par Jean-Pierre Durand
Comme le personnage biblique du même nom – celui qui vainquit Goliath à coup de fronde – David, Laurent-Olivier de son petit nom, davantage connu par ses simples initiales, L.-O., avait toute une stature. Il fut président de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal de 1887 à 1892, et, comme pour bon nombre des présidents qui se sont succédés à la barre de notre société, un simple texte ne peut suffire à rendre compte de son immense contribution à la cause nationale. Souhaitons à tout le moins qu’il fournisse le déclic nécessaire pour inciter les plus curieux d’entre vous à pousser plus loin leur connaissance de ce grand patriote.
Laurent-Olivier naquit dans la paroisse du Sault-au-Récollet, à Montréal, en 1840, d’une famille dont le premier ancêtre venu en Nouvelle-France, Guillaume David, s’était établi à Trois-Rivières vers 1655. Le jeune homme fit ses études au Séminaire de Sainte-Thérèse, puis vint étudier le droit à Montréal, tout en entamant une carrière de journaliste. Quelques années plus tard, il fondait Le Colonisateur, un journal qui touchait un vaste public. Admis au barreau du Bas-Canada en 1864, rien ne porte à croire qu’il répondit souvent « présent » au palais, si tant est qu’il préférait au droit, et de loin, l’écriture et la politique. De 1870 à 1883, il collabora à l’hebdomadaire montréalais L’Opinion publique. Il en fut même le rédacteur en chef en 1874. Enfin, il écrivit dans plusieurs autres journaux jusqu’à un âge avancé… et gageons qu’il écrirait encore, mais cette fois assis devant un écran cathodique, s’il avait pu trouver entre-temps la fontaine de Jouvence. Bref, L.-O. David n’était pas un journaliste en mal de copie ni à court d’idées.
Parallèlement à l’écriture, David était habité par une autre passion, tout aussi dévorante : la politique. Si, au début, on pouvait l’identifier comme un Conservateur, il ne fut pas long qu’il changea d’allégeance et se sépara de George-Étienne Cartier et compagnie (sur laquestion de la Confédération) pour adhérer au parti Libéral. C’est que David voyait venir dans ce projet confédéral la menace de la domination anglaise, autrement dit un marché de dupes. D’ailleurs, cinq ans après qu’on se soit fait enfirouaper dans ladite confédération, L.-O. David persistait et signait dans l’Opinion publique du 20 juin 1872 : En face d’une majorité anglaise et protestante qui va toujours s’augmentant, nous avons besoin de rallier toutes nos forces. Nous sommes un de ceux qui ont dit, lors de l’établissement du nouveau régime, qu’il fallait s’attendre à lutter contre une majorité antipathique à nos intérêts nationaux et religieux et même matériels.
S’il fut heureux en amour, du moins on le devine puisqu’il eut onze enfants, parmi lesquels un seul garçon, David fut plutôt malheureux en politique, à tout le moins à titre personnel. C’est qu’il en essuya des revers et des défaites électorales, avant d’accéder finalement au Salon de la race en 1885, pour la circonscription de Montréal-Est.
Avant d’occuper le poste de président de la SSJB de Montréal en 1887, L.-O. David avait déjà mis la main à la pâte pour organiser ce qu’on appelait alors des grandes « conventions nationales », celles notamment de 1874, de 1880 et de 1884, réunissant Canadiens français, Acadiens et Franco-Américains. Avec d’autres chefs de la SSJB, David maintient des relations étroites avec les chefs de file de la survivance franco-américaine, parmi lesquels l’on retrouve Ferdinand Gagnon, qui est en quelque sorte le Ludger Duvernay des Franco-Américains. Pour le 40e anniversaire de la Société en 1874, David est parmi ceux qui lancent l’idée d’un rassemblement des Canadiens français du Canada et des États-Unis. Ce rassemblement fut un succès colossal. Cette année-là, dixhuit mille Franco-Américains vinrent à Montréal pour les fêtes du 24 juin ! Le chef des Métis, Louis Riel, alors exilé aux États- Unis et sans domicile fixe, envoya ses voeux de succès à la SSJB : Les Métis canadiensfrançais du Nord-Ouest sont une branche de l’arbre canadien-français. Ils veulent grandir comme cet arbre et avec cet arbre, ne point se détacher de lui, souffrir et se réjouir avec lui.
