par Claude G. Charron | Le Patriote
Avant de vivre notre petite révolution de 1960, que l’on a par la suite qualifiée de « tranquille », nombreux ont été les frères et les soeurs de nos écoles chrétiennes accusant la France d’avoir mangé du curé durant la Révolution française.
À cet inconscient sentiment de mépris à l’égard de ces persécuteurs et de leurs descendants, s’est souvent chez nous ajouté un profond complexe d’infériorité à l’égard d’un second événement majeur en France, celui de la laïcisation du système scolaire de 1905. L’école française donnant dorénavant priorité à l’étude du français plutôt qu’au p’tit catéchiste, il en est résulté que les petits Français pouvaient mieux s’exprimer que leurs p’tits cousins d’Amérique.
Bifurcations différentes dans l’histoire de deux nations ne pouvant qu’être très mal ressenties par la plus jeune. D’où viendrait ce « Ah, les maudits Français ! », expression souvent très refoulée dans l’inconscient de plusieurs d’entre nous.
La dame, dont je veux vous entretenir aujourd’hui, a trop de classe pour que, même en privé, elle utilise de si gros mots. Il reste que son amour inconditionnel pour le Canada et son peu d’empathie pour une France ayant poussé l’audace jusqu’à trancher la tête de son roi, me pousse à croire qu’elle entretient, en tant que fière Canadienne, un complexe de supériorité qui la range tout près de ce p’tit monde de grands refoulés.
Francine Pelletier, car il faut bien finir par nommer la dame en question, a une grande admiration pour Voltaire. Dans son texte, « Laïcité, prise 2 », paru dans Le Devoir du 28 janvier dernier, la chroniqueuse nous déclare que François-Marie Arouet nous a épargné bien des maux quand le pauvre Louis XV a littéralement fondu devant ses propos concernant le Canada. Je suis comme le public, lui aurait-il soufflé à l’oreille, j’aime mieux la paix que le Canada et je crois que la France peut être heureuse sans Québec.
Et le Québec sans la France, de répliquer une fière Pelletier. Et la chroniqueuse d’avancer d’un cran de plus dans ses considérations philosophiques en ajoutant que la férocité de ce grand revirement (l’exécution de Louis XVI), son idéalisme aussi, inspire encore aujourd’hui la façon de concevoir le « vivre ensemble » dans l’Hexagone.
Il faut dire ici que c’est à l’occasion de la visite au Québec d’une survivante du carnage de Charlie Hebdo que Francine Pelletier invite les Français à troquer leur modèle d’intégration des immigrants pour celui du Canada.
Il y a quelque chose comme une forte odeur d’indécence dans l’entreprise. N’y avait-il pas déjà assez que le premier ministre Couillard n’ait daigné nous représenter à la Grande Marche du 11 janvier à Paris, voilà que notre adepte du multiculturalisme à la sauce Trudeau se permet de donner des leçons d’histoire non seulement du Québec, mais également de la France à madame Zineb El Rhazoui.
Vous avez bien lu : la journaliste de Charlie Hebdo n’a pas un nom pour nous facile à retenir. C’est qu’elle est née au Maroc où elle a été plusieurs fois arrêtée pour avoir pris la défense des droits de l’Homme. Sa vie étant en danger dans son propre pays, elle a dû se réfugier en France, ce pays « si peu ouvert aux immigrants ».
Mais revenons aux leçons d’histoire du Canada que Pelletier se permet de donner à Rhazoui. Elle remonte au traité de Paris, tout écrit en français, première génuflexion des Anglais envers nous, la seconde étant que le texte stipulait que, pour faciliter la transition, le français allait temporairement être la langue des conquis. Troisième génuflexion : de temporaire, le tout est devenu permanent.
Pelletier insiste : Le Québec n’existerait pas sans ces trois génuflexions. La chroniqueuse n’a donc jamais entendu parler de la Proclamation royale, titre grandiloquent donné aux instructions secrètes que, dès 1763, Londres avait transmises au gouverneur Murray. Avec comme objectif de faire disparaître toute trace de la Nouvelle-France, et par toute sorte de moyens, dont le principal : celui d’une immigration massive de sujets anglophones.
Et le Serment du Test était au coeur de ce secret message au gouverneur, serment qui obligeait tout catholique d’apostasier sa foi s’il souhaitait accéder à un emploi civil. Ajouté à l’immigration massive de Britanniques, le Serment du Test devait, du moins sur un pas trop long échéancier, assurer une saine « normalisation » de la nouvelle colonie. Sans aucune génuflexion.
La guerre d’Indépendance américaine allait tout bousiller. C’est à regret qu’avec l’Acte de Québec de 1774, Londres a dû refaire son plan de match. Le Serment du Test a été suspendu. On a, de plus, entre autres, rétabli le régime seigneurial et établi que les lois françaises auraient dorénavant préséance sur la Common law en matières civiles. Il reste que ces concessions n’ont jamais par la suite fait reculer le Colonial Office dans sa quête d’anglicisation des « conquis ». Et on ne connaît que trop les moyens utilisés pour y arriver.
Au milieu du texte, Francine Pelletier se surpasse. On en a marre de se faire traiter de pleutres, écrit-elle, parce que l’on considère la tolérance, non seulement comme une vertu, mais comme une bonne façon de concevoir la démocratie. Un pays qui s’est construit en additionnant les populations (Amérindiens + Français + Anglais, etc.) se doit d’être ouvert aux autres.
