Le message du Canada anglais

Michel David |  Le Devoir

 

L’ancien ministre des Relations canadiennes Jean-Marc Fournier disait avoir découvert « une réalité canadienne où il y a un appétit pour le français, une légitimité nouvelle qui apparaît clairement » et dont le Québec ne pourrait que bénéficier. Tant de bienveillance finirait bien par faire mûrir le fruit constitutionnel.

Malheureusement, le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, ne semble pas faire partie de ces « francophiles » que M. Fournier additionnait aux francophones hors Québec pour masquer le déclin de leur poids démographique partout au pays. Il ne fallait surtout pas regarder la réalité en face ; si la vitalité du français d’un océan à l’autre devait profiter au Québec, l’inverse ne pouvait qu’être aussi vrai.

La décision du gouvernement ontarien ramène tout le monde sur terre. Dès qu’il a été élu, M. Ford s’est senti obligé d’honorer la promesse électorale qu’il avait faite aux soiffards de la « nation » qui porte son nom en abaissant le prix plancher de la bière à 1 $, mais il n’a pas hésité à renier celle qu’il avait faite aux Franco-Ontariens.

Encore en juillet dernier, la ministre de la Formation et des Collèges et Universités, Merrilee Fullerton, déclarait pourtant : « Notre gouvernement s’engage pleinement à assurer le succès de l’Université de l’Ontario français. » Sa collègue déléguée aux Affaires francophones, Caroline Mulroney, ajoutait que le futur établissement recevrait « le soutien qu’il mérite », évalué à 20 millions par année.

Le président de la Francophonie en Ontario, Carol Jolin, estime que M. Ford ne comprend pas la réalité franco-ontarienne. Il serait sans doute plus exact de dire qu’il s’en fiche. M. Ford fait dans la realpolitik. Il sait très bien que les Franco-Ontariens ne votent pas conservateur. Pourquoi se soucierait-il de leur sort ? Après tout, il faut bien faire des coupes quelque part. Imaginez le tollé d’un bout à l’autre du pays si un gouvernement péquiste avait décidé de ne plus subventionner les universités anglaises sous prétexte que les anglophones votent libéral.

De l’avis général, le Commissaire aux services en français joue un rôle essentiel, qui vaut amplement les 3 millions qu’il coûte annuellement. Justifier sa disparition par la nécessité de réduire un déficit qui s’élève à 15 milliards est une véritable insulte à l’intelligence. En dehors de la communauté francophone, cela ne semble toutefois avoir causé aucune émotion.

Les deux provinces où le français dispose des assises les plus solides à l’extérieur du Québec ont élu des gouvernements qui semblent y voir un coûteux irritant. Au Nouveau-Brunswick, il est clair que Blaine Higgs, un unilingue anglophone dont le parti n’a fait élire qu’un seul député francophone sur vingt-deux et qui compte sur l’appui d’un parti férocement opposé au bilinguisme, ne sera pas un allié de la communauté acadienne. 

En novembre 1885, la pendaison de leur « frère » Louis Riel dans la lointaine Saskatchewan avait poussé 50 000 Montréalais en colère à envahir le Champ-de-Mars, ce qui équivaudrait aujourd’hui à une manifestation de plus d’un million de personnes. Le gouvernement fédéral avait « frappé notre race au coeur », avait lancé Honoré Mercier, qui était devenu premier ministre six mois plus tard au terme d’une campagne électorale largement axée sur le souvenir de Riel.

Le coup que le gouvernement Ford a asséné à la communauté franco-ontarienne ne causera sans doute pas la même émotion. Il y a déjà une cinquantaine d’années que le Québec a décidé de dissocier son avenir politique du sort de la francophonie canadienne, malgré toute la sympathie qu’elle lui inspire.

Depuis ce temps, leurs rapports ont été marqués d’une certaine ambiguïté. Tout en se sentant un devoir de protection, les Québécois ont parfois eu l’impression de traîner un boulet. De leur côté, les francophones hors Québec ont eu le sentiment d’une trahison quand les procureurs du Québec ont défendu devant les tribunaux des positions contraires à leurs intérêts, craignant des précédents qui pourraient être invoqués par la communauté anglo-québécoise.

Dans le débat constitutionnel, les francophones hors Québec ont été pris en otages par le Canada anglais, qui s’est livré à un véritable chantage : si le Québec décidait de quitter la fédération, il signerait leur arrêt de mort. Deux fois plutôt qu’une, les Québécois ont choisi de demeurer au sein du Canada. Maintenant que la menace séparatiste a disparu, le message qu’envoie le reste du Canada est que cela ne change rien à son indifférence, voire à son hostilité envers le fait français.

Le premier ministre Legault aurait certainement préféré que sa visite à Toronto, lundi, survienne à un autre moment. Après le coup de poignard, il sera un peu gênant de faire des « mamours » à M. Ford pour le convaincre de s’associer aux ambitieux projets hydroélectriques qu’il nourrit. M. Legault ressent sans aucun doute la même indignation que tous les Québécois. Pas toujours facile d’être un fier Canadien.

M. Ford fait dans la realpolitik. Il sait très bien que les Franco-Ontariens ne votent pas conservateur. Pourquoi se soucierait-il de leur sort ? Après tout, il faut bien faire des coupes quelque part. Imaginez le tollé d’un bout à l’autre du pays si un gouvernement péquiste avait décidé de ne plus subventionner les universités anglaises sous prétexte que les anglophones votent libéral.

 

 

 

 

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