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Le droit de travailler en français au Québec est menacé

Partenaires pour un Québec français (PQF) | LE DEVOIR

 

Le 9 mars dernier, la Cour suprême a refusé d’entendre une cause qui portait sur l’exigence du bilinguisme pour certains postes de travail. Loin d’être anecdotique, cette décision suit la tendance prise par l’État et les tribunaux québécois de systématiquement minimiser la portée de la Charte de la langue française. Nous prenons la plume aujourd’hui pour sonner l’alarme puisque cette décision risque d’avoir un impact anglicisant important sur l’ensemble des milieux de travail québécois si les dispositions de la loi 101 ne sont pas renforcées.

Les auteurs rappellent que, selon la loi 101, un employeur ne peut pas exiger la connaissance d’une langue autre que la langue française pour l’accès à un emploi à moins que l’accomplissement de la tâche le «nécessite». – Photo: Jacques Nadeau Le Devoir

 

Rappelons les faits. Lors d’un affichage de postes en 2009, la Ville de Gatineau a exigé la connaissance de l’anglais pour des postes de commis aux finances. Le Syndicat des cols blancs de Gatineau y voyait une violation à la Charte de la langue française et s’est présenté devant un arbitre afin que cette exigence soit retirée. En 2013, l’arbitre de griefs, René Turcotte, en venait à la conclusion qu’il était utile, mais non nécessaire de connaître l’anglais pour occuper les postes qui avaient été affichés en 2009. Selon lui, la Charte de la langue française, qui est censée confirmer la langue française comme langue commune et normale du travail, a pour effet « de limiter grandement le droit de gérance des employeurs » quant à l’exigence du bilinguisme à l’embauche. Il ajoute que la « nécessité ne doit pas être confondue avec l’utilité, l’opportunité, la qualité du service offert par un employeur ».

Or, selon la loi 101 (article 46), l’employeur ne peut pas exiger la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d’une langue autre que la langue française pour l’accès à un emploi ou à un poste à moins que l’accomplissement de la tâche ne le « nécessite ». C’est donc l’employeur qui a le fardeau de démontrer la nécessité de cette autre langue, et pas l’inverse.

Ci-dessus, l’affiche d’un restaurant montréalais, au cœur du débat sur l’affichage français, en 1988 – Photo: Jacques Grenier Le Devoir

 

À la suite du jugement de l’arbitre de griefs, la Ville de Gatineau a porté la cause en Cour d’appel, où le juge Morissette a cassé la précédente décision en donnant à l’article 46 une interprétation qui restreint la notion de nécessité au profit d’un principe de droit individuel. « Selon les circonstances, une personne qui s’exprime dans une [autre langue que le français] devrait pouvoir compter sur une réponse intelligible dans cette langue », écrit le juge Yves-Marie Morissette. Le juge est allé jusqu’à qualifier d’excentrique la décision de l’arbitre Turcotte. Le Syndicat des cols blancs de Gatineau a demandé à la Cour suprême de pouvoir en appeler de la décision restrictive du juge Morissette, ce qu’elle a refusé le 9 mars dernier.

Loin d’être un jugement parmi d’autres, l’interprétation restrictive du juge Morissette servira de jurisprudence pour les causes à venir concernant les exigences de bilinguisme pour accéder à un poste. Il est à craindre que d’autres employeurs tentent leur chance en exigeant, par exemple, la connaissance de l’anglais sous le motif de besoins ponctuels. En fait, la Cour d’appel n’a pas su tracer la ligne en faveur du français comme langue commune du travail et la Cour suprême a avalisé cette décision en refusant d’entendre le Syndicat.

 

Se souvenir des objectifs initiaux…

La Charte de la langue française aura 40 ans le 26 août 2017. Certains succès de cette loi phare semblent avoir fait oublier l’intention du législateur au moment de son adoption. L’objectif était de faire du français la langue commune de l’espace public. Pour atteindre cet objectif, le préambule de la Charte affirme que l’Assemblée nationale est résolue à faire du français la langue de l’État et de la loi aussi bien que la langue normale et habituelle du travail, à laquelle un chapitre entier est consacré. L’État a un rôle à jouer en mettant tout son poids du côté du français, notamment au travail, pour contrecarrer le poids du nombre des locuteurs de langue anglaise en Amérique. Selon le spécialiste en droit linguistique, Éric Poirier, par l’entremise du pouvoir judiciaire, l’État a plutôt, au fil du temps, minimisé la portée de la Charte de la langue française dans 78 % de ses jugements. Il est inquiétant qu’au Québec, le fait de parler français devienne moins important que le fait d’être bilingue. Si les Québécoises et Québécois veulent préserver le français comme langue commune et de travail, il est impératif de modifier la Charte de la langue française en ce sens.

Dans le cas qui nous occupe ici, les recours judiciaires ont été épuisés et nous croyons que c’est maintenant au législateur québécois de réagir. Après tout, si le pouvoir judiciaire a interprété de façon restrictive la portée de la notion de « nécessité », l’Assemblée nationale peut très bien venir préciser son intention à l’égard de l’article 46 en y ajoutant des paramètres d’interprétation sur lesquels devront se baser les juges à l’avenir. Sans changer toute la loi, le gouvernement Couillard doit modifier la Charte de la langue française afin de répondre à la nouvelle interprétation restrictive des tribunaux et surtout pour baliser, en faveur du français au travail, les paramètres d’interprétation des juges.

 

Ont signé cette lettre :

Maxime Laporte, président de la SSJB;
Éric Bouchard, Directeur général du Mouvement Québec français
Jacques Létourneau, président de la CSN;
Daniel Boyer, président de la FTQ;
Louise Chabot, présidente de la CSQ;
Christian Daigle, président du SFPQ;
Sylvain Mallette, président de la FAE;
Rose Crevier-Dagenais, présidente de la FECQ;
Sophie Prégent, présidente de l’UDA;
Martine Desjardins, présidente du MNQ;
Pierre Graveline, directeur général de la Fondation Lionel-Groulx

 

SOURCE

 

 

 

 

 

 

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