par Daniel Laprès | Le Patriote
Il est fortement probable que vous ne connaissez pas, ou du moins que très peu, Paul-Émile Lamarche, et même que vous n’avez jamais entendu parler de lui. Pourtant, cet homme politique né à Montréal en 1881 et mort à 36 ans seulement dans cette même ville, victime de l’épidémie de grippe espagnole ayant frappé le Québec en 1918, était d’une telle intégrité, d’une telle fidélité à ses principes et convictions, et d’un tel attachement aux droits et à l’identité de la nation canadienne-française – comme on nommait jadis la nation québécoise – qu’il se sera révélé comme l’homme politique le plus estimable que l’histoire québécoise aura produit.
Mais encore faut-il, pour qu’il soit enfin reconnu comme tel, que l’on répare l’injustice qu’est l’oubli quasi-total dans lequel Paul-Émile Lamarche a sombré dans notre mémoire collective. C’est ce que nous nous proposons de faire, ne serait-ce que de nos faibles moyens, par ce présent billet que nous lui dédions.
Il est d’autant plus essentiel de nous souvenir que notre peuple a déjà produit un politicien de cette envergure, que le Québec d’aujourd’hui éprouve un cruel et urgent besoin de leaders de la qualité, de l’intégrité, de l’intelligence, du dévouement et de la trempe d’un Paul-Émile Lamarche, et ce, surtout quand on prend en compte le fait que l’État québécois, sous la gouverne d’un Philippe Couillard, est présentement détourné au détriment de notre identité nationale et à l’encontre de nos propres intérêts.
Car il faut voir les choses pour ce qu’elles sont : jamais notre classe politique, dont le parti de Couillard représente le pire que l’on puisse concevoir, n’aura été aussi pitoyable, minable, lâche, corrompue, insignifiante, sinon dangereuse, qu’elle ne l’est actuellement. Et cela, pour une large part, est de notre propre faute car nous n’avons, comme le rappelait souvent PaulÉmile Lamarche, que les politiciens qu’on mérite.
Il faut donc que l’on se secoue, que l’on se ressaisisse, tellement est colossale l’ampleur du nécessaire redressement national auquel il est devenu urgent de nous atteler. Et pour cela, nous avons besoin d’inspiration. Et de l’inspiration, le souvenir de Paul-Émile Lamarche peut à lui tout seul nous en donner à revendre.
Lamarche était avocat, et, de 1911 à 1916, il a été député de Nicolet au parlement fédéral. Il était à ce titre l’un parmi la vingtaine d’élus nationalistes à avoir été élus par le Québec, mais il sera le seul parmi eux à être resté fidèle à la défense des droits de notre nationalité et qui, pour cela, aura rejeté sans la moindre hésitation toutes les tentatives de séduction que le pouvoir aura déployées à son endroit. Pour tout dire, Lamarche était tout sauf un vendu, et même s’il n’était pas riche, il était impossible de l’acheter.
En 1912, Lamarche déclarait : Je suis mon seul maître, comme député de Nicolet. Ma voix est bien à moi et j’en userai comme il convient, sans prendre d’ordre de qui que ce soit. Mes commettants, mes compatriotes et le peuple sont mes seuls juges. J’ai confiance en eux, quel que soit le sens qu’on prête à mes paroles ce soir. Toutefois, si je suis indépendant, je ne crains pas, quand je défends ou combats une mesure quelconque, de tendre une main loyale à l’homme public assez courageux, assez énergique pour se lever et prendre la défense de sa langue et de sa race; de même je la lui refuserais, si je le sentais disposé à trahir sa nationalité et la langue de ses pères. Tels sont mes attitudes, ma politique.
Le 5 mars de la même année, Lamarche affirma à la Chambre des communes cette vérité qui, en 2015 plus que jamais, reste d’une brûlante actualité : Les défaites subies par les Canadiens français dans l’arène parlementaire ont eu pour cause non seulement les injustices d’une intolérante majorité, mais surtout les défaillances de la minorité, inspirées trop souvent par des mobiles d’intérêt ou par manque de courage ou de véritable esprit
public.
