Steve E. Fortin | Journal de Montréal
En lisant ce dossier du Journal de Montréal concernant cette supposée « volonté de certains anglophones de quitter le Québec », je me suis rappelé cette phrase, essentielle, du linguiste Paul Daoust.
Il m’est difficile de m’émouvoir des doléances de la « minorité » anglophone du Québec quand on analyse, objectivement, le traitement que celle-ci reçoit au Québec et surtout, en comparant ce traitement à celui que reçoivent les « minorités » francophones ailleurs dans le Canada anglais.
Comme un contact me l’envoyait ce matin sur Twitter : « Le jour où les francophones hors Québec seront aussi bien traités que les anglophones le sont ici, on sera à l’écoute des doléances de ces derniers ».
Toutefois, il ne s’agit pas de mettre en compétition les deux situations, voilà qui serait trop simpliste. Aussi, je ne suis pas de ceux qui voudraient remettre en cause les droits et les acquis de la minorité anglophone du Québec. Cette dualité linguistique est une richesse, qu’on le regarde d’un côté ou de l’autre de l’Outaouais.
La réalité demeure que c’est selon de quel côté de l’angle de la « majorité » qu’on se place que la situation diffère grandement. La langue anglophone se trouve-t-elle menacée dans le Canada anglais? Dans l’ensemble plus grand qu’est l’Amérique du Nord? Difficile à croire.
La « majorité » francophone du Québec se trouve, elle, en situation beaucoup plus précaire; et ce sur deux fronts. Le premier, l’évidence, le Québec est une toute petite minorité linguistique dans le grand ensemble de l’Amérique du Nord. Le second, plus pernicieux, c’est la situation linguistique qui prévaut dans la métropole du Québec et ses couronnes immédiates. Montréal est sur le point de devenir « officieusement » bilingue et Laval s’anglicise sans cesse.
Lors de la dernière campagne municipale à Montréal, la candidate Valérie Plante avait pourtant annoncé ses couleurs lors des débats en anglais : son administration serait, pratiquement, bilingue. Et c’est bien ce qui se produit depuis au grand dam des défenseurs de la langue française à Montréal.
Il y en a d’autres qui applaudissent cette place prépondérante de l’anglais au sein des préoccupations de la nouvelle mairesse de Montréal – ce qui fait écho à ce que prône le gouvernement libéral de Philippe Couillard à Québec – tout en espérant que cela se traduise par plus de bilinguisme. Un bilinguisme qu’on voudrait « collectif ». Le gouvernement Couillard prône l’apprentissage de la langue seconde de façon intensive, et ce, le plus tôt possible dans le cheminement scolaire québécois.
On ajoutera au portrait le fait qu’une part préoccupante des immigrants au Québec – ceux qui ne maitrisent pas le français à l’entrée – échappent à la francisation. Ceux-ci s’ajouteront à la population de Montréal et de ses couronnes qui réussissent à vivre uniquement en anglais tout en baragouinant quelques mots de français de temps à autre. Pour la forme, en attendant…
Consolider la place du français
Les conditions optimales afin d’apprendre une langue seconde demeurent la pleine maitrise de la langue maternelle; ce qui implique la capacité d’en maitriser le code, la syntaxe, la grammaire et la compréhension des finesses au-delà du simple fait de l’aptitude à se faire comprendre au moyen de celle-ci.
Au Québec, et depuis trop longtemps, une large part de la population éprouve de la difficulté à maitriser le code, la grammaire, la syntaxe et la compréhension des finesses plus complexes de la langue.
Certains disent la moitié, cela demeure matière à débat en fonction des paramètres à partir desquels on définit les concepts d’illitératie et d’analphabétisme « fonctionnel ». Du moins, il est indéniable qu’une trop large part de la population du Québec éprouve de la difficulté à comprendre et maitriser les niveaux de langage standard et soutenu.
Selon la Fondation québécoise en alphabétisation, « 19 % des Québécois sont analphabètes (niveaux -1 et 1 de littératie) et 34,3 % éprouvent de grandes difficultés de lecture et se situent au niveau 2 de littératie. Ces derniers seront souvent qualifiés d’analphabètes fonctionnels. Il ne s’agit pas là de fiction, mais bien de chiffres réels. »
Les données à la base de cette information datent de 2013-2014. Trop peu a été fait au cours des dernières années afin de remédier à la situation et ces problématiques demeurent.
Au Québec, comme ailleurs où l’usage du français s’est effrité au contact d’une langue majoritaire, quand l’écart grandi entre le français normatif (dans sa forme grammaticalement correcte à l’oral et à l’écrit) et celui – nommons-le « français-courant » – qui est l’apanage du plus grand nombre; plus l’écart s’accroit entre le français d’usage et la norme grammaticale; un phénomène se produit, inévitablement, qui amène la langue commune à changer, à se transformer en un créole de langue, une nouvelle langue qui se substitue progressivement à la langue d’origine.
Le Québec se trouve dans cette situation où, cette transformation, cette « créolisation » de la langue est bien possible dans la mesure où une masse critique de ceux qui la parlent ont de plus en plus de difficulté à en maitriser le code, la grammaire, la syntaxe.
En somme, le Québec se trouve à la croisée des chemins : le plus criant serait de tout mettre en œuvre afin de consolider la place du français à titre de langue officielle, seule langue de l’administration publique notamment (à Montréal comme ailleurs). Pour ce faire, il nous faut également tout mettre en œuvre afin de stopper et de remédier à l’analphabétisme fonctionnel et l’illitératie endémique qui fragilisent la langue maternelle.
Et il faudrait aussi reconnaitre que les politiques de bilinguisme collectif fragiliseront la langue française tant et aussi longtemps que nous n’aurons pas répondu aux graves carences en littératie.
Foncer tête baissée vers une « bilinguisation » plus étendue, plus grande, dans les conditions actuelles, ne se traduira, à terme, que par l’assimilation tranquille des Québécois. Ou comme le formule le linguiste Daoust, « un bilinguisme qui n’existe que le temps de laisser la minorité rejoindre la majorité ».