égard des francophones, et alors que plusieurs provinces ont littéralement interdit l’enseignement du français.

Les Québécois ne demandent qu’une seule chose : qu’on respecte notre Loi 101 et qu’on s’affiche en français. C’est bien peu considérant que cette loi est déjà beaucoup trop faible et qu’elle n’arrive pas à compenser le surfinancement systématique des institutions de langue anglaise. Mais pour les gens comme Samir Khullar, c’est déjà trop. Même si partout sur cette planète il est normal de s’intégrer dans la langue commune, pour Samir Khullar, c’est trop demander. Ce respect fondamental, il nous le refuse.

Ne serait-il pas temps pour nous, Québécois, de nous respecter ? Boycotter les spectacles de ce triste individu constitue un pas dans la bonne direction, mais aurons-nous le courage de faire comme les autres nations libres et de cesser de surfinancer les institutions de notre minorité ?

SUR LE MÊME SUJET 
– Financement des université: le non-dit

SOURCE 
– L’anglais, une langue surfinancée au Québec