Le français, c’est payant !

SOLANGE CHALVIN

Prix Georges-Émile Lapalme 2020

Solange Chalvin est une journaliste, administratrice dans la fonction publique du Québec, rédactrice de plusieurs publications sur la promotion et la qualité de la langue française. Mme Chalvin s’est vue remettre, le 4 novembre 2020, le prix Georges-Émile-Lapalme. Il s’agit de la plus haute distinction accordée par le gouvernement du Québec à une personne ayant contribué de façon exceptionnelle, par son engagement, son oeuvre ou sa carrière, à la qualité et au rayonnement de la langue française parlée ou écrite au Québec.

 

 

LE FRANÇAIS,   C’EST PAYANT

Le diagnostic est tombé. Charcutée, amputée à maintes reprises de ses exigences les plus fondamentales, la Charte de la langue française est malade. Elle vit sous respirateur artificiel. Elle a besoin d’oxygène. C’est urgent. Elle n’est plus que l’ombre de la loi de 1977. Les promesses et les projets du gouvernement Legault et les « mesures costaudes » promises par le ministre responsable de la Charte, Simon Jolin-Barrette , seront-elles à la hauteur des aspirations du peuple québécois ?

Mise en vigueur, il y a plus de 43 ans, par des visionnaires comme Camille Laurin et Guy Rocher, la Charte suscita dès le début autant d’enthousiasme chez la très grande majorité des francophones que de crainte et de rejets de la part de la minorité anglophone. Pendant que la francisation des grandes et moyennes entreprises de plus de 50 employés commençait à se faire et que le français remplaçait progressivement l’anglais dans l’affichage public, dans les industries, les commerces et dans les organismes publics, une minorité de citoyens anglophones, allophones et francophones, soutenus politiquement et financièrement par le fédéral, réussissait à réduire la portée de la Loi 101 devant les tribunaux, grâce à l’activisme des juges nommés par Ottawa.

Bref retour : dans les quinze premières années de l’application de la Charte de la langue française (1977-1983) alors que j’occupais le poste de Directrice de la francisation des entreprises, nous avons réussi à imposer le français dans les plus grandes entreprises du Québec dont les papetières, les alumineries et autres, en parlant d’argent. C’est la langue du commerce et des affaires. Pour faire accepter la francisation, il faut que ça rapporte. C’est ainsi que l’argumentaire sur la diminution des accidents de travail et sur la hausse de la productivité des travailleurs, sans compter l’amélioration du climat de travail, a réussi à convaincre les dirigeants, en majorité anglophones, à accepter d’afficher en français dans les usines, à communiquer en français avec le personnel et les clients et rapidement à engager des directeurs de production et des contremaîtres francophones. Il est apparu, assez rapidement, qu’il était aussi payant d’avoir des membres de conseils d’administration qui maîtrisaient les deux langues. en français dans les usines, à communiquer en français avec le personnel et les clients et rapidement à engager des directeurs de production et des contremaîtres francophones. Il est apparu, assez rapidement, qu’il était aussi payant d’avoir des membres de conseils d’administration qui maîtrisaient les deux langues.

Nous nous retrouvons en 2020 avec une langue française qui n’est plus la langue officielle dans laquelle les Québécois de toutes origines devraient recevoir en français, les services de l’État, ni la langue commune qu’on s’attend à retrouver dans l’espace public. Pourtant, au moment de l’adoption de la Charte, Camille Laurin, affirmait que tout devait se passer en français dans l’espace public au Québec.

Un débat a fait rage, l’automne dernier, suite à une enquête du Journal de Montréal, révélant que dans le centre-ouest de la ville et dans sa grande banlieue, l’absence d’accueil en français, le refus et l’impossibilité d’être servi en français, était courant. Comment ne pas s’offusquer de ce manque de civilité envers les francophones et ne pas trouver stupide que l’on banalise Montréal au rang de douzaines de métropoles américaines en lui faisant perdre sa caractéristique touristique distincte ?

