Etienne Paré | Le journal de Montréal
À l’occasion des élections municipales, notre équipe sillonne certains quartiers de Montréal pour raconter des enjeux, parfois négligés de la campagne. Aujourd’hui: Saint-Henri, l’un des quartiers qui s’est le plus anglicisé dans les dernières années.
Selon le recensement de 2001, près de trois personnes sur quatre parlaient le français à la maison dans Saint-Henri. 15 ans plus tard, ils ne sont plus que 60% à s’exprimer dans la langue de Gabrielle Roy chez eux.
Des chiffres qui font sursauter le porte-parole du Mouvement Québec français, Éric Bouchard. «Ça fait longtemps qu’on parle d’anglicisation de Montréal, mais Saint-Henri est un cas extrême. C’est du jamais vu dans l’histoire des recensements.»
Le problème, ce n’est pas les Anglais
Pendant qu’un peu partout dans le quartier, les condos et les petits commerces branchés poussent, le français fane.
À quelques stations de métro de Concordia et de McGill, de plus en plus d’étudiants du Canada anglais sont venus s’installer dans le quartier depuis 15 ans. Avec l’ouverture du CUSM juste à côté, les «young urban professional» ont progressivement remplacé la population ouvrière francophone.
Le problème, ce n’est pas tant les anglophones ou les immigrants, assure Éric Bouchard. «Les gens peuvent parler la langue qu’ils veulent à la maison. Malheureusement, en l’absence de mesures gouvernementales fortes pour préserver le français comme langue commune, on remarque que ceux qui utilisent l’anglais à la maison, vont souvent aussi le parler dans leurs interactions.»
En français!
Même pas la peine de se rendre à Saint-Henri pour donner raison à M. Bouchard.
Encore chanceux que la loi 101 ne s’applique pas à Facebook, car le groupe St-Henri, dont fait partie plus de 7000 résidents du secteur, ferait sans doute le plein de contraventions.
À peu près toutes les publications, allant du chat perdu au logement à louer en passant par l’ouverture d’un nouveau commerce, sont écrites dans la langue de Kim Kardashian. S’il n’est pas rare que les membres avec un patronyme francophone répondent en anglais, le contraire est beaucoup plus anecdotique.
So what?
Pas de quoi en faire un drame d’après un rappeur que l’on croise par hasard devant la boutique de vêtements hip-hop qu’il opère sur la rue Notre-Dame. «On est au Canada, il y a deux langues officielles. On peut parler la langue qu’on veut.»
«C’est normal qu’il y ait un mix de culture you know? La Canada, c’est la terre promise, you know? So let it be», ajoutera son associé, fier lui aussi de parler la langue des Dead Obies.
Quelques coins de rue plus loin, un passant anglophone, qui vient d’acheter un condo dans le secteur, se montre plus modéré. «Même si je pourrais très bien complètement arrêter de parler français et continuer à vivre normalement, je ne le ferai pas. Je comprends que les francophones soient inquiets. Moi, je pense que tout le monde devrait apprendre le français et l’anglais puisqu’on est dans une ville bilingue.»
Montréal, ville française
Or, Montréal n’est pas une ville bilingue. Sur papier, le français en est l’unique langue officielle. Les deux candidats à la mairie l’ont d’ailleurs rappelé au cours de la période électorale.
Mais dans les faits, les deux candidats mènent une campagne bilingue. «Pour rejoindre tous les Montréalais», plaident-ils.
Lors du débat anglophone la semaine dernière, Valérie Plante a même promis que, si elle devient mairesse, les messages d’urgence dans le métro seront traduits dans les deux langues.
Exactement le genre de gestes en apparence anodins que condamne Éric Bouchard. «Ça envoie le message aux gens qui ne parlent pas français qu’ils n’ont pas besoin de l’apprendre.»
Encore faut-il que ceux qui le parlent déjà aient envie de le parler… et correctement!