«Le son des Français d’Amérique» à l’UNESCO

Odile Tremblay  | Le Devoir

 

Des fragments de ces films-là, vus, admirés, en partie oubliés, me revenaient en tête lors de pérégrinations à travers le Québec, l’Acadie, la Louisiane des Cajuns, en éclaireurs de chemins. C’est bien pour dire…

Il resplendissait, le cinéaste André Gladu, cette semaine. Michel Brault, d’outre-tombe, doit bien se réjouir de concert. N’empêche ! « Comme c’est triste qu’il n’y soit plus… »

Grande consécration mardi dernier pour une série du tandem. Le son des Français d’Amérique a été inscrit au registre international Mémoire du monde de l’UNESCO. « Une première pour des documentaires québécois, s’épate Gladu. Ça permettra de les faire circuler. »

Voici de retour à la lumière 27 documentaires d’une demi-heure réalisés entre 1974 et 1980. Turlute, violons, accordéons, voix, tapements de pieds ou instruments divers, en miroir de résilience des francophones du Nouveau Monde, animant toute la boîte à bois. L’âme de musiciens populaires flotte entre leurs commentaires, leurs chants, leurs accords.

Le duo a coréalisé et coproduit chez Nanouk Films ces films-là, diffusés sur les ondes de Radio-Canada. Brault, oeil maître, se sera vite consacré à la caméra et à la mise en forme, captant la vérité du cinéma direct ; André Gladu à la recherche et à la gestion humaine.

Ces dernières années, Jean Gagnon, ancien directeur des collections à la Cinémathèque québécoise, pilota le dossier d’inscription, initié sous la direction de Yolande Racine, monté avec Gladu auprès de la Commission canadienne pour l’UNESCO. C’est l’institution du boulevard de Maisonneuve qui préserve cette série en archives. La Cinémathèque travaillera à sa remise en ligne, avec cachet de l’UNESCO posé sur elle aussi.

André Gladu me nomme les principaux techniciens derrière l’aventure : Claude Beaugrand au son, André Corriveau au montage, l’assistant-cameraman Andy Chmura. Ces projets au long cours relèvent d’un esprit d’équipe salué bien bas.

 

Chants de résistance sur trois pas de danse

Tout est lié dans une trajectoire. Après avoir réalisé à l’ONF Le reel du pendu en 1971, sur les traces des musiciens de la diaspora francophone d’Amérique du Nord, André Gladu eut l’idée de cette série. Brault venait de réaliser Les ordres. Le coréalisateur de Pour la suite du monde partageait sa sensibilité aux racines à célébrer, un même engagement politique aussi. Il a plongé.

 


« À l’époque, personne ne parlait des Cajuns au Québec, précise Gladu. Ce fut une révélation ! » Ces voyages au royaume des sons et du français ont pour héros des musiciens autodidactes, virtuoses souvent. Les cinéastes étaient bien conscients d’attraper çà et là les derniers représentants d’un passé de transmission, un fil au point de couper.

Retour en ces années 1970 sur la ligne de partage des eaux entre la littérature orale et la vague d’uniformisation télévisuelle.

Les cinéastes ont sillonné le Québec, l’Acadie de Tracadie à Chéticamp, la Louisiane chez les Cajuns comme chez les Créoles descendants d’esclaves au son du zydeco, la Nouvelle-Angleterre parmi les francophones du « Petit Canada » issus de la vague des ouvriers des filatures, les Métis manitobains, bien d’autres. Ces musiques venues de France s’étaient enrichies par croisements avec des voisins de palier : Écossais, Afro-Américains, Irlandais, accordés parfois aux vieux quadrilles de France perpétués par Mme Georgiana Audet sur l’île d’Orléans, sous anathèmes du clergé. — Danser, quelle indécence !

Gladu s’avoue encore impressionné par l’étendue du répertoire et la maîtrise du jeu de Louis « Pitou » Boudreault, le violoneux de Chicoutimi, par son sens communautaire aussi. Se tenir au coeur de la veillée des gigues est affaire de vocation autant que de talent. « Car le jeu des Québécois épouse le rythme de la danse. »

Dans Réveille !, tourné en Louisiane, Zachary Richard, jeune et fringant, clame sa révolte contre le rouleau compresseur du melting pot américain. Sa chanson se fait acte de résistance. Encore de nos jours, la musique (et la bouffe) porte à bout de bras l’identité et la langue des Acadiens errants transplantés jadis au milieu des bayous.

 

Coup de pouce, coup de fouet

Ce répertoire-là dormait et la reconnaissance par l’UNESCO — un hommage par la bande à des communautés francophones isolées, laissées longtemps pour compte — changera toute la donne.

La Cinémathèque reçoit une aide du Québec pour numériser en partie ces documents. Éléphant, sous l’aile de Québecor, est prêt à restaurer les films. L’ONF dit vouloir participer au projet, côté numérisation et distribution, avec des détails à valider. En ligne tôt ou tard, cette mémoire chantante.

De son côté, André Gladu, de concert avec Nanouk Films, imagine déjà un coffret sur livret de ses commentaires. « On est déjà en discussion avec Frémaux et associés en France, une société de sauvegarde du patrimoine sonore. »

Les DVD refont dans son esprit le trajet inversé de leurs captations, direction Louisiane, Acadie, territoire des Métis manitobains. « Allez donc prendre le génie du peuple sans lui retourner », lance-t-il comme une évidence en plein vent.

 

 

 

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