Pour faire entendre raison aux commerçants récalcitrants, pourquoi ne pas répondre à leur « Sorry, I don’t speak French ! » par « Sorry, I won’t buy here anymore ! ».

En conclusion, pour que le français reprenne la place qu’il devrait occuper dans les commerces de Montréal, il faut que la clientèle leur fasse savoir qu’elle n’achètera plus chez eux. Il n’y a pas que le Législateur qui doit agir mais toute la population québécoise pour redonner au français, la place qu’il devrait occuper au Québec, en particulier à Montréal.

Des mesures costaudes

A un grand malade — c’est le cas de la Charte de la langue française —, il ne faut pas se contenter de donner de l’aspirine, il faut un remède de cheval. Il faut s’assurer que le français redevienne la langue commune, la langue d’intégration et la langue du travail. Je propose dans un premier temps, cinq mesures essentielles.

Étudier en français au cégep

Cette façon de procéder a pour but de conserver dans le réseau francophone tous les étudiants qui, après le secondaire, choisissent le cégep anglophone. Les exigences de la Charte concernant les études au primaire et au secondaire s’appliqueraient jusqu’à la fin des études collégiales.

La fréquentation des cégeps francophones serait automatiquement rehaussée. Les cégeps anglophones demeureraient en place pour les clientèles qui leur sont octroyées par la Charte. Depuis 1995, la part des étudiants collégiaux qui fréquentent les cégeps anglais et leurs pendants privés subventionnés est passée de 14,9 % à 19 %, alors que les anglophones ne comptent que pour 8,1 % de la population québécoise et 12,5 % à Montréal. Il serait peut-être temps qu’on réalise que les Anglophones nous coûtent extrêmement cher. Les universités anglophones bénéficient d’une contribution financière du gouvernement fédéral qui est nettement disproportionnée, soit deux fois et demie la proportion d’anglophones au Québec. Pourquoi ? Le financement démesuré des institutions anglophones par l’argent public est nettement abusif compte tenu de leur poids démographique.

De plus, cette décision aurait des effets positifs sur la langue de travail. En effet, une étude réalisée par l’OQLF en 2008 a montré que la langue des études déterminait largement la langue de travail; ainsi 90,3 % de ceux qui avaient fait leurs études professionnelles en français travaillaient principalement dans cette langue, alors que seulement 39 % de ceux qui avaient fait leurs études professionnelles en anglais faisaient de même.

Une autre façon de procéder serait tout simplement de rendre l’école obligatoire jusqu’à 18 ans. Cela n’aurait rien d’original puisque l’Ontario a instauré cette mesure en 2006 et que plusieurs pays ont la même exigence. Qu’attendons-nous ? Cela nous permettrait de conserver dans le réseau francophone tous les étudiants qui quittent après le secondaire pour choisir le cégep anglophone. Les mêmes exigences de la Charte avec ses exceptions concernant les études au primaire et au secondaire s’appliqueraient.

Restaurer le français dans l’Administration publique,

Une étude publiée par le Conseil supérieur de la langue française, en 2019, a révélé que, pour l’ensemble du Québec, environ la moitié du personnel de l’Administration publique, utilisait couramment l’anglais dans ses interventions orales avec les personnes morales et les entreprises. Le ministre Jolin-Barrette admettait lui-même lors d’une conférence de presse en novembre dernier, que des villes de la région de Montréal et des arrondissements de Montréal n’ont pas encore de certificats de conformité à la Charte de la langue française. Que fait donc l’OQLF pour faire respecter la loi ?