Ici, la chroniqueuse s’enfarge de belle façon quand elle place les Amérindiens en première place dans son idéaliste addition des groupes formant son si vénéré Canada. Elle doit pourtant savoir que, par les temps qui courent, le Canada est montré du doigt dans le monde pour la manière dont il traite ses autochtones.
Pelletier devrait lire Le rêve de Champlain de l’Américain David Hackett Fisher. Elle découvrirait que le fondateur de Québec a entretenu des rapports très harmonieux avec les Autochtones. Le bilan est beaucoup moins positif quand on pense aux massacres qui se sont perpétués dès l’arrivée des pèlerins en Nouvelle-Angleterre. Et ne parlons même pas ici de la conduite des conquistadors espagnols en Amérique équatoriale.
La manière Champlain de se comporter avec les Autochtones, elle s’est perpétuée durant toute l’avancée de nos grands explorateurs vers l’Ouest. Elle a permis la fondation de la nation métis. On sait ce qui est survenu de tout ce beau monde après 1760. Parlez-en à Pontiac et à Riel.
Mais, venons-en au quatrième groupe de l’addition Pelletier. On pourrait ici appeler les ni-ni-ni ceux qu’elle nomme les etcetera, les « ni Autochtones, ni Anglais et ni Français ». Petit rappel : c’est en 1963 que ces ni-ni-ni se sont grandement fait entendre. C’était à l’occasion des audiences publiques de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme. Ils ont manifesté haut et fort contre un Canada biculturel tel que le rêvait André Laurendeau.
Le Canada biculturel n’existe pas clame Trudeau avant même que l’exjournaliste du Devoir ne décède. En 1968, le grand pourfendeur du nationalisme québécois devint premier ministre du Canada. Finies les folies ! Avec sa façon de concevoir le pays, les Québécois ne devenaient rien d’autres que la plus grosse minorité au Canada.
Ce Canada, devenu officiellement multiculturel, a eu d’indéniables répercussions sur le plan politique. Depuis le « Maîtres chez nous » de Lesage en 1962, les parlants-français du Québec furent de plus en plus portés à qualifier de « national » le seul gouvernement à Québec.
C’est pour stopper cette tendance qu’à partir de 1969, une pluie de billets verts allait soudainement pleuvoir sur toute association ethnico-culturelle se revendiquant comme telle. Enfin de nuire au Québec, Ottawa avait donc décidé d’encourager la formation d’un communautarisme totalement débridé, tellement qu’à terme, il ne pouvait que nuire à une saine intégration des Néo-Canadiens à leur société d’accueil, situation qu’à fermement dénoncée Neil Bissoondath dans Le marché aux illusions. (Boréal, 1995)
Originaire de Trinidad, l’auteur de ce remarquable essai en est convaincu : le Canada fait fausse route en encourageant les Néo-Canadiens à ne prendre contact qu’avec des personnes étant nées dans les pays qu’ils ont délibérément quittés. Avec la montée du radicalisme religieux, ce sont également les Angela Merkel et David Cameron qui se sont récemment publiquement interrogés quant aux néfastes effets collatéraux que puisse engendrer une politique du multiculturalisme trop à la canadienne.
Merkel et Cameron s’interrogent, mais pas Francine Pelletier. D’avoir choisi Laïcisme, prise 2, comme titre d’un texte ne servant qu’à donner des leçons d’histoire à madame Rhazoui, on peut penser que la chroniqueuse commence à comprendre que son Québec lui échappe. Un Québec qui, également, échappe de plus en plus à un Canada idéalisé jusqu’à outrance par la chroniqueuse.
Quelle ignominie pour elle que de voir qu’au Québec, on s’est littéralement arraché les exemplaires de l’édition post-massacre de Charlie Hebdo alors qu’en pays anglo-saxon, bien téméraire aurait été l’animateur télé osant montrer à l’écran ne serait-ce que la une de ce si convoité numéro en pays d’Astérix.
Originaire du Maroc, Zineb El Rhazoui a décidé de vivre et de travailler en France. On ne sait que trop maintenant que c’est au péril de sa vie qu’elle a également décidé de militer pour une France plus républicaine. Plus laïque. Et si elle est venue au Québec, c’est d’abord pour rencontrer d’ex-Maghrébines ayant délibérément choisi de continuer le combat dans ce si cher pays d’adoption qu’est devenu pour chacune d’entre elles le Québec. Avec tous les risques que cela comporte.
En 2003, n’eut été la manifestation du 15 février réunissant 150 000 personnes à Montréal, il n’est point certain que Jean Chrétien aurait suivi Chirac. Et dit non à George W. Bush dans son insensé projet de guerre contre l’Irak. Nous nous rendrons compte aujourd’hui que cet inutile conflit a bien souvent malheureusement permis la radicalisation de bien des jeunes musulmans. À Montréal comme à Paris.
Dans les heures sombres qui ont suivi le décès des cinq caricaturistes de Charlie Hebdo, était-il convenant que Francine Pelletier en profite pour faire la morale à la France, et ceci, au moment même où Zineb El Rhazoui nous rendait visite ? Je n’en suis pas certain. Et vous ? •••