Les bienfaits de la colonisation

Philippe Dujardin  | Le Patriote

 

Le 14 février dernier, Emmanuel Macron a déclaré à la chaîne algérienne Echorouk News : La colonisation est un crime contre l’humanité. Je vais passer le côté démagogique de cette déclaration. Surtout venant du candidat de la mondialisation et du néocolonialisme, devenu depuis président de la République française.

C’est sur un sujet bien plus québécois que j’aimerais vous entretenir, car nous sommes ici confrontés directement avec les réalités historiques coloniales passées et présentes. Qu’il s’agisse de l’histoire des Amérindiens, des francophones du Canada ou des Québécois.

Entendons-nous, je suis profondément en accord avec cette déclaration macronienne, au-delà du vide intellectuel qui l’accompagne et de son caractère électoraliste. La colonisation est un crime contre les peuples et donc contre l’humanité.

Aucun peuple ne mérite d’être sous la domination d’une nation étrangère, fusse-t-elle bonne.
– Mahatma Gandhi

Le problème c’est qu’au Canada plusieurs nations sont encore sous la tutelle d’une nation étrangère. Tant les Amérindiens et Métis soumis au racisme systémique de la loi sur les Indiens. Que la nation acadienne. Que celle distincte du Québec contre qui les Canadiens useront de tous les moyens afin de sauvegarder leur unité nationale. Intimidation, dénigrements, discours de peur, lois spéciales, occupation militaire, violation des principes démocratiques, rien ne nous sera épargné dans notre histoire. Tandis que le pacte international relatif aux droits civils et politiques signé par le Canada en 1976 à l’ONU précise dans son article premier : Les États parties au présent Pacte, y compris ceux qui ont la responsabilité d’administrer des territoires non autonomes et des territoires sous tutelle, sont tenus de faciliter la réalisation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et de respecter ce droit, conformément aux dispositions de la Charte des Nations Unies. Il n’en a jamais rien été.

Au contraire, les politiques appliquées, impérialistes, cherchent à ôter tout désir de liberté aux nations soumises, écrasant leur culture, leur langue, leur fierté. Leur interdisant d’avoir une équipe nationale, une histoire distincte, de s’adresser directement aux autres nations. S’appropriant leurs symboles, leurs victoires, leurs héros, leur identité. Appliquant aussi des politiques multiculturalistes pour les noyer parmi des minorités ethnoculturelles, les faisant alors passer de nations distinctes à simples minorités comme les autres.

Allant jusqu’à nier leur existence, comme ce fut encore le cas dernièrement avec les déclarations du premier ministre Justin Trudeau, dans une entrevue au journal Nouvelles Parc-Extension, expliquant qu’un statut spécial pour le Québec ou de la reconnaissance du Québec comme société distincte dans la Constitution ou de la reconnaissance des Québécois comme une nation, ce serait créer des divisions. Et se demandant au final : qui sont les Québécois pour être reconnus comme une nation ?

Aujourd’hui nous sommes toujours pris avec ce crime contre l’humanité au Canada, ce n’est pas de l’histoire ancienne. Ce n’est pas ressasser le passé pour jouer la carte victimaire. Cela ne peut pas être plus d’actualité, surtout lors de cette célébration du 150e de cette confédération qui n’en a jamais été une.

Une propagande fallacieuse est à l’oeuvre, sournoise, distillée au quotidien, devenant avec le temps une vérité historique dans la conscience collective, consolidant notre soumission et nous demandant d’accepter ce statut de colonisé qui est le nôtre. À coup de capsules historiques patrimoniales à Radio- Canada, de The Story of Us et de célébration de nos anciens premiers ministres qui ont tant fait pour nous, pour le pays, ces grands démocrates, d’après la ministre Mélanie Joly qui réinvente l’histoire et patauge dans le révisionnisme historique bon teint.

Nos athlètes, nos artistes, nos savants, nos entrepreneurs, nos militaires qui donnent leur vie pour sauver notre démocratie, tous canadianisés. On nous vend cette fierté d’appartenir à une grande nation d’un océan à l’autre. Invisible au reste du monde, en dehors des journaux québécois, ils sont seulement de fiers Canadiens aux yeux des autres peuples. Nous n’existons pas, nous n’existons plus.

Au Québec, on nous rappelle en permanence tout ce que les Anglais ont apporté de bon, à nous sauvages francophones coureurs des bois, piètres paysans crevant de faim, sales, rustres et de peu de culture et aux sauvages amérindiens, à qui on a enlevé leurs enfants pour les blanchir. Ces Anglais sans qui nous ne pourrions avoir une telle culture et qui quotidiennement participent encore à notre enrichissement collectif. Cette minorité historique qui a bâti avec nous le Québec et Montréal, qui nous a donné toutes ces grandes institutions dont nous devons être si fiers, qui forment notre élite : McGill University, Bishop’s University, Bank of Montreal, l’Hôtel du Parlement à Montréal (avant que les mêmes Anglais décident de le brûler), The Gazette. Et ces grands entrepreneurs qui ont créé notre richesse, avec la famille Molson, la Montreal Engineering Company, la Hudson’s Bay Company et la Grand Trunk Railway Company. Nous serions si pauvres sans eux. Économiquement, intellectuellement, culturellement.

