par Daniel Turp et Étienne-Alexis Boucher
Les auteurs sont respectivement président et secrétaire général de la Coalition pour l’abolition de la monarchie au Québec.
Le 9 décembre 2022, l’Assemblée nationale du Québec adoptait unanimement le projet de loi visant à reconnaître le serment prévu par la Loi sur l’Assemblée nationale comme seul serment obligatoire pour y siéger (projet de loi numéro 4). Entrée en vigueur le même jour, cette loi abolissait l’obligation de prêter le serment d’allégeance au roi prévu par la Loi constitutionnelle de 1867, à laquelle devaient jadis satisfaire les députés pour pouvoir siéger à l’Assemblée nationale, et d’y souscrire.
Monarque « par la grâce de Dieu »
En marge du couronnement du roi Charles III, prévu le 6 mai 2023, l’occasion est propice pour rappeler que ce couronnement donnera lieu à la prestation d’un serment, administré par l’archevêque de Cantorbéry, chef de l’Église d’Angleterre, primat de toute l’Angleterre et chef de la communion anglicane, qui, comme celui prêté et souscrit par la reine Élisabeth II le 2 juin 1953, amènera le nouveau roi à répondre à la question suivante : « Promettez-vous et jurez-vous solennellement de gouverner les peuples du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, du Canada, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, ainsi que de vos possessions et des autres territoires auxquels ils appartiennent ou se rattachent, conformément à leurs lois et coutumes respectives ? » Et la réponse devrait être : « Je m’y engage solennellement. »
Et comme on l’apprenait récemment, le Parlement du Canada devrait adopter une nouvelle Loi sur les titres royaux de 2023, dissimulée à l’article 510 du projet de loi numéro 1 d’exécution du budget déposé de 2023 (projet de loi C-47), consentant à la prise par Sa Majesté d’une proclamation royale sous le grand sceau du Canada fixant la forme des titres royaux pour le Canada, de la façon suivante : « Charles Trois, par la grâce de Dieu, roi du Canada et de ses autres royaumes et territoires, chef du Commonwealth ».
Ces gestes posés au Royaume-Uni et au Canada auront pour conséquence d’imposer à nouveau au Québec un chef d’État qu’il n’a aucunement choisi, mais qui exercerait son pouvoir sur celui-ci « par la grâce de Dieu », en contradiction avec la Loi sur la laïcité de l’État adoptée par l’Assemblée nationale du Québec et dans laquelle il est affirmé que la laïcité repose entre autres sur les principes de la séparation de l’État et des religions, puis de la neutralité religieuse de l’État.
Coûts exorbitants pour le Québec
Le maintien de la monarchie au Canada et son imposition au Québec représentent par ailleurs des coûts exorbitants pour les citoyens et citoyennes du Québec. Le Québec contribue aux coûts afférents à l’exercice des charges du gouverneur général du Canada, des lieutenants-gouverneurs des autres provinces canadiennes et de son propre lieutenant-gouverneur.
Évalué par la Ligue monarchiste du Canada à une somme de 58 749 485, 52 $ pour l’année fiscale 2019-2020, le coût annuel de fonctionnement de la couronne que doivent assumer les Québécois et Québécoises — si l’on choisit comme critère la proportion que représente sa population au sein du Canada et qui se situe à 22,2 % au 1er janvier 2023 — est de 13 042 239,09 $. Depuis le début du XXIe siècle, ces coûts ont d’ailleurs augmenté de façon importante — passant de 22 415 222,00 $ en 1999 à 62 438 557,00 $ en 2018.
Ce coût exorbitant d’un régime aussi obsolète qu’antidémocratique, dont le fondé de pouvoir relève de Dieu, n’est plus acceptable. Il faut d’ailleurs se réjouir du fait que le gouvernement du Québec ait décidé de ne pas faire subir de coûts additionnels à sa population en décidant de ne pas envoyer de délégation au couronnement du 6 mai et que, s’agissant d’événements qui pourraient avoir lieu au Québec, « il n’y a rien au programme», a souligné sans ambiguïté le bureau du premier ministre du Québec.
L’abolition de l’obligation de prêter le serment d’allégeance et d’y souscrire, ainsi que les décisions du gouvernement du Québec relatives au couronnement, encouragent la Coalition pour l’abolition de la monarchie au Québec à poursuivre son travail. Il y a lieu de réfléchir aux nombreux volets d’un dossier qui touche au coeur de notre régime politique. Notamment, comment et par quelle autorité constitutive pourrait-on remplacer la monarchie ? Quelles pourraient être les prochaines étapes avant l’abolition définitive du régime monarchique au Québec ?
Il s’avère donc nécessaire et urgent d’articuler une politique publique qui permettra au Québec de démocratiser encore davantage son régime politique, notamment en confiant aux citoyens et citoyennes l’entière responsabilité de désigner toutes ses dirigeantes et tous ses dirigeants, y compris le chef de l’État du Québec.