Éditorial de Ariane Krol | La Presse
La version française du site d’appel d’offres du gouvernement fédéral présente des problèmes systémiques qui contreviennent à la loi, dénonce le Commissaire aux langues officielles dans un rapport préliminaire. Des constats durs, mais mérités qui, espérons-le, seront entendus à Ottawa. Il faut arrêter de traiter le français comme une corvée administrative dont on s’acquitte pour s’en débarrasser.
Les plaintes qui ont mené à l’enquête portaient sur un appel d’offres dont certaines des pièces jointes étaient seulement en anglais. Mais ce n’était pas un cas unique, puisque le fédéral s’inspirait d’un guide et d’une politique selon lesquels certains types de documents, dans certaines circonstances, pouvaient être publiés dans une seule langue.
Or, comme le rappelle le commissaire Raymond Théberge dans son rapport rédigé le mois dernier, la Loi sur les langues officielles « possède un statut quasi constitutionnel et a préséance sur toute autre politique ou réglementation ».
« Cette exception prévue au Guide n’est pas représentative des obligations linguistiques des institutions fédérales lors de la publication d’appels d’offres », souligne M. Théberge dans le rapport préliminaire que nous avons consulté.
Services publics et approvisionnement Canada a 60 jours pour fournir une rétroaction.
On ne sait donc pas ce que le commissaire retiendra dans son rapport final, mais on souhaite vivement que celui-ci ne soit pas dilué.
Nul besoin d’augmenter la taille des caractères à l’écran pour constater à quel point le français est maltraité sur Achatsetventes.gc.ca. L’une des personnes qui ont porté plainte au commissaire, Chantal Carey, a relayé une foule de traductions manquantes, incomplètes ou incompréhensibles sur son compte Twitter. Une brève visite sur le site nous a suffi à trouver plusieurs titres mutilés, ou composés de mots assemblés dans n’importe quel ordre. Un boulot digne du Dr Frankenstein !
Certains cas sont simplement ridicules, comme cet « Institutional dentiste » pour fournir les soins auxquels a droit chaque « délinquant » – traduction bancale d’« inmate » (détenu).
Dans bien des situations, toutefois, il faut consulter le titre dans l’autre langue pour comprendre de quoi il s’agit. Autrement dit, les utilisateurs sont forcés de faire la même chose que s’il n’y avait pas de version française : se référer aux documents en anglais.
On est loin de la qualité égale dans les deux langues officielles dont parle le commissaire.
Ce service qui diffuse des documents de nombreux ministères, souvent truffés de termes techniques, est un cas extrême. Mais des tournures de phrase qui, sans être totalement incompréhensibles, ne peuvent aucunement prétendre à une qualité de français égale à celle du texte anglais, il n’en manque pas sur les sites fédéraux.
Le dernier discours du budget du ministre des Finances n’a d’ailleurs pas été épargné. Les francophones ont ainsi eu droit à des constructions boiteuses comme : « Nous espérons que cet exemple amènera tous les employeurs à réfléchir à la sous évaluation du travail accompli par des femmes trop souvent constatée ». Ou encore : « Il est impossible pour nous tous de réussir si la moitié d’entre nous sont retenus ».
Sans oublier cette perle économique : « Au cours des deux dernières années, les Canadiens ont créé près de 600 000 nouveaux emplois grâce à leur travail. »*
Que des élus et des fonctionnaires dont la langue maternelle est l’anglais commettent des erreurs lorsqu’ils parlent français, ça se comprend. Mais qu’un ministère ou une agence gouvernementale ne fasse pas mieux dans un écrit officiel, c’est inacceptable.
Les deux langues officielles du Canada sont l’anglais et le français – et non, comme certains semblent le croire à Ottawa, l’anglais et l’anglais mal traduit.
* En anglais : « Over the last two years, hard-working Canadians have created nearly 600,000 new jobs. »