Des gens venant ensuite vomir sur ce que nous sommes en tant que peuple, disant que notre culture est profonde comme une pataugeoire, et cela quand ils la reconnaissent, prétendant qu’elle favorise la corruption, qu’elle n’a pas d’empathie collective, petit peuple incapable d’être solidaire et laissant des gens coincés sur l’autoroute en pleine tempête de neige, refermé sur lui-même, excluant les autres, faisant preuve d’intolérance, voire de racisme, que ce dernier serait même érigé en système. Toutes les excuses seront valables pour nous rabaisser. Nous ne faisons rien de beau. Nous donnons moins de pourboire, nous donnons moins d’argent aux oeuvres caritatives. En plus nous sommes pingres et sans coeur ! Mais achevez-nous bon sang !

Et certains des nôtres applaudissent. Disant que tout n’est pas faux, que c’est un peu vrai. Qu’on est un ramassis de bons à rien. Incapables. Des perdants. Frustrés contre cette langue des affaires, celle qui permet d’embaucher, de donner des ordres, celle de la réussite. Mais pourquoi tant de résistance face à ce bilinguisme institutionnel voyons ! Assimilez-vous à l’anglais. Malheureusement nous avons aujourd’hui des gens parlant plusieurs langues, se pensant instruits et nous récitant cette propagande, nous parlant d’ouverture au reste du monde dans cette langue sacralisée du néolibéralisme ! Terrible non ? Pourtant Pascale Casanova l’avait si bien décrit : Le bilinguisme collectif est un signe de domination: en d’autres termes, les populations qui utilisent plus d’une langue sont dominées. (La langue mondiale, traduction et domination, Seuil, 2015.)

On nous juge sans rien comprendre du contexte colonial dans lequel nous vivons, avec tout ce que cela comporte. Notre infantilisation, nous, idiots, incapables de savoir ce qui est bon pour nous et devant compter sur le Canada pour nous protéger de nousmêmes. Notre incapacité à payer nos caprices de peuple immature, encore une fois, heureusement que le Canada nous assiste avec la péréquation pour nous secourir, car trop bêtes pour gérer comme il faut un budget.

Et il y a cette imposture coloniale, cette minorité historique. Tandis que nous sommes toujours canadiens et qu’au Canada la majorité ce sont les anglophones, pas les Québécois, pas les francophones. Ils sont les dominants, encore plus en Amérique du Nord. Encore plus à l’ère du tout à l’anglais et du globish mondialisé. On ne peut pas isoler une partie géographique du pays, pour tout d’un coup y découvrir une minorité. C’est malhonnête. Et ils n’ont plus rien d’historique. Ayant absorbé une grande partie des communautés allophones depuis 40 ans. On est loin du White Anglo-Saxon descendant historique de nos conquérants qu’on accommodait dans la loi 101. Des droits coloniaux qu’on devrait leur céder au sein de leur province of Quebec du Canada. Quand ces derniers se font passer pour une minorité nationale. Dans un pays du Québec, ce serait une autre histoire, discutable. Mais là ! Rien ne justifie ce statut. Ils ne pourraient même pas prétendre une menace, un risque de perdre des droits fondamentaux, le danger de disparaître. Le commissariat aux langues officielles du Canada au mois de mars, les chiffres de Statistique Canada, tout démontre que c’est nous, les francophones, qui sommes en train de crever, de subir un ethnocide, même au Québec. Et il faudrait les protéger eux ! Et on n’est pas tannés de mourir. Et on s’excuse. Et on paye notre propre assimilation en finançant ce bilinguisme d’État où tous les services sont traduits dans leur langue, ou à chaque coup de téléphone on leur propose d’appuyer sur le 9 pour se faire servir dans leur langue canadienne ! Car le Canada n’est qu’un pays anglophone.

Je voudrais pour conclure reprendre une déclaration d’Aimé Césaire : On me parle de progrès, de « réalisations », de maladies guéries, de niveaux de vie élevés au-dessus d’eux-mêmes. Moi, je parle de sociétés vidées d’elles-mêmes, des cultures piétinées, d’institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées. […] Je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme. (Discours sur le Colonialisme,1950.) Je peux comprendre son grand étonnement lorsqu’il tomba, lors d’une visite à Montréal, sur le livre Nègres blancs d’Amérique de Pierre Vallières. Il aurait été encore plus étonné s’il avait lu l’histoire du Canada. Nous ne faisons pas différemment des autres colonies. Au mieux la nôtre est plus confortable, plus douce, elle n’en est pas moins terrible pour un peuple, pas moins un crime contre l’humanité.