BENJAMIN VACHET / #ONfr
VANCOUVER – Le Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique (CSF) et la Fédération des parents francophones de Colombie-Britannique (FPFCB) ont décidé, ce lundi, de s’adresser au plus haut tribunal du pays dans le dossier de l’éducation de langue française dans la province.
«Ce n’est pas une décision facile à prendre, mais nous avions déjà envisagé qu’il nous faudrait peut-être nous rendre jusque-là. Nous estimons que nous avons droit à plus! C’est un combat que nous voulons gagner pour permettre à nos enfants d’avoir les mêmes possibilités que les élèves anglophones, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui», lance Suzana Straus, présidente par intérim de la FPFCB à #ONfr.
Entamée en 2010, la démarche judiciaire des deux organismes visait à forcer le gouvernement libéral provincial de l’époque à répondre adéquatement aux besoins en matière d’éducation de langue française, notamment en finançant la construction de nouvelles écoles et en améliorant les infrastructures existantes.
Huit ans et deux jugements plus tard, des gains ont été réalisés, rappelle la présidente du CSF, Marie-France Lapierre, mais les conclusions de la juge Loryl Russell, devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique en septembre 2016, puis celles de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, en juillet 2018, laissent planer une menace.
«Nous ne sommes pas d’accord avec l’interprétation faite par les tribunaux, notamment en matière d’équivalence réelle et nous voulons que notre cause ait un impact national. On veut envoyer le message aux provinces qu’elles ne peuvent pas se cacher derrière l’article 1er de la Charte canadienne des droits et libertés pour ne pas financer l’éducation en français.»
«J’ai deux enfants, ils seront tous les deux diplômés d’ici la fin de l’année prochaine. Ce n’est pas donc pour moi que je fais ça, mais pour l’avenir de notre culture et de notre langue»
– Marie-France Lapierre, CSF
Selon le CSF, cette cause juridique aurait coûté jusqu’ici environ 18 millions de dollars, pour des gains obtenus auprès de la province, sous la forme d’une enveloppe d’investissements distincte, de 52,7 millions de dollars dans le dernier budget. Il s’agit du troisième recours juridique contre le gouvernement provincial depuis la création de la FPFCB en 1979.
La cause sera-t-elle entendue?
Reste à déterminer si les neuf juges accepteront d’entendre la cause de la FPFCB et du CSF. Une décision est attendue au plus tard au début de l’année 2019.
«Si la Cour suprême du Canada décide de ne pas entendre cette cause, alors les provinces et territoires auront les coudées franches et pourront s’appuyer sur le jugement de la Cour d’appel de Colombie-Britannique», prévient l’avocat du CSF, Mark Power.
Un jugement qui remet notamment en cause la définition jusqu’ici utilisée de l’équivalence réelle.
«Dans ce jugement, on estime que pour comparer une école de langue française à une école de langue anglaise, il faut prendre des écoles de même taille avec les mêmes effectifs et que si l’école de langue française est plus petite, elle devrait avoir des infrastructures – comme un gymnase, des laboratoires… – proportionnelles à sa taille. Jusqu’ici, on se basait avant tout sur un objectif de résultat, à savoir permettre aux élèves des écoles de langue française d’avoir des infrastructures qui leur permettent d’atteindre des résultats similaires à ceux des écoles anglaises.»
Impact au Canada
Autre première, la possibilité pour une province d’utiliser l’article 1er de la Charte [qui permet à une province ou au fédéral de se soustraire, sous certaines conditions, au respect de certains droits et libertés] pour ne pas financer adéquatement les écoles de langue française.
«On ouvre la possibilité pour une province d’utiliser cet article pour justifier le sous-financement ou l’absence de financement de l’éducation de langue française au motif que cela coûte trop cher», explique Me Power. «On imagine l’impact que cela pourrait avoir dans tout le Canada. Ce serait la fin de l’éducation de langue française à l’extérieur du Québec, avec toutes les conséquences que cela suppose quand on sait, comme l’explique le chercheur Rodrigue Landry, à quel point l’école joue un rôle décisif dans la transmission de la langue française et de la culture.»
Très remontée, Mme Lapierre dénonce la logique de la juge Russell.
«Elle nous dit que la province peut sous-financer nos écoles au motif que l’assimilation des francophones de Colombie-Britannique est inéluctable, mais c’est surtout si nous n’avons pas les outils adéquats, comme des écoles, que nous serons menacés!»
Les deux parties espèrent également qu’un jugement de la Cour suprême du Canada pourra également permettre de revenir sur la décision de la Cour d’appel de leur refuser les dommages et intérêts accordés en première instance pour compenser le sous-financement chronique du transport scolaire dans les écoles francophones de Colombie-Britannique.