David fut également fort actif à l’organisation du cinquantenaire de fondation de la SSJB en 1884. Déjà à cette époque, on parle beaucoup des émigrés canadiens-français aux États-Unis et on aimerait bien qu’ils reviennent au pays, peut-être même qu’ils s’installent dans l’Ouest afin de créer un second pôle francophone. Car on s’inquiète sur la survivance française aux États-Unis alors que les écoles françaises y sont peu nombreuses et que la jeunesse francoaméricaine parle de plus en plus anglais à l’école. D’ailleurs, même au Québec, comme l’a écrit l’historien Robert Rumilly, l’espoir d’avantages matériels et parfois le simple snobisme portaient des Canadiens français à parler l’anglais, à faire enseigner l’anglais à leurs enfants, très tôt, très à fond, voire au détriment de la langue maternelle. C’est d’ailleurs au Congrès de 1884 que Mgr Laflèche, missionnaire dans l’Ouest et qui connaissait bien la situation des émigrés, avait fait cette célèbre remarque, comme pour mettre en garde les Canadiens français face à l’assimilation : Ne parlons donc pas anglais sans nécessité, et si nous le parlons, ne le parlons pas trop bien. Il n’y a rien que j’aime comme un Canadien français parlant mal l’anglais. Ne permettons pas à la langue étrangère de s’asseoir à nos foyers. Notons en passant qu’il parle de l’anglais comme d’une langue « étrangère ». On est loin de la « lumineuse » suggestion d’immersion anglaise dès le primaire !
À la suite de la révolte des Métis de 1884, mouvement écrasé par les troupes de Sa Majesté dépêchées dans le Nord-Ouest, après que Riel fut capturé et incarcéré dans la prison de Regina, alors que les loges orangistes de l’Ontario exigeaient la peine capitale, les Canadiens français à travers leurs différentes associations, dont en tout premier lieu la SSJB de Montréal, se portèrent à la défense des prisonniers métis.
À Montréal, un comité des amis de Riel fut formé et co-présidé par L.-O. David, un libéral, et Georges Duhamel, un conservateur. Les Conservateurs étaient alors au pouvoir à Ottawa. Les Libéraux prirent la défense de Riel, ainsi que les ultramontains chez les Conservateurs. Mais les évêques étaient réticents à appuyer ce mouvement, alors que d’autres (des partisans du « beau risque » avant l’heure) demandaient de faire confiance au gouvernement !
Quand le tribunal de Régina condamna Riel à mort, le 1er août 1885, c’est tous les Canadiens français qui se levèrent pour demander la grâce de l’illustre inculpé, alors que les Anglo-Canadiens étaient pour ainsi dire aux anges de savoir que bientôt il se balancerait au bout d’une corde. David et ses amis multiplièrent les efforts pour soutenir Riel et lui éviter la pendaison, par des assemblées nombreuses, des lettres et des pétitions. Au même moment, comme pour faire exprès, une épidémie de variole se répandait à Montréal, si bien qu’on dut interrompre ces réunions en faveur de Riel. Même si les organisations comme la SSJB firent des pieds et des mains pour éviter la pendaison, le premier ministre Sir John A. Macdonald ne lèvera pas le petit doigt, si ce n’est qu’un doigt d’honneur : Riel sera pendu même si tous les chiens du Québec devaient aboyer en sa faveur, déclara-t-il. Le 16 novembre 1885 – n’oublions jamais cette date – Riel fut pendu haut et court. Ce fut l’indignation chez les Canadiens français. David déclara alors que l’exécution de Riel n’était pas due qu’au fanatisme des sectes d’Ontario, mais à la trahison et à la lâcheté des ministres canadiens-français qui ont commis un crime national plutôt que de résigner leurs portefeuilles.
Lors d’une séance extraordinaire de la SSJB, tenue le 20 novembre, on condamna cette exécution comme un outrage sanglant à l’adresse de la race canadienne-française, dont Riel, le chef métis, était l’un des plus nobles représentants et comme un acte de cruauté qui répugne aux sentiments de toutes les nations civilisées. En même temps que la société civile canadienne-française s’émeut et condamne cette pendaison, l’agitation (des jeunes brûlent ou pendent les ministres fédéraux en effigie) commence à inquiéter le haut clergé, qui, s’il n’a pas d’objection à ce que l’on chante des services funèbres au chef métis, redoute que ceux-ci se transforment en démonstration politique. À cette époque, l’Église catholique est puissante et vénérée, et on a l’habitude de se soumettre à son autorité. Certes, on va pleurer et prier pour l’âme de Riel, mais on ne se rendra pas à l’église en cortège… le recueillement prévaudra sur la colère du peuple.
Quand il entra en fonction comme 34e président de la SSJB, David hérita d’un dossier en souffrance, mais dont il avait à coeur, celui du Monument national, un centre éducatif et récréatif que la Société avait l’intention de faire bâtir et qui n’aboutissait toujours pas. Après avoir modifié certains éléments du projet, notamment l’emplacement, le nouveau président trouva les moyens de le réaliser, en mettant sur pied la « Loterie Mont-Royal ». Même le premier ministre du Québec, Honoré Mercier, prononça une conférence au profit du Monument. David déclara : Ce Monument national sera le gardien fidèle de nos traditions et de nos souvenirs ; le temple où seront chantées les louanges et les gloires de la patrie, l’arsenal qui nous fournira les armes nécessaires à sa défense, le sanctuaire où se conservera toujours ardent et lumineux le feu sacré de notre patriotisme. L’endroit y vit défiler sur plusieurs
décennies de nombreux orateurs, dont L.-O. David qui justement y donna des cours d’histoire, mais aussi Henri Bourassa, Lionel Groulx, sans parler des grands artistes qui y foulèrent ses planches, comme Emma Albani, Édith Piaf, Gratien Gélinas, pour ne nommer que ceux-là. Avec le temps, l’édifice devint un fardeau pour notre Société et celle-ci s’en départira en 1970. Il fut classé monument historique en 1976 et abrite aujourd’hui l’École nationale de théâtre.