Puis, toujours à la Chambre des communes, le 1er février 1916, Paul-Émile Lamarche prononça un percutant discours, dans lequel il affirmait :
Quelques-uns ont rêvé un jour de nous noyer dans un flot d’immigration mal assortie. L’expérience démontre que, plongée dans cette solution cosmopolite assimilée à la hâte, [l’identité des Anglo-canadiens] comme nation distincte en a subi des dommages, mais que la nôtre est restée absolument intacte. Peuton encore une fois nous faire des reproches, parce que nous avons résisté à toutes ces dures épreuves ?
Nos collègues de langue anglaise qui occupent des sièges dans cette Chambre des communes, et pour lesquels j’ai beaucoup d’estime, connaissent mal, je crois, la population française de la province de Québec et ses aspirations. Ils croient cependant la connaître parce qu’ils frôlent de temps à autre quelques politiciens d’occasion, dont l’esprit d’arrivisme empêche de refléter les véritables sentiments du peuple. Ils nous connaissent, ou plutôt croient nous connaître, parce qu’ils se complaisent à lire certains de nos journaux qui leur prodiguent l’encens en proportion de la pitance que le gouvernement leur sert. Dans ces journaux qui nous font plus de tort que de bien, les articles de fond semblent écrits avec un manche de fourchette, et sur une huche remplie de pain [et n’expriment] que les idées mesquines de leurs actionnaires.
Le dernier discours majeur de Paul-Émile Lamarche a eu pour cadre la salle de conférence de la bibliothèque Saint-Sulpice, rue Saint-Denis à Montréal, le 27 septembre 1917. De la brochure ayant été diffusée de ce texte, on peut notamment lire, en plus d’un condensé des principes et convictions qui ont animé Lamarche tout au long de son engagement citoyen et politique, ce puissant rappel à la priorisation de notre intérêt national et à nous élever comme peuple audessus de la médiocrité et de la lâcheté :
Vouloir abolir les partis politiques serait une tâche herculéenne et peut-être une mesure trop radicale. Les énergies qu’on y dépenserait seraient mieux utilisées à enrayer l’esprit de parti qui a pris la place de l’esprit public. Voilà l’abus. Voilà le mal.
Au fond, les partis et les gouvernements décadents, dilapidateurs, irrespectueux des lois et de la tradition nationale sont presque toujours l’indice d’une opinion publique insouciante, endormie ou corrompue. Les peuples ont les gouvernements qu’ils méritent. Ceux qui ont développé chez eux de l’esprit public, de la vigilance, du caractère, ont eu des gouvernements respectueux de l’ordre et de la justice et des partis politiques prudents, parce qu’ils étaient craintifs. En politique, la crainte de l’électeur est le commandement de la sagesse.
Débarrassons-nous donc du fétichisme et de la partisanerie politique. Remplaçons-les par le culte de l’intérêt national. Dégageons notre politique du matérialisme pesant qui l’oblige à se tenir près de terre et l’empêche de s’élever jusqu’aux sphères supérieures. Rappelons à nos partis politiques et à nos hommes publics que le progrès d’un pays ne consiste pas seulement dans l’augmentation de ses revenus et dans son développement matériel, mais que les nations, comme les individus, sont susceptibles d’avancement intellectuel et moral.
[…] Regénérons l’opinion publique. Travaillons à l’intérêt national. Le pays est là qui attend, immense de ressources et de richesses, plein de vigueur, d’espérance et d’avenir. Secouons nos ailes et élevons-nous. Nous sommes déjà en retard ».
Pour un aperçu plus complet du parcours de ce grand compatriote aussi inspirant qu’estimable, je vous invite à consulter l’excellente recension que mon estimé ami Yves Thériault a écrite (Recherches sociographiques, vol. 27, n° 2, 1986, p. 326-328.) sur l’ouvrage biographique que le professeur Réal Bélanger a consacré à Lamarche. Il est à noter que même si cette biographie de 440 pages est parue en 1984, elle est encore disponible aux Presses de l’Université Laval. •••
[Nous invitons les lecteurs intéressés à en savoir davantage sur Paul-Émile Lamarche et autres personnalités de notre histoire collectives à se rendre sur la page Facebook « Glanures historiques québécoises » qu’anime notre collaborateur Daniel Laprès.]