Renforcer les mesures dans l’affichage public

Non seulement dans l’affichage public mais aussi dans la publicité commerciale, dans les guides d’instruction qui accompagnent les produits, dans les reçus et les factures, le français doit être renforcé. La préséance sournoise donnée à l’anglais dans la présentation des emballages, même de certains fleurons de notre industrie alimentaire, est alarmante. La loi est pourtant très claire dans ce domaine : l’affichage public et la publicité commerciale doivent être en français. Une autre langue d’affichage est tolérée à condition que le français soit également présent et demeure prédominant. Un sondage Léger publié en novembre dernier souligne que 75 % des personnes interrogées sont favorables au respect et même au renforcement de cet article de la Charte.

Appliquer la Charte de la langue française aux entreprises sous juridiction fédérale

C’est peut-être l’une des mesures les plus faciles à instaurer. Le gouvernement fédéral semble enclin à accueillir une telle demande du Québec. Il est vrai que cela ne touche que les sociétés sous juridiction fédérale comme les télécoms, les transports, les banques et les institutions financières. Il y a plus de 300 entreprises de cette nature au Québec qui emploient environ 135 000 salariés.

Assurer le financement nécessaire à la francisation des nouveaux arrivants non francophones

C’est une mesure essentielle pour s’assurer de l’appartenance au Québec des allophones. Plus de 80 % des Québécois sont d’accord avec cette mesure.

Pourquoi le gouvernement accorde-t-il si peu de moyens financiers aux organismes sans but lucratif qui dispensent des cours de français ?

Coercition et persuasion

L’inaction ne peut durer plus longtemps. Le français sera toujours en position de vulnérabilité au Québec à cause de son caractère unique, celui d’une langue minoritaire dans un océan anglophone. Cette tendance ne peut être renversée uniquement par des politiques gouvernementales. Nous nous entendons tous sur le fait qu’en matière linguistique, l’action du gouvernement est indispensable et urgente. C’est à lui que revient la mise en place de mesures coercitives. Mais c’est à la société civile qu’il appartient de prendre en mains le maintien, la diffusion et l’amélioration de la qualité du français au Québec.

En 2020 de nouveaux partenaires devraient être sollicités pour
promouvoir le français et accélérer sa pénétration dans toutes les couches de la société. Où les trouver et quels moyens d’action employer ?

Je cible quatre groupes particulièrement importants : Les enseignants, les ordres professionnels, les syndicats, les entreprises et les associations culturelles, patriotiques et d’affaires.

Ces quatre groupes ont le pouvoir et les moyens de rejoindre un public extrêmement varié, englobant des Québécois de tous les domaines. Si ces groupes se donnaient comme objectif de sensibiliser leurs membres à l’amélioration de la qualité de la langue d’accueil, de l’affichage, du travail et d’échanges dans l’espace public, des changements importants pourraient en résulter. C’est le temps de l’action citoyenne.

Les enseignants

L’un des partenaires les plus importants d’un tel programme est sûrement le monde de l’enseignement. Comment expliquer que des jeunes ayant complété onze années d’études, soit le niveau secondaire, ne puissent pas s’exprimer correctement en français, truffent leurs discours d’anglicismes et peinent à exprimer une idée claire ? Faut-il remettre en question la qualité même de l’enseignement du français, la langue parlée des enseignants, le peu d’heures consacrées à l’enseignement de la langue maternelle ? C’est à la Fédération des syndicats de l’enseignement du Québec qu’il appartient de répondre et d’effectuer les changements qui s’imposent auprès de leurs membres.

Les ordres professionnels

Un deuxième partenaire, peu souvent interpelé malgré son grand pouvoir, ce sont les ordres professionnels. On nous rapporte fréquemment dans les journaux des cas pathétiques de médecins et d’infirmières installés au Québec depuis quelques années, dont les enfants apprennent le français à l’école et qui ne peuvent travailler dans leur profession, faute de parler français. Ils sont chauffeurs de taxi, manutentionnaires, livreurs, etc. Les exigences des ordres concernant la reprise d’études et d’examens sont sans doute justifiées bien qu’elles se fassent au détriment de l’utilisation plus rapide de ces professionnels dont nous avons tellement besoin dans le domaine de la santé. Mais qu’attendent les ordres pour offrir des sessions intensives de français à ces professionnels pour accélérer leur intégration dans nos hôpitaux, nos cliniques, nos pharmacies ?