David fut plus qu’un homme politique, ce fut aussi un grand lettré à qui l’on doit de nombreux et importants ouvrages, notamment son histoire des Patriotes de 1837-1838, publié en 1884. Le cinéaste Pierre Falardeau disait à propos de cet ouvrage : J’avais quinze ans. Chez mes parents, à Châteauguay, il y avait quatre ou cinq livres, pas plus. Dans le tas, « Les Patriotes » de David. Je découvrais un trésor. En 1896, Laurent-Olivier David fait paraître un essai, Le Clergé canadien, sa mission, son oeuvre qui fit scandale car il s’opposait à l’intrusion du clergé dans la politique électorale. L’archevêque de Montréal en interdit même la diffusion. L’air du temps n’était pas aux accommodements !
Fidèle admirateur et ami personnel de Sir Wilfrid Laurier (David était persuadé que l’avènement d’un Canadien français au pouvoir était une « source d’heureux présages et d’espérances patriotiques »), croyant même que la bonne entente entre Canadiens français et anglais surviendrait bien tôt ou tard, David pouvait peut-être encore se payer le luxe d’être optimiste. Après avoir été nommé sénateur libéral en 1903, il présentera une motion au Sénat demandant que justice soit faite pour les Franco-Ontariens, alors que le règlement 17, adopté en 1912, réduisait l’usage du français comme langue d’instruction dans les écoles de l’Ontarie, pour parler comme notre bon ami Yves Saint-Denis. Comme le rapporte l’historien Jacques Lacoursière, citant les paroles d’un député lors de la réunion de la Grande Loge d’Orange de l’Est de l’Ontario, le 17 mars 1915 : Jamais nous ne laisserons les Canadiens français implanter dans l’Ontario le dégoûtant parler dont ils se servent. Son amitié indéfectible pour Laurier aveugla probablement le jugement de L.-O. David, et je ne suis pas loin de croire qu’autrement il aurait été d’accord avec ce propos tenu des années plus tard par le docteur et écrivain Jacques Ferron : La langue n’est qu’un prétexte; le véritable enjeu de la lutte est l’honneur de l’homme, qui ne peut se concevoir dans l’abaissement d’un peuple au profit d’un autre. Mais même s’il vécut assez longtemps (il mourut en 1926, à l’âge de 86 ans), il faut croire que ce ne fut pas suffisant pour que David, pourtant lui-même un grand patriote, en arrive à tirer les justes conclusions pour se déprendre du piège dans lequel nous étions tombés en 1867.
Pendant les Fêtes, j’ai lu son dernier opus, Au soir de la vie, paru en 1924, qu’il faudrait à mon humble avis rééditer. J’y ai découvert un homme passionnant, qui se prononçait sur de nombreux sujets (tant politiques que sociaux, littéraires ou historiques), parfois avec des idées bien de son temps et, avouons-le, quelque peu réactionnaires. Ainsi, concernant la femme, avec un grand F, il écrit (ne lisez pas ceci, mesdames !) : Si physiquement et intellectuellement (la femme) l’emporte sur l’homme par la grâce, la délicatesse, l’élégance et la beauté, par l’esprit de dévouement et de sacrifice, elle lui est inférieure dans toutes les oeuvres qui exigent la force, l’énergie, la persévérance, le sang-froid, la maîtrise des nerfs, de l’imagination et de la volonté.
Propos que réfuterait probablement son arrière-petite-fille Françoise David, actuelle leader, avec Amir Khadir, de Québec Solidaire, un parti de gauche, féministe et indépendantiste ! Mais ce qu’écrit L.-O. David peut être parfois aussi éclairant et nous pouvons nous en inspirer, ainsi quand il dit à propos des Patriotes de 1837- 1838 : Un peuple qui n’a pas assez de coeur pour honorer ceux qui meurent pour lui, ne mérite pas de vivre. À la fin de sa vie, David semble résigné quand il écrit : Ceux que leur patriotisme pousse à vouloir faire de notre province un état français, indépendant, ne doivent pas oublier que les autres provinces sont trop intéressées à nous garder pour nous lâcher. La Confédération nous a emprisonnés dans un cercle de fer difficile à briser. Difficile, vous n’avez sûrement pas tort, monsieur David, mais sachez au moins que nous sommes tout autant résolus que vous ne l’étiez en votre temps… regardez-nous aller !