Benjamin Vachet | #ONFR
TORONTO – Alors que les spéculations vont bon train concernant un éventuel recours devant les tribunaux pour contester les décisions du gouvernement de Doug Ford d’abolir le Commissariat aux services en français et d’abandonner le projet de l’Université de l’Ontario français, le projet de loi progressiste-conservateur contient une clause qui pourrait empêcher tout recours judiciaire.
L’article 12.10 de l’annexe qui concerne les modifications à la Loi sur les services en français, qui sont prévues dans le Projet de loi visant à rétablir la confiance, la transparence et la responsabilité, tente d’empêcher tout recours judiciaire pour contester l’abolition du Commissariat aux services en français.
«Aucune cause d’action ne résulte, directement ou indirectement, de modifications apportées à la présente loi ou de quoi que ce soit qui est fait ou n’est pas fait conformément à ces modifications, notamment: a) le fait de ne pas donner de préavis avant l’expiration du mandat du commissaire; b) la destitution ou la suspension du commissaire; c) toute modification des conditions d’emploi des employés», peut-on lire dans le document.
Plusieurs spécialistes interrogés par #ONfr, qui préfèrent attendre pour se prononcer officiellement, reconnaissent qu’une telle clause est courante pour empêcher une contestation des employés concernés, mais très rare quand il s’agit d’empêcher la contestation d’une loi en tant que telle.
«Il y a encore des membres du gouvernement de Mike Harris dans l’entourage de M. Ford. On voit clairement qu’ils ont appris leur leçon de Montfort et qu’ils tentent de dissuader un recours judiciaire avec cette clause épouvantail», analyse la politologue du Collège militaire royal du Canada, Stéphanie Chouinard.
Deux causes constitutionnelles
Mais pour l’avocat franco-ontarien Ronald Caza, qui est intervenu dans la cause Montfort, une telle clause ne tiendra pas si la contestation se fait pour une atteinte aux droits constitutionnels.
«Le gouvernement Ford manque à ses obligations constitutionnelles envers la minorité linguistique par ces décisions. C’est incroyable à quel point, ces deux causes sont similaires à Montfort. En fermant ces deux institutions, le gouvernement refuse de reconnaître les besoins des minorités et la nécessité pour sa vitalité et son épanouissement d’avoir ses propres institutions.»
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«Il est presque impensable de croire que Doug Ford puisse répéter la situation de Montfort de façon exacte» – Ronald Caza, avocat
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Et de poursuivre: «Le fondement de la décision des juges dans la cause Montfort, c’était de dire que le gouvernement ne peut pas envoyer un message à une communauté de langue officielle en situation minoritaire que ce n’est pas la peine de faire des efforts pour préserver sa langue et sa culture. Et c’est exactement ce que dit Ford, aujourd’hui, aux étudiants du secondaire qui prévoyaient entrer à l’université franco-ontarienne en 2020.»
Pour M. Caza, même si l’Université de l’Ontario français n’avait pas encore pignon sur rue et qu’il est donc difficile de parler d’une perte, l’institution existait déjà.
«La Loi était passée et une cohorte était déjà prévue pour 2020. Cette université a été créée pour répondre à un besoin qui a été identifié et auquel les institutions bilingues ne répondaient pas. On ne peut pas la comparer aux trois projets de campus anglophones qui ont été abandonnés, car les besoins postsecondaires des francophones ne sont pas du tout les mêmes.»
Un avis que partage le professeur de droit à l’Université d’Ottawa, Pierre Foucher.
«L’Université de l’Ontario est un dossier plus facile à défendre, car il y a le précédent Montfort, même si ça voudrait dire d’aller encore plus loin devant les tribunaux. Pour le Commissariat aux services en français, c’est plus délicat, car c’est une organisation gouvernementale interne. Mais on peut toujours dire que c’est une décision mal avisée et que le fait de dire que ça coûte de l’argent n’est pas une raison suffisante pour détruire une institution, comme l’ont tranché les tribunaux. D’autant qu’en transférant tous les employés au bureau de l’ombudsman, on ne voit pas trop où est l’économie.»
La communauté juridique divisée
Mais la communauté juridique reste très divisée. Sous couvert d’anonymat, plusieurs spécialistes consultés par #ONfr doutent d’un possible recours judiciaire, même s’ils disent vouloir prendre le temps de mieux étudier le dossier.
«C’est une arme à double tranchant», estime Mme Chouinard. «Il n’est pas dit que l’interprétation généreuse des tribunaux pour Montfort sera la même en 2018.»
Raison sans doute pour laquelle l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) a décidé de se réunir cette fin de semaine pour «déterminer ses options d’actions politiques, d’actions communautaires et même d’actions devant les tribunaux», explique l’organisme dans un courriel envoyé au public.
La présidente du conseil d’administration de l’Université de l’Ontario français, Dyane Adam, a pour sa part demandé un avis juridique au cabinet d’avocats CazaSaikaley.
Privilégier le politique
Avant même d’envisager un recours devant les tribunaux, la politologue Stéphanie Chouinard conseille de privilégier la voie politique.
«L’énoncé économique présentait jeudi est alarmant, mais il y a encore une fenêtre pour renverser la vapeur. Il faut tendre la main au gouvernement et lui faire comprendre que ces deux dossiers ne sont pas négociables.»
Après l’annonce de la fermeture de l’hôpital Montfort en février 1997, il avait fallu attendre juillet 1998 à la communauté franco-ontarienne pour se tourner vers les tribunaux. Aujourd’hui, toutes les options semblent sur la table, malgré la clause prévue dans le projet de loi.