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Léo Major: le Rambo québécois

JULIEN ABADIE | HUFFINGTON POST QUÉBEC | 17/01/15
@Jocelyn Major
@Jocelyn Major

Léo Major est le héros québécois que le Québec a oublié. Pourtant, on parle du seul Canadien décoré deux fois de la médaille de conduite distinguée. D’un type qui a traversé deux guerres avec un oeil en moins et le dos brisé. Du seul soldat, surtout, à avoir libéré une ville à lui tout seul. Pas mal pour un petit gars de la rue Frontenac. Avec une trajectoire pareille, ce Nick Fury francophone pourrait avoir son film depuis longtemps, sa série sur HBO, sa propre BD peut-être. Mais Léo Major n’est pas Américain, il est Québécois. Et au Québec, à tort ou à raison, les héros de guerre sauvent le monde en sourdine. Le 23 janvier prochain, Léo aurait eu 94 ans.

Un héros ordinaire

Né fortuitement au Massachusetts en 1921, le petit Léo a grandi à Montréal entre la Dépression et les humiliations de son vieux. «Paresseux, mauviette, peureux», lui gueulait-il entre deux corrections. S’il avait su… Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, le jeune Major n’est pas encore le héros de guerre que l’Histoire retiendra, mais déjà un intrépide ouvrier sur le chantier de la gare de Montréal. Chargé de la pose des explosifs, son quotidien s’écrit alors au milieu de la dynamite, du chaos et de la poussière. Prémonitoire.

Après son enrôlement dans le Régiment de la Chaudière et 3 ans d’entraînement, le jeune homme débarque en 1944 sur les plages de Normandie où il brille par son courage. 18 jours plus tard, la bataille de Caen et une grenade au phosphore lui arrachent son oeil gauche. Évacué vers l’hôpital de campagne le plus proche, un médecin lui signifie que sa guerre est finie. Refus catégorique de l’intéressé: «C’est impossible monsieur, je suis sniper dans ma section. Mon œil droit est parfait et c’est celui que j’utilise pour le tir de précision.» Il reprendra le combat avec un simple bandeau de pirate en guise de stigmate.

À bien y réfléchir, cet air de flibustier parachevait le personnage. Car Léo Major était un sacré bravache. De ceux prêts à défier le Maréchal Montgomery en personne. Le tenant à raison responsable du fiasco de l’opération Market-Garden, il saura le lui signifier à sa façon. Envoyé en reconnaissance en pleine bataille de l’Escaut, il fait prisonnier une centaine de soldats allemands qu’il ramène au camp sous le feu nourri de l’ennemi. Mais lorsque Montgomery souhaitera le décorer pour cet acte de bravoure, Léo refusera: impossible pour lui d’oublier les 17 000 camarades tombés pendant l’opération. «Il avait commis une erreur effroyable. Je ne l’aimais pas du tout.»

L’homme-armée

Ennemis ou hiérarchie, plus rien n’arrête Léo Major. Même lorsqu’une mine lui brise le dos et quatre côtes, il refuse de rentrer au bercail. Il a une guerre à finir. En avril 1945, le voilà avec son régiment devant Zwolle, une ville néerlandaise grande comme Trois-Rivières et transformée en verrou stratégique par les Allemands. Désemparé, le commandement échafaude une mission quasi suicide: s’infiltrer dans la ville pour évaluer les positions de l’ennemi. Léo Major et son ami Willy Arseneault se portent volontaires et s’enfoncent seuls dans la nuit. Ces deux-là ne le savent pas encore, mais ce sera leur dernière aventure ensemble. Vers 23h, une rafale de mitrailleuse balafre l’obscurité. Willy s’effondre. Comme possédé, Léo se met alors à canarder l’ennemi. Sa rage est telle qu’il abat deux soldats et met les autres en fuite. «Après, je n’avais plus qu’une idée en tête : libérer Zwolle. Que je sois confronté à un millier d’Allemands ou à une poignée d’entre eux, ça n’avait pas d’importance.»

La vraie-fausse bande-annonce d’un film sur Léo Major

La suite tient du film hollywoodien. Toute la nuit, Léo Major va quadriller la ville comme un damné, attaquer toutes les patrouilles qui passent, balancer des grenades dans les rues… Son objectif ? Faire croire aux Allemands que les troupes canadiennes ont lancé l’assaut. «J’en ai tué quelques uns, mais j’essayais surtout de leur faire peur, de créer la panique.» Aux premières lueurs de l’aube, la ville se réveille finalement libérée. Un simple soldat montréalais vient de mettre toute une garnison allemande en déroute.

Nul n’est prophète en son pays

Pour cet acte de bravoure insensé, Léo Major reçoit une nouvelle Médaille de conduite distinguée. Cette fois, il l’acceptera. La seconde lui sera remise pendant la guerre de Corée, à l’issue d’une résistance héroïque: à la tête de 18 hommes, il a non seulement repris une colline stratégique à l‘ennemi, mais il l’a tenue pendant trois jours sous les assauts de milliers de soldats chinois. Si certains sont du bois dont on fait les héros, difficile de dire de quelle matière était fait ce Léo Major.

Difficile surtout d’expliquer son relatif anonymat de ce côté-ci de l’Atlantique. Alors que la ville de Zwolle possède depuis longtemps une avenue Léo Majorlaan en hommage à son libérateur, le nom de Léo Major, décédé en 2008, vient tout juste de recevoir l’agrément du comité de toponymie de Montréal. C’est un début. Pour autant, ce n’est pas d’une rue dont son nom a besoin, mais bien de la mémoire collective. Et puisque l’Histoire ne devient un récit populaire qu’en la transmettant, il est grand temps de raconter partout la légende de Léo Major: ce pirate Québécois qui valait une armée.

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