Par Mathieu Roy,
conseiller général à la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal
Dans son récent ouvrage Revoir nos idées préconçues, fraîchement arrivé chez les libraires, le chroniqueur Michel C. Auger dit souhaiter s’attaquer aux idées préconçues du paysage politique québécois. Pour ce faire, ce dernier consacre le premier chapitre de son livre à la question linguistique, sur laquelle il a publié également un texte dans les pages de La Presse dimanche dernier.
Or, loin d’éclaircir un quelconque mythe du paysage politique québécois, le journaliste de Radio-Canada ne fait qu’entretenir la croyance largement répandue selon laquelle la question linguistique au Québec serait désormais réglée. Celui-ci va jusqu’à prétendre que le français ne se serait jamais mieux porté qu’aujourd’hui.
D’entrée de jeu, pour soutenir cette idée factice, Monsieur C. Auger prétend qu’il faut se réjouir du fait que 95 % de la population québécoise peut désormais soutenir une conversation en français. Toutefois, il semble évident que ce n’est pas parce que quelqu’un parle français qu’il l’utilise quotidiennement, tout comme je peux connaître le russe sans le parler couramment. Cette simple statistique ne peut donc pas témoigner de la vitalité du français comme langue commune au Québec.
Pour étoffer son argument, le journaliste de Radio-Canada renchérit en prétendant que 87% des Québécois ont le français comme langue d’usage à la maison.
L’auteur fait d’ailleurs de cette statistique un de ses arguments principaux, témoignant ainsi d’un manque de rigueur méthodologique. En effet, les chiffres utilisés par l’auteur proviennent du recensement de 2016, farouchement critiqué par les statisticiens.
Au cours de cette année, Statistique Canada a décidé de changer complètement sa méthodologie, rompant avec celle utilisée lors des 7 derniers recensements. Pour vulgariser, ce chiffre de 87% de francophones de langue d’usage provient de l’addition de gens parlant français comme langue principale, seconde ou tierce. Additionnée aux locuteurs de langue anglaise ou autres, la somme dépasse la population totale du Québec, soit 121%. Une brève recherche aurait permis à l’auteur de réaliser cette incongruité et le peu de fiabilité accordée à ces données par les statisticiens.
Si on analyse les chiffres avec la même méthode que pour les recensements précédents, on constate qu’entre 2011 et 2016, le français a décliné non seulement comme langue maternelle, mais également comme langue d’usage.
De plus, lorsqu’on s’attarde à la situation globale, le français comme langue d’usage à Montréal a diminué de 3,3 % entre 2001 et 2016, alors que l’anglais a augmenté de 0,2%. À Laval, ville qui s’anglicise le plus rapidement au Québec, le nombre de personnes ayant le français comme langue d’usage a diminué de 12,4%, alors que l’anglais a progressé de 3,9%. Enfin, dans l’ensemble du Québec, le recul du français s’est élevé à 2,5% au cours des mêmes années.
Un autre argument fallacieux mis de l’avant par le chroniqueur est celui selon lequel en chiffres absolus, le nombre de francophones augmente même si en poids relatif, celui-ci diminue. Or, analyser les résultats en nombres relatifs demeure beaucoup plus rigoureux, car cela révèle réellement le poids politique des francophones, tant au Québec qu’au sein de la fédération canadienne.
Qui plus est, le français recule également comme langue de travail au Québec, comme le démontre le nombre de travailleurs qui emploient le français 90 % du temps ou plus au travail, passant de 73,4 % des travailleurs en 1989 à 65,5 % en 2010, selon un rapport paru par l’OQLF en 2010.
Monsieur C. Auger a beau critiquer les experts, aucun d’entre eux n’utilise les mêmes chiffres et les mêmes méthodes d’analyse que lui, même en ces temps où les « faits alternatifs » sont en vogue. Considérant le fossé qui le sépare de ces derniers, comment le chroniqueur peut-il avoir la moindre crédibilité lorsqu’il s’attaque à des solutions comme la francisation des PME ou l’application de la loi 101 au cégep?
On pourrait continuer longtemps à parler du recul du français dans les services et dans l’affichage, ou de l’écart de financement entre les systèmes scolaires francophone et anglophone, ou encore de l’anglais dans la fonction publique, des « Bonjour/Hi », des press nine, du déficit de prestige accordé à notre langue et d’une foule d’autres éléments démontrant sans équivoque que le combat pour le français est loin d’être gagné au Québec.
À la lumière de ces éléments et des « chiffres » avancés par Monsieur C. Auger, on a droit de se demander à quelle « industrie d’experts » ce dernier peut bien appartenir… Loin de démentir une soi-disant idée préconçue sur le sujet, le chroniqueur ne fait qu’alimenter une vision triomphante prétendant que la question linguistique au Québec serait réglée, et l’avenir du français assuré. Enfin, souhaitons que les vingt-quatre autres chapitres de son livre soient plus convaincants que celui-ci.