Les entreprises et les syndicats

Il est urgent que les entreprises instaurent des cours de français dans les entreprises. Certaines chambres de commerce ont pris l’initiative de mettre sur pied en collaboration avec le Centre de service aux entreprises de trois commissions scolaires de l’Île de Montréal des cours entièrement gratuits donnés sur les lieux de travail, avec des horaires flexibles et adaptés au secteur d’activité des travailleurs.

Les syndicats ont joué historiquement un rôle très important dans la francisation des milieux de travail. Ne pourraient-ils pas reprendre le flambeau et s’immiscer dans les entreprises de moins de 50 employés où ils sont présents puisque nos gouvernements successifs résistent au changement de la loi ? Sont-ils encore les chiens de garde sur qui l’Office comptait pour que le français demeure en première place dans les grandes entreprises ?

Les associations culturelles, patriotiques et d’affaires

Le Québec est reconnu pour son foisonnement de créateurs aussi bien dans le domaine des arts et des lettres, que de la musique, du théâtre, de la chanson et des variétés. Leurs associations professionnelles représentant des milliers de membres, ne pourraient-elles pas se soucier davantage de la langue véhiculée par leurs membres partout dans le monde ? Le joual a fait son temps. L’usage du français dans l’espace culturel est souvent pitoyable. Notre culture, déjà fragilisée par un contexte géographique, historique et politique, est en train de se dissoudre dans une langue dont on se demande si elle est encore française et qui tôt ou tard nous isolera de la francophonie.

Et pourtant, nous devrions être fiers d’appartenir à une communauté qui compte plus de 275 millions de parlants français au monde. Le français est la cinquième langue la plus parlée au monde et la troisième langue seconde.

Pour faire accepter la francisation aux entreprises et aux commerces, au début de l’application de la Charte de la langue française, il fallait que ça rapporte.

 

Le français, c’est payant

Pour faire accepter aujourd’hui, l’utilisation d’un français de qualité aussi bien au travail que dans l’espace public, retrouvons le slogan des années 1970 : « Le français, faut que ça rapporte ! »

Faisons valoir l’avantage économique d’avoir un personnel qui s’exprime en français, en anglais et souvent dans une ou deux autres langues. Pour percer à l’international, plusieurs jeunes entrepreneurs semblent convaincus qu’il faut donner un nom anglais à leur entreprise. C’est tout le contraire. Ils sont alors noyés dans des millions d’entreprises américaines, chinoises et autres qui affichent des noms semblables. Pour se faire connaître, il faut se distinguer. La meilleure preuve est sûrement le Cirque du soleil. Le français est un atout, non un handicap. De plus en plus de consommateurs à travers le monde estiment qu’une marque locale rime avec authenticité. L’identité régionale a la cote, comme « l’achat chez-nous ». Pourquoi ne pas en profiter ?

Il faut être persuadé qu’un français de qualité est un moyen de promotion sociale, grâce à l’offre d’emplois, lui aussi de qualité, et au développement de partenariats économiques avec les pays de la francophonie.

L’adhésion de la majorité des Québécois de tous âges, s’exprimant en français, est nécessaire pour renverser le courant vers une anglicisation galopante. L’adhésion des jeunes est indispensable. Un rayon d’espoir se dessine avec Accent Montréal, mouvement créé récemment par trois jeunes femmes, Emma-Félix Laurin, Sabrina Mercier-Ullhorn et Catherine Brassard qui organisent des manifestations pour le français et font pression sur la ville de Montréal pour que le français soit la langue d’accueil et d’affichage partout sur le territoire. Le français doit redevenir la langue commune de tous, non seulement au Québec, mais surtout à Montréal, principale ville d’accueil des touristes.

Ce n’est plus le temps de se demander quoi faire. C’est le temps d’agir !