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L’exigence de l’anglais frustre des immigrants francophones

Isabelle Porter | Le Devoir

 

Dans la capitale, Québec, comme à Montréal, des immigrants francophones peinent à se trouver du travail parce qu’ils ne parlent pas l’anglais. Le gouvernement, disent-ils, aurait dû les aviser avant leur venue de l’importance de la langue de Shakespeare sur le marché du travail au Québec.

« Mon niveau d’anglais n’était pas très bon, c’est pourquoi j’avais fait le choix de venir à Québec », explique Fodé Moussa Camara. Originaire de la Côte d’Ivoire, il a fait des études en informatique en France avant de s’établir au Québec, où il a obtenu sa résidence permanente en 2013 à titre de travailleur qualifié en informatique.

Or à son arrivée à Québec, il a vite déchanté. « J’ai vraiment eu de la misère. Souvent, on soulignait le fait que je ne parlais pas l’anglais ». En entrevue, on lui posait des questions en anglais et il n’était pas capable d’y répondre. « C’était frustrant. J’ai fini par abandonner. »

Il s’est donc replié vers de « petits boulots » dans des usines, des entrepôts puis, après quelques années, a pris des cours d’anglais le soir avant de déménager à Montréal pour « mettre à jour » son diplôme et suivre une formation en informatique.

« Tout n’est pas à rejeter dans mon expérience au Québec. Cette formation m’a énormément apporté, dit-il. Mais je n’ai pas été bien informé. » Ses anciens compagnons de classe en France se sont tous trouvé du travail avant lui, note-t-il.

Des immigrants francophones, attirés au Québec par la possibilité de pouvoir travailler en français, découvrent que plusieurs emplois exigent une connaissance fonctionnelle de l’anglais.

Intégration difficile

Séverine Joly a vécu la même déception à son arrivée au Québec, en 2011. Si elle s’est trouvé du travail en administration dans le milieu culturel, elle a néanmoins constaté que ses difficultés en anglais pouvaient nuire à ses possibilités d’avancement.

« Lorsque tu n’as pas bénéficié d’une formation comme le proposent les écoles québécoises, l’intégration est plus difficile, observe-t-elle. L’anglais est omniprésent. Ici, la télévision et l’accès aux films en version originale permettent aux Québécois une meilleure compréhension de l’anglais. »

Pour se rattraper, elle compte faire un voyage d’immersion à ses frais, puis reprendre des cours à l’université. Au Service d’orientation et d’intégration au travail (SOIT) de Québec, on confirme que le problème se présente à l’occasion en informatique, mais aussi dans le service à la clientèle.

« Si ça se passe par Internet ou par téléphone et qu’il y a une clientèle anglophone, c’est dans ces cas-là qu’on va voir ça », note le directeur Jean-Luc Gélinas.

 

Pendant ce temps à Montréal

À Montréal, c’est évidemment encore plus courant. « On a énormément de gens d’informatique, mais ça bloque du point de vue de l’anglais », avance Lekbir Kherrati du Service d’intégration au marché du travail par objectifs (SIMO). « Ce sont des gens qui viennent de France, du Maghreb. Ils sont souvent bloqués par rapport à ça. »

Outre l’informatique, l’administration et le service à la clientèle, cela s’observe en génie, remarque la directrice du Centre d’appui aux communautés immigrantes de Montréal (CACI), Anait Aleksanian.

« On travaille parfois avec des entreprises qui ont un mandat plus pancanadien ou international. C’est un peu normal [qu’elles exigent une connaissance de l’anglais]. Les personnes doivent parfois présenter des projets, réaliser des missions… Le problème, c’est quand les entreprises demandaient le bilinguisme pour des postes où il n’y a aucun besoin d’être bilingue ».

Mme Aleksanian a déjà vu, par exemple, des exigences en anglais pour un poste de concierge ou pour du travail manuel. « Il faudrait contrôler un petit peu les offres d’emploi. Ne pas permettre d’exiger le bilinguisme quand ce n’est pas justifié. »

 

Taux de chômage

Au printemps 2016, des statistiques du ministère de l’Immigration (MIDI) révélaient que le taux de chômage des immigrants francophones était de 40 % supérieur à celui des nouveaux arrivants anglophones.

Joint cette semaine, le MIDI n’avait pas encore la mise à jour de ces données. Il est toutefois possible que l’écart se soit atténué en raison de la perspective d’une pénurie de main-d’oeuvre.

Mme Aleksanian a d’ailleurs observé que les employeurs étaient « de moins en moins » exigeants en matière de connaissance de l’anglais. « Je les sens beaucoup plus ouverts parce qu’on dirait qu’ils n’ont pas le choix. »

Malgré cela, dit-elle, il faudrait mieux informer les gens. « Quand on recrute des travailleurs qualifiés, on devrait au minimum les informer que dans tel ou tel domaine de compétences, ils auront plus de chances de s’intégrer professionnellement s’ils sont bilingues. »

Pour Georgina Kokoun du Regroupement des organismes en francisation du Québec (ROFQ), on « ment un peu » aux immigrants francophones, et c’est « vexant ».

« Il faut le dire aux gens qui arrivent pour leur permettre de se préparer autrement. » Elle-même aurait aimé le savoir avant son arrivée ici, en 2010. Elle aurait alors peut-être pris l’anglais plutôt que l’allemand comme cours optionnel.

Au-delà de cela, les employeurs doivent cesser de chercher des employés « clé en main » dans une langue comme dans l’autre, plaide Jean-Luc Gélinas du SOIT.

« Il faut arrêter de placer l’immigrant en formation jusqu’à ce qu’il soit parfait pour aller en emploi. Il faut plutôt le plus rapidement possible le mettre en emploi, puis faire des mécanismes d’ajustement pour combler les manques que cette personne-là peut avoir. »

 

 

SOURCE

 

 

 

 

 

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