Michel David | Le Devoir
Il est dans l’ordre des choses que les diverses composantes d’une fédération tentent d’arracher la plus grosse part du gâteau. Il y en aura toujours pour se plaindre, à tort ou à raison, d’avoir été défavorisés, mais le gouvernement central doit voir à ce que le partage soit le plus équitable possible.
Il est rafraîchissant de voir Philippe Couillard hausser le ton contre Ottawa à l’occasion, même si cela semble lui demander un gros effort. Il n’est cependant pas normal que le premier ministre du Québec doive descendre dans la rue pour supplier le gouvernement fédéral d’accorder quelques miettes au chantier maritime Davie pour éviter la mise à pied de 800 travailleurs alors qu’il a accordé à ceux de Vancouver et d’Halifax des contrats qui les tiendront occupés pendant des décennies.
Le chantier de Lévis n’a pas été simplement désavantagé dans le partage, il a été totalement ignoré, alors que les contribuables québécois vont payer le quart des coûts du renouvellement de la flotte. Que ses concurrents souhaitent carrément éliminer Davie n’a rien de surprenant, ni même de choquant. C’est la règle du jeu dans un système capitaliste. Ce qui est enrageant est de voir Ottawa participer aussi impudemment à cette manoeuvre. Le silence des députés libéraux du Québec à la Chambre des communes est assourdissant.
En près de 200 ans d’existence, la Davie en a vu de toutes les couleurs. On ne compte plus les fermetures plus ou moins longues, les injections de fonds publics et les changements de propriétaires. Le chantier a été placé sous la protection des tribunaux et vendu à deux reprises en trois ans avant que son rachat par Zafiro Marine en 2012 fasse renaître l’espoir d’un nouveau départ. Il y a cependant des limites à renaître de ses cendres.
Après la victoire de 2014, ses collègues du Canada anglais ont accueilli M. Couillard en véritable héros. Après l’inquiétude que leur avait inspirée le bref retour au pouvoir du PQ, voilà qu’arrivait enfin un vrai Canadien qui ne menacerait pas de quitter la fédération à tout propos.
Dans le reste du pays aussi on lit les sondages qui indiquent que le PQ et la souveraineté sont en déroute. Même le séparatiste si pressé qu’était François Legault a dû faire une profession de foi fédéraliste pour avoir une chance de réaliser son rêve de devenir premier ministre. Sans cette épée de Damoclès, il n’est plus nécessaire de se soucier des jérémiades de la « société distincte ». On peut de nouveau prendre les Québécois pour de bonnes poires qui n’auront jamais le courage de claquer la porte.
M. Couillard est certainement sincère quand il réclame que le Québec obtienne sa juste part, ne serait-ce que parce que cela faciliterait sa réélection. Le problème est qu’il ne manque aucune occasion de rappeler les milliards qu’il touche chaque année au titre de la péréquation et que l’économie canadienne doit tourner rondement pour la financer. On l’a en quelque sorte pris au mot : les paiements de péréquation au Québec, les contrats à Halifax et à Vancouver.
La même recette semble vouloir s’appliquer à la production de cannabis, qui est en voie d’échapper aux agriculteurs québécois au profit de ceux de l’Ontario. À sept mois de l’entrée en vigueur de la loi fédérale qui autorisera sa commercialisation, il y a déjà 38 producteurs en Ontario contre seulement deux au Québec. Qui, pensez-vous, va décrocher le gros des permis qu’Ottawa s’est réservé le droit de délivrer ?
Mercredi, le PQ, appuyé par les autres partis d’opposition, a présenté à l’Assemblée nationale une motion exigeant que la marijuana qui sera vendue dans les succursales de la future Société québécoise du cannabis provienne de producteurs québécois. Le gouvernement a refusé d’en débattre.
Le ministre de l’Agriculture, Laurent Lessard, a expliqué que le premier objectif était plutôt d’assurer la souveraineté alimentaire du Québec, qui doit importer, d’Ontario notamment, des produits comme les fraises, les poivrons et la laitue.
Soit, le gouvernement Couillard n’a pas souhaité la légalisation du cannabis, mais il n’en a pas moins le devoir de faire en sorte que les agriculteurs québécois puissent en tirer le meilleur parti possible. Si on ne leur garantit pas un débouché, ils n’oseront pas se lancer dans l’aventure.
Au train où vont les choses, non seulement le gouvernement fédéral va accaparer une part substantielle des taxes sur la vente de cannabis, alors que les coûts qu’il devra assumer seront presque nuls, mais l’économie québécoise n’en profitera pas non plus. Peut-être nous proposera-t-on d’inclure les revenus qu’il générera dans le calcul de la